La neutralité d’Internet : « Oui à la discrimination efficace et transparente ! »

Nicolas Curien et Winston Maxwell publient le 10 février prochain aux éditions
de La Découverte « La neutralité d’Internet », dont Edition Multimédi@ dévoile
les bonnes feuilles. Ils se prononcent pour la « discrimination » des contenus
en ligne si elle est « efficace » et « transparente ».

L’un est membre du collège de l’Arcep et diplômé de l’Ecole Polytechnique et de Télécom Paris ; l’autre est avocat associé au cabinet Hogan Lovells et un des six du
« groupe d’experts sur la neutralité de l’Internet » désignés il y a un an par l’ancienne secrétaire d’Etat à l’Economie numérique (1). Nicolas Curien et Winston Maxwell sont coauteurs de « La neutralité d’Internet », un ouvrage de 128 pages.

Régulation de la neutralité de l’Internet : les Etats-Unis donnent le la à l’Europe

Le régulateur fédéral américain, la FCC, a adopté le 21 décembre dernier le nouveau règlement sur la neutralité de l’Internet aux Etats-Unis. Ce texte, qui pourrait être contesté, servira tout de même de référence à l’Europe – y compris
à la France qui s’apprête à légiférer.

Par Winston Maxwell, avocat associé, Hogan Lovells

Adopté le 21 décembre 2010 à une courte majorité, le nouveau règlement de la Federal Communications Commission (FCC) sur
la Net Neutrality a un effet contraignant immédiat sur l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) américains, qu’ils soient fixes
ou mobiles. Ce nouveau règlement de la FCC sera certainement attaqué en justice, car son fondement juridique repose sur les
termes très généraux du chapitre 1 de la loi américaine sur les télécommunications, fondement légal qui a été jugé déjà insuffisant par une cour d’appel dans l’affaire Comcast (1). L’avenir de ce règlement reste donc incertain.

Pourquoi la vidéo menace la neutralité du Net

En fait. Le 17 novembre, lors du DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier, le séminaire
« Média » a fait la part belle à la vidéo en ligne, qui explose de 100 à 130 % par an et qui participe pour plus de la moitié à l’augmentation – de 50 % à 60 % par an – du trafic de l’Internet. Ce n’est pas neutre…

En clair. Imaginez que 40 % du trafic sur Internet soient de la vidéo en ligne mais que ces flux génèrent seulement 4,4 % des revenus du réseau des réseaux. Imaginez aussi que seulement 10 % du trafic sur le Net soient issus des moteurs de recherche mais que ces derniers représentent 26,7 % du chiffre d’affaires généré sur le Net. Cette dé-corrélation entre le trafic et les revenus est à l’origine des craintes des opérateurs télécoms de voir leurs réseaux saturer et des débats remettant en cause la neutralité. Et la montée en charge de l’Internet mobile et l’arrivée de la télévision connectée devraient accentuer le fait que le trafic augmente plus vite que les revenus. Les YouTube, Yahoo, Dailymotion et autres Facebook sont montrés du doigt par les opérateurs télécoms qui veulent un retour sur investissement. Comment ? En instaurant un péage sur leurs infrastructures, notamment à travers une « tarification à la terminaison d’appel data » ou d’un « paiement d’une interconnexion premium par les fournisseurs de services ou de contenus ». Le système de peering, selon lequel les opérateurs du Net s’échangeaient sans facturation mais compensation leurs trafics plus ou moins sysmétriques, est en passe de devenir obsolète avec le déséquilibre des flux provoqué notamment par la vidéo. Les acteurs du Web, de plus en plus gourmands en bande passante, estiment, eux, qu’ils font le nécessaire pour optimiser leur trafic, notamment avec des CDN (1). « Il n’y aura pas de Big Bang », a lancé Martin Rogard, DG de Dailymotion France, affirmant qu’il pouvait y avoir un effet de congestion mais pas de blocage. « Les grands émetteurs de trafic doivent contribuer [au financement
de notre réseau]», a répondu Stéphane Richard, DG de France Télécom. Dans cet écosystème perturbé, l’arrivée de la télévision connectée laisse présager une augmentation exponentielle de la vidéo sous toutes ses formes (VOD, catch up TV,
pub vidéo, …). Les fabricants de téléviseurs, vont à leur tour venir bousculer la chaîne de valeur (lire p. 7). Google TV, Apple TV mais aussi Yahoo ont déjà posé des jalons pour contôler le téléspectateur. Yahoo, dont la directrice « connected TV » pour l’Europe, Shirlene Chandrapal, s’est rendue pour la première fois au DigiWorld Summit, a indiqué à EM@ avoir trois accords européens ; avec le sud-coréen Samsung (2), le japonais Sony et le turc Vestel. Et dans le monde, « Yahoo! TV » est déjà présent sur 5,5 millions de téléviseurs connectés. @

Neelie Kroes : « Il faut faire progresser la distribution de l’audiovisuel dans l’Union européenne »

A six mois de l’échéance du 25 mai 2011, date à laquelle le Paquet télécom doit être transposé, la commissaire européenne en charge de l’Agenda numérique explique à Edition Multimédi@ ce qu’elle attend des Etats membres en faveur
des réseaux ouverts et des contenus accessibles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Est-ce que l’Europe sera prête à temps pour mettre en oeuvre les nouvelles directives du Paquet télécom pour enfin prendre en compte la convergence ? Neelie Kroes (photo) : L’interaction des secteurs audiovisuels
et des télécommunications est un sujet qui occupe la Commission européenne depuis longtemps, mais les défis évoluent rapidement. C’est pour cette raison que le Paquet télécom a
été réformé en 2009, pour prendre en compte cette convergence et différencier les objectifs en matière de réglementation des contenus de ceux de la réglementation des réseaux. D’une part, nous cherchons à faciliter la libre circulation des contenus à l’intérieur de l’Union européenne et, de l’autre, à ouvrir les réseaux, encourager la concurrence pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur. Nous tenons à ce que tous les acteurs aient accès aux réseaux et que l’accent soit mis sur le principe de neutralité technologique. Dans cette optique, les nouvelles règles d’accès permettent aux fournisseurs de contenus de diffusion de profiter des équipements des opérateurs de réseaux. Quant aux dispositions sur l’accès conditionnel (1), elles réitèrent l’importance des objectifs d’interopérabilité et de libéralisation, mais aussi de protection du consommateur. Ces mesures doivent être transposées à temps. Une transposition en ordre dispersé fragmenterait le marché intérieur et causerait des dommages énormes.

Neutralité du Net : les régulateurs n’attendent plus que les lignes directrices européennes

Le super-régulateur européen des télécoms (ORECE) a publié le 8 octobre 2010 sa réponse à la consultation publique de la Commission européenne sur la neutralité du Net. Il prône une approche prudente de la réglementation. En attendant des lignes directrices communautaires.

Par Winston Maxwell (photo), avocat, Hogan Lovells

Laisser une grande place à la concurrence pour régler d’éventuel dérives. Telle est la préconisation de l’ORECE, qui constate que
les incidents en matière de neutralité d’Internet sont rares en Europe. Ceux qui ont eu lieu ont pu être réglés rapidement sans l’intervention du régulateur. La neutralité stricte – à savoir le traitement non-discriminatoire de tous les flux – n’existe pas dans la réalité, car
des opérateurs appliquent d’ores et déjà tout genre de mesures
de gestion de trafic.