Neelie Kroes : « Il faut faire progresser la distribution de l’audiovisuel dans l’Union européenne »

A six mois de l’échéance du 25 mai 2011, date à laquelle le Paquet télécom doit être transposé, la commissaire européenne en charge de l’Agenda numérique explique à Edition Multimédi@ ce qu’elle attend des Etats membres en faveur
des réseaux ouverts et des contenus accessibles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Est-ce que l’Europe sera prête à temps pour mettre en oeuvre les nouvelles directives du Paquet télécom pour enfin prendre en compte la convergence ? Neelie Kroes (photo) : L’interaction des secteurs audiovisuels
et des télécommunications est un sujet qui occupe la Commission européenne depuis longtemps, mais les défis évoluent rapidement. C’est pour cette raison que le Paquet télécom a
été réformé en 2009, pour prendre en compte cette convergence et différencier les objectifs en matière de réglementation des contenus de ceux de la réglementation des réseaux. D’une part, nous cherchons à faciliter la libre circulation des contenus à l’intérieur de l’Union européenne et, de l’autre, à ouvrir les réseaux, encourager la concurrence pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur. Nous tenons à ce que tous les acteurs aient accès aux réseaux et que l’accent soit mis sur le principe de neutralité technologique. Dans cette optique, les nouvelles règles d’accès permettent aux fournisseurs de contenus de diffusion de profiter des équipements des opérateurs de réseaux. Quant aux dispositions sur l’accès conditionnel (1), elles réitèrent l’importance des objectifs d’interopérabilité et de libéralisation, mais aussi de protection du consommateur. Ces mesures doivent être transposées à temps. Une transposition en ordre dispersé fragmenterait le marché intérieur et causerait des dommages énormes.

EM@ : Quand émettrez-vous des lignes directrices sur les normes de qualité minimale pour préserver la neutralité du Net ?
N. K. :
Parmi les nouvelles dispositions du Paquet télécom, les régulateurs nationaux
ont pour mission de veiller à ce que la qualité des services ne se détériore pas. C’est un objectif en creux qui me semble important. Du reste, la question est complexe et c’est pour cette raison que la Commission a récemment mené une consultation publique sur
la neutralité du Net où est notamment abordée la question de la qualité minimale. Les réponses à cette consultation sont en cours d’analyse et nous devrions présenter les conclusions au Parlement européen et au Conseil de l’Union au début de 2011.

EM@ : Avec le rapport Gallo, les eurodéputés appellent la Commission européenne à légiférer contre le piratage en ligne. Souhaitez-vous la généralisation de l’Hadopi?
N. K. :
Le piratage en ligne reste un problème majeur. Dans une certaine mesure, le piratage est signe que la demande existe pour des contenus créatifs. Les politiques,
tout comme les acteurs économiques, ne doivent pas ignorer ce signal d’alarme. Toutes les mesures contre le piratage et concernant l’accès à Internet doivent être appropriées, proportionnées et nécessaires dans une société démocratique. En particulier, elles doivent respecter la présomption d’innocence et le droit à la vie privée. La communication de la Commission sur la stratégie numérique pour l’Europe prévoit un éventail d’initiatives dans ce domaine, et je travaille en ce sens de façon étroite avec mon collègue Michel Barnier (2). Faciliter l’offre légale est aussi un moyen de combattre le piratage, tout en répondant à la demande sous-jacente pour des contenus en ligne. La Commission européenne rendra compte d’ici à 2012 – sur la base du réexamen
de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle et après un dialogue approfondi avec les acteurs concernés – de la nécessité de mesures supplémentaires pour renforcer la protection contre les violations constantes des droits de propriété intellectuelle dans l’environnement en ligne.

EM@ : Comment allez-vous faire évoluer la directive « Propriété intellectuelle » pour l’adapter à l’Internet ?
N. K. :
Dans la stratégie numérique pour l’Europe, la Commission a mis en avant des mesures concrètes afin de simplifier l’acquittement et la gestion des droits d’auteur, ainsi que l’octroi de licences transnationales. Ces mesures incluent l’adoption d’un livre vert sur les possibilités offertes et les problèmes posés par la distribution en ligne d’œuvres audiovisuelles et d’autres contenus créatifs. Ce livre vert lancera un débat concret sur les possibilités de faire progresser la distribution de l’audiovisuel dans l’Union européenne, tout en respectant l’idée que la production et la distribution des œuvres audiovisuelles sont fondamentalement différentes de celles d’autres contenus. Nous sommes conscients du fait que les aides à la production des œuvres audiovisuelles sont nationales et que le financement et l’exploitation des films se déroulent au niveau national. La Commission européenne devra tenir compte de tout
le cadre de régulation de l’audiovisuel, notamment de la chronologie des médias, de
la protection des mineurs et de la promotion des œuvres européennes.

EM@ : Certains services audiovisuels à la demande (VOD, catch up TV, …) profitent en Europe d’une TVA réduite. Comprenez-vous que cela fasse polémique ?
N. K. :
Il est vrai qu’il existe actuellement des divergences dans les taux de TVA appliqués à des produits ou services comparables. Comme il est vrai qu’une directive européenne de 2006 exclut expressément l’application d’un taux réduit aux services fournis par voie électronique. Ce fut d’ailleurs un des motifs du gouvernement français pour justifier la hausse de la TVA pour les offres triple play. Donc, je comprends la polémique et dans ce cas, par exemple, la Commission européenne a demandé que le calcul de l’assiette d’application soit justifié en fonction des circonstances. Nous devons en effet être attentifs à tout alourdissement de la fiscalité sur les opérateurs, car le risque est grand que cette taxe soit répercutée sur les consommateurs. Comme la stratégie numérique le suggère, il faudra que les défis de la convergence soient abordés à l’occasion de tout réexamen de la politique générale, y compris en matière fiscale (3).

EM@ : Malgré l’assouplissement des règles de développement d’Apple,
la position dominante d’iTunes en Europe pose-t-elle un problème d’interopérabilité ?
N. K. :
Les questions d’interopérabilité dans le secteur des TICs (4) sont une priorité de
la stratégie numérique. Vous comprendrez si je réponds à votre question sans évoquer la situation de telle ou telle entreprise. En générale, les entreprises ont des incitations fortes à rendre leurs produits interopérables avec d’autres déjà sur le marché, voire à collaborer dans l’élaboration de spécifications ouvertes qui peuvent être exploitées par plusieurs opérateurs dans des produits différents. Or, à partir du moment où une entreprise détient une part importante du marché, ses intérêts peuvent changer – il
peut être plus intéressant de refuser l’interopérabilité avec ses produits afin de mieux exploiter l’attractivité de son propre produit et les effets de réseau dont il profite. Ce refus devrait être examiné dans le cadre des règles de concurrence et à la lumière de
la jurisprudence du tribunal de l’Union européenne dans l’affaire « Microsoft ». Or ce processus peut prendre du temps et des ressources considérables et, par conséquent, les décisions et mesures correctrices risquent d’être adoptées quand la concurrence a déjà été atteinte. C’est une situation problématique que la stratégie numérique propose d’aborder par des mesures, en dehors du droit de la concurrence d’application générale, qui pourraient conduire les acteurs économiques importants à continuer
à privilégier l’interopérabilité. De telles mesures seraient plus rapidement mises en oeuvre. Nous prévoyons de produire un rapport sur la faisabilité de telles mesures avant 2012. @