La quasi-neutralité du Net

En prenant l’autoroute ce vendredi soir pour partir en week-end, coincé dans un embouteillage, j’ai repensé à l’image qu’utilisa Tim Wu, professeur de droit à l’Université de Columbia, pour lancer le débat sur la neutralité du réseau
en 2005. En me présentant enfin à la barrière de péage,
j’ai eu le choix entre deux tickets. L’un me permettait de rouler
à la vitesse maximale autorisée en empruntant une voie spéciale “heuresde- pointe”, à condition d’être l’heureux propriétaire d’une voiture de la marque de l’un des trois constructeurs ayant signé un accord exclusif avec l’exploitant de la société d’autoroutes. L’autre m’autorisait à emprunter les voies encombrées par
le plus grand nombre. Bien sûr, ce qui précède n’a pas eu lieu, enfin pas tout à fait de cette manière, et j’ai dû prendre mon mal à patience. Les débats sur la neutralité de l’Internet ont pris une place croissante jusqu’à envahir l’espace de discussion publique du début de la décennie 2010, toutes les sensibilités s’exprimant au gré des attentes et intérêts des uns et des autres.

« Finalement, un équilibre instable a permis de définir un Internet fixe et mobile pour tous, assortis de conditions minimales d’accès en termes de qualité, de tarifs et de contenus »

Rémunération des artistes sur Internet : toujours pas de consensus à l’horizon

Après la mission Olivennes et les laborieuses lois Hadopi 1 et 2, la question centrale de la rémunération des artistes ne fait toujours pas l’unanimité malgré
la tentative du gouvernement de proposer, notamment via la mission Hoog,
des solutions sur la base du rapport Zelnik.

Par Katia Duhamel (photo) , avocate, cabinet Bird & Bird

Après les débats homériques qui ont présidé à l’adoption
des volets 1 et 2 de la loi Hadopi centrés sur une politique répressive contre le téléchargement illégal (malgré les mesures préventives sinon pédagogiques du volet 1),
le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, avait enfin souhaité engager la réflexion sur la question centrale de la rémunération des créateurs sur la Toile, notamment, dans le domaine musical. Soutenue par ce dernier lors du Midem (1) qui s’est tenu à Cannes fin janvier (2), la proposition d’introduire la gestion collective obligatoire des droits voisins pour le streaming et le téléchargement est loin de faire l’unanimité.
Si la Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem) y est favorable, les représentants des majors comme Pascal Nègre, le patron d’Universal Music ou bien le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) crient à l’abus de collectivisme et
au « kolkhoze ». Ils expliquent que – contrairement aux assertions du rapport remis le
6 janvier dernier par Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti – le marché du numérique est en train de décoller avec +56 % de croissance en 2009, que les majors ne freinent pas son développement, que les indépendants y sont déjà très présents ou que cela n’améliorera pas la rémunération des artistes etc…

Neutralité des réseaux et droits d’auteur : Internet ne veut pas devenir un Minitel

Laure Kaltenbach et Alexandre Joux, deux anciens de l’ex-Direction du développement des médias du Premier ministre, devenus directeurs du
Forum d’Avignon, publient « Les nouvelles frontières du Net ». Edition Multimedi@ fait état de leurs reflexions sur la future gouvernance de l’Internet.

En Europe, contrairement aux Etats-Unis, le débat sur la neutralité de l’Internet est
« très centré sur les contenus en ligne et la problématique du droit d’auteur, même si les deux combats (neutralité du réseau et propriété intellectuelle) ne s’opposent pas.
Se complètent-ils pour autant ? ». C’est du moins l’une des questions que se posent Laure Kaltenbach et Alexandre Joux, coauteurs d’un livre intitulé « Les nouvelles frontières du Net » (1) et anciens de la Direction du développement des médias (DDM) auprès du Premier ministre, devenue en début d’année la DGMIC (2).

France : trop de régulateurs pour être « neutre »

En fait. Lors du colloque du 13 avril sur la « neutralité du Net », une dizaine
de représentants de régulateurs – Arcep, CSA, Hadopi, CNIL et Autorité de la concurrence (manquait plus que l’Arjel, voire le juge !) – se sont succédés à
la tribune. Risque d’« incohérence » dans la régulation d’Internet.

En clair. Le débat sur la neutralité des réseaux repose la question de la régulation de l’Internet. Les autorités administratives indépendantes se bousculent autour du Net,
au point que leurs compétences respectives deviennent illisibles. Selon Denis Rapone, membre de l’Arcep, « la convergence et les nouveaux usages, tels que la vidéo à la demande ou la télévision de rattrapage, supposent des pouvoirs nouveaux des régulateurs. L’Arcep et le CSA doivent avoir une réflexion plus concertée et des avis croisés ». Mais il ajoute que l’on doit aussi s’interroger sur « les zones blanches de ces compétences concertées ». Régulation ? Corégulation ? Autorégulation ? Pour Isabelle Falque-Perrotin, présidente du Forum des droits sur l’Internet (FDI), « la convergence suppose l’articulation de l’action des régulateurs », régulateurs qu’elle a énumérés comme dans un inventaire à la Prévert : « CSA, Arcep, CNIL, Hadopi, …, juge constitutionnel ». D’autant que « la Net neutralité ne suffira pas dans un seul texte, car il y a le droit de la concurrence, le droit de la consommation, la liberté d’expression, … ». D’où, à ses yeux, « un risque de concurrence entre les régulateurs et d’incohérence ». Et de proposer : « pour résoudre cette question de l’interrégulation, il faut une plateforme neutre entre régulateurs pour qu’ils évoquent leur sujets communs. L’une des pistes à explorer est que le Conseil national du numérique joue ce rôle ». Or, le gouvernement tarde depuis un an à créer le CNN en concertation avec le FDI. Depuis une réunion interministérielle du Premier ministre le 20 novembre 2009, la question de savoir si le CNN est une évolution du FDI ou « la création d’une association ex-nihilo, suivie du transfert des actifs et du personnel du FDI » (1). La proposition d’Isabelle Falque- Perrotin a en tout cas séduit Emmanuel Gabla, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) : « La plateforme commune mérite réflexion », a-t-il lancé, après avoir assuré qu’ « il y a déjà une coopération très entre les autorités ; les régulateurs se parlent ». Pour lui, « les [postes de] télévision connectés sont une traduction flagrante de la convergence [télécomsaudiovisuel] et un big bang des communications électroniques, ce qui pose – avec les nouveaux services de médias audiovisuels [VOD, Catch up TV, ndlr] la question des compétences en matière de règlement de différends entre l’Arcep et le CSA ». Le législateur devra clarifier. @

Neutralité du Net : l’Europe consultera avant l’été

En fait. Le 13 avril, le colloque organisé par l’Arcep sur la « neutralité des réseaux » s’est tenu en présence de Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la Stratégie numérique, et, dans la salle, de la députée européenne Catherine Trautmann qui fut en charge du Paquet télécom.

En clair. La question du principe de neutralité de l’Internet, qui consiste pour les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à ne pas discriminer l’accès aux contenus numériques pour des raisons de concurrence ou de gestion de trafic, devrait être au cœur d’un débat plus européen que national. Pour ne pas dire mondial. « Le débat n’en est encore qu’au début en Europe », a prévenu lors du colloque Neelie Kroes, commissaire européenne en charge de la Stratégie numérique. « J’ai l’intention de lancer une consultation publique avant l’été, afin de faire progresser le débat sur la Net Neutrality en Europe », a-t-elle annoncé, tout en précisant que le nouvel Organe des régulateurs européens des communications électroniques – ou Berec (1), créé en janvier 2010 (EM@ 7 p. 5) – « a déjà constitué un groupe de travail sur cette question ». Elle a surtout rappelé que les nouvelles directives européennes du Paquet télécom adopté en novembre dernier, qui consacre « le droit des utilisateurs d’accéder et de distribuer de l’information ou de profiter des applications et des services de leur choix ». Et ce, au nom des « libertés fondamentales des internautes ».
Dans la salle, la députée européenne Catherine Trautmann (2) a pris ensuite la parole pour faire une piqûre de rappel sur ce principe du Parquet télécom : « Il y aura un problème si l’utilisateur signe avec son fournisseur d’accès un contrat dans lequel il n’est pas dit explicitement que ce dernier est susceptible de donner son adresse personnelle, au cas où une autorité politique, administrative ou juridique l’exigerait,
et sans que la reconnaissance de la non culpabilité initiale de l’utilisateur soit reconnue. Dans l’article 8 de la directive “‘Cadre”, il est demandé aux régulateurs de promouvoir
la neutralité du Net, et pas seulement de gérer un équilibre, tout en évitant les effets de politiques publiques qui seraient attentatoires aux libertés des citoyens internautes ». Cette disposition proscrit en effet toute discrimination dans l’accès à tous types de services et applications sur Internet, tandis que l’article 2 de la directive « Accès » donne pouvoir aux régulateurs de non seulement fixer le « niveau de qualité minimale » qu’ils pourront imposer aux opérateurs et FAI, mais aussi arbitrer les différends portant sur l’accès entre les réseaux et les fournisseurs de contenus numériques. @