Neutralité des réseaux et droits d’auteur : Internet ne veut pas devenir un Minitel

Laure Kaltenbach et Alexandre Joux, deux anciens de l’ex-Direction du développement des médias du Premier ministre, devenus directeurs du
Forum d’Avignon, publient « Les nouvelles frontières du Net ». Edition Multimedi@ fait état de leurs reflexions sur la future gouvernance de l’Internet.

En Europe, contrairement aux Etats-Unis, le débat sur la neutralité de l’Internet est
« très centré sur les contenus en ligne et la problématique du droit d’auteur, même si les deux combats (neutralité du réseau et propriété intellectuelle) ne s’opposent pas.
Se complètent-ils pour autant ? ». C’est du moins l’une des questions que se posent Laure Kaltenbach et Alexandre Joux, coauteurs d’un livre intitulé « Les nouvelles frontières du Net » (1) et anciens de la Direction du développement des médias (DDM) auprès du Premier ministre, devenue en début d’année la DGMIC (2).

« Politique de la terre brûlée ? »
« Un Internet moins ouvert, plus contrôlé, ne serait-il pas un moyen radical de mettre
un terme au piratage massif des œuvres et de financer le développement de nouvelles infrastructures en obligeant l’internaute à payer, soit directement pour sa bande passante, soit indirectement en accédant à des sites qui auront préalablement monnayé leur accessibilité ? N’est-ce pas là, cependant, jouer la politique de la terre brûlée ? », s’interrogent-ils. Pour les deux dirigeants du Forum d’Avignon, association présidée par Nicolas Seydoux (notre photo et article de Une) – patron du groupe Gaumont et par ailleurs président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) –, cela reviendrait à « aller contre les usages, contre les internautes, voire contre Internet et le transformer en une sorte de Minitel qui ne dit pas son nom, un service auquel Internet a, historiquement, constitué une réponse en forme d’alternative ». Reste qu’à leurs yeux, « la question de la protection des individus et des auteurs sur Internet est délicate et figure en tête de liste des préoccupations de l’avenir de la Toile ». et « trouver les clés de la rémunération équitable dans le monde numérique est devenu le sujet numéro 1 ». Et les deux auteurs qui, il y a un an encore, étaient, auprès de François Fillon, chef du Bureau des évaluation économiques et de
la société de l’information (Laure Kaltenbach) et chargé des études et des évaluations économiques (Alexandre Joux) de dénoncer au passage « les exemples contre-productifs ». Ainsi : « retarder la mise à disposition des DVD à quelques mois après les sorties en salle des films a notamment eu pour effet d’inciter les internautes à pirater les œuvres » (3) ou « tenter de rassurer les auteurs en mettant des DRM (verrous numériques) sur les œuvres a fait fuir les usagers ». Quant au financement des œuvres cinématographiques phiques et audiovisuelles, les deux dirigeants du Forum d’Avignon – qui a fait l’objet d’une convention sur trois ans avec le ministère de la Culture et de
la Communication et ayant pour objectif de « rapprocher les mondes de la culture, de l’économie et des médias » – affirme qu’« il y a fort à parier que le financement sur les modèles d’hier où les auteurs, pour l’audiovisuel et le cinéma en France, étaient payés par les chaînes de télévision, a fait long feu ». Et que « l’idée d’une régulation locale du financement de la création avec des fonds de soutien se heurte au phénomène mondial d’Internet ». D’autant que « les entreprises placent leurs équipes et sièges sociaux dans les lieux où la souplesse réglementaire et la compétitivité fiscale semblent les meilleurs… pour leurs intérêts ». Les Youtube, Amazon et autres iTunes
– les « intermédiaires techniques » où l’on retrouve aussi des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – se retrouvent à valoriser les contenus en lieu et place des industries culturelles elles-mêmes… « Le B to B to C, en permettant d’offrir des contenus d’apparence gratuite, est le signe d’un profond malaise. Cette remontée de tous
les acteurs dans la chaîne de valeur est risquée », mettent en garde les auteurs.
Réguler Internet ? Cette « nouvelle révolution » va, selon eux, « aboutir à une nouvelle redistribution des cartes entre les propriétaires d’Internet ». Cela suppose « une remise
à plat des politiques de régulation ». Mais la corégulation ne suffira pas s’il n’y a pas
de normes techniques communes, comme pour le « traçage des œuvres »
(« metadonnées » mondialement reconnues) destiné à lutter contre le piratage
sur Internet.

« Un plan B opérationnel »
Cet exemple renvoie à la gouvernance du Net et à la normalisation internationale. Or,
« la guerre pourrait faire rage entre les différentes instances qui souhaitent maîtriser le réseau des réseaux». Dédale, méandre, acronymes (ICANN, IETF, W3C, …) : il n’est
pas facile de s’y retrouver entre les différents organismes anglosaxons qui donnent
« la prédominance aux Etats-Unis ». Entre remise en cause totale du système de gouvernance actuel et la question d’« un plan B opérationnel », il n’y a qu’un pas que les auteurs verraient bien franchi. « La question mérite d’être traitée directement entre les différents gouvernements » . @