Catherine Trautmann : « Garantir aux internautes la liberté de distribuer et d’accéder aux contenus »

Alors que le « Paquet télécom » doit être adopté fin novembre par le Parlement européen, la députée européenne et rapporteur du projet – Catherine Trautmann – explique à « Edition Multimédi@ » la portée historique de ces nouvelles directives Communications électroniques.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Les deux précédents Paquets télécom étaient très axés
« tuyaux ». En quoi celui-ci prend mieux en compte les services et les contenus numériques ?
Catherine Trautmann :
Cette nouvelle législation européenne
des communications électroniques assure une meilleure protection de la vie privée et l’affirmation des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Cela passe par le développement progressif d’une concurrence entre les services. En particulier en matière de
« neutralité du Net », les régulateurs nationaux pourront non seulement fixer le niveau de qualité minimale qu’ils pourront imposer aux opérateurs et fournisseurs d’accès Internet, mais aussi arbitrer les différends portant sur l’accès entre les réseaux et les fournisseurs
de contenus numériques (article 2 de la nouvelle directive « Accès »). Ils doivent promouvoir la liberté des usagers de distribuer et d’accéder à l’information, à tous
types de services et applications, sans discrimination (article 8, directive « Cadre »).
Le Paquet télécom prévoit en outre des contrats plus clairs entre les citoyens et leurs opérateurs, un numéro d’appels d’urgence plus accessible, une hotline pour les enfants disparus, le droits des personnes handicapés mieux pris en compte ou encore la possibilité de changer d’opérateur télécoms en un jour.

EM@ : Les régulateurs nationaux comme l’Arcep en France peuvent imposer aux opérateurs télécoms dominants la séparation fonctionnelle entre leurs activités réseau et services…
C. T. :
Les nouvelles directives fixent de meilleures règles de concurrence entre les anciens monopoles de télécommunications et les nouveaux entrants, notamment dans les infrastructures : Internet haut débit pour tous, fréquences pour les mobiles 3G, réseaux de fibre optique… Pour cela, le Paquet télécom donne en effet la possibilité
aux régulateurs nationaux – qui doivent être plus que jamais indépendants de l’industrie et des gouvernements – d’aller jusqu’à imposer (comme au Royaume-Uni, en Pologne ou en Italie) la “séparation fonctionnelle” aux opérateurs puissants sur leur marché, moyennant une étude d’impact préalable sur le bilan en termes d’emplois. Afin de prendre des décisions cohérentes entre les Vingt-sept, ces mêmes régulateurs nationaux se concerteront au sein du nouvel Organe des régulateurs européens de communications (Berec) qui sera créé début 2010.

EM@ : Pourquoi la question de l’Internet est restée jusqu’au bout un point de blocage ?
C. T. : L’amendement 138 – qui stipulait “qu’aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires (…) sauf lorsque la sécurité publique est menacée” – a finalement été modulé pour ne pas faire échec à l’ensemble du Paquet télécom. Mais le débat qu’il a suscité durant des mois a permis d’affirmer qu’Internet est un moyen essentiel pour l’exercice des droits et libertés fondamentaux. L’accord historique sur le Paquet télécom que nous avons validé à l’unanimité – dans la nuit du 4 au 5 novembre à Bruxelles entre le Parlement européen, la Commission européenne et les Etats membres – est une très bonne nouvelle pour la vie privée des Européens, les contenus numériques
et la protection des données personnelles. C’est un pas important pour toutes les directives européennes liées à cet ensemble législatif, qui sera transposé en droit national par les Vingt-sept à partir de l’année prochaine et appliqué par les autorités
de régulation nationales.

EM@ : Pourquoi un procès préalable avant toute coupure d’Internet en cas de piratage n’a pu être imposé ?
C. T. : Cet amendement prévoyait une “obligation d’un procès préalable et d’une décision qui serait prononcée par un juge [par une autorité judiciaire]”. Ceci posait problème au Conseil de l’Union européenne (UE). Nous avons tenu à discuter jusqu’au bout de l’amendement 138 – qui avait été voté par trois fois par le Parlement européen, dont deux avec une écrasante majorité dans son hémicycle – et à en garder le contenu, le sens et les principes. Le Parlement européen, le comité de conciliation et les trois rapporteurs du Paquet télécom – ceux que j’ai appelé les Trois mousquetaires (Malcolm Harbour, Pilar Del Castillo et Catherine Trautmann) – ont finalement abouti à une parfaite cohérence et sécurité juridique des différents textes. Même si nous avons accepté de reconnaître que nous devions faire une concession importante par rapport au texte même de cet amendement, à savoir que le Parlement européen n’a pas – au titre de l’article 95 du Traité qui était la base de cette directive – d’autorité pour imposer à un Etat membre son organisation judiciaire. Après vérification auprès du service juridique du Parlement européen, le débat a été tranché pour éviter l’échec du Paquet télécom. Mais nous avons donné et affirmé les critères de la procédure qui dit être loyale, impartiale et respectant la présomption d’innocence, dans le respect des droits du citoyen. Cette procédure juste doit permettre d’agir “préalablement” à toute sanction. Nous nous sommes en effet battus pour garder dans le texte le terme “prior”. Cette défense du citoyen est “première” par rapport à toute application d’une mesure de restriction d’accès à Internet ou de sanction décidée par un Etat membre et exécutée par des opérateurs télécoms [ou fournisseur d’accès à Internet, ndlr]. Les droits “préalables” du citoyen et la procédure judiciaire sont ainsi clarifiés, notamment lors
de la transposition de la directive “Cadre”.

EM@ : Avec l’adoption de la loi Hadopi de lutte contre le piratage sur Internet,
la France est-elle en conformité avec le prochain Paquet télécom ?

C. T. : La loi française Hadopi 2, qui a déclenché le débat, n’est pas pour autant conforme à ce nouveau droit européen. Elle impose bien le recours à un juge [et non pas à la nouvelle autorité administrative Hadopi comme le prévoyait le projet de loi Hadopi 1 censuré par le Conseil constitutionnel français, ndlr] mais elle maintient
la possibilité d’une procédure rapide non contradictoire (procédure simplifiée de l’ordonnance pénale) sans débat préalable et avec un juge unique. La loi Hadopi
ne donne pas un droit complet de se défendre. Nous avons donc eu raison de considérer que nous faisions un grand progrès en discutant avec le Conseil de l’UE
de la procédure, laquelle sera donc transposée dans les droits nationaux. Nous pouvons ainsi influer positivement dans l’élaboration des textes de loi, si ces derniers ne soient pas décidés avant la transposition des prochaines directives Paquet télécom.

EM@ : Que va y gagner l’internaute ou le mobinaute européen ?
C. T. : Des garanties. Nous avons accepté de reprendre ce qui était présent dans l’amendement 138, en lui donnant un contenu plus précis. A savoir que, dans des cas extrêmes qui nécessiteraient une telle coupure de l’accès Internet, les gouvernements puissent le décider mais de façon justifiée, en cas d’urgence et en respectant la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce Paquet télécom est aussi une véritable chance pour la reprise économique, il donne aux entreprises de ce secteur
la possibilité d’investir sans avoir à recourir à une contribution publique. @