Jérémie Manigne, groupe SFR : « Il faut sans doute réfléchir à une autorité de régulation unique »

Directeur général au sein du groupe SFR, en charge de l’innovation, des services et des contenus, Jérémie Manigne – également co-auteur du rapport « TV connectée » – explique à EM@ comment les règles du jeu devraient évoluer. Sa stratégie passe par la « coopétition » avec les acteurs du Web.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous êtes – avec Takis Candilis (Lagardère), Marc Tessier (VidéoFutur), Philippe Levrier (ex-CSA) et Martin Rogard (Dailymotion) – l’un des cinq co-auteurs du rapport « TV connectée » remis aux deux ministres Frédéric Mitterrand et Eric Besson : quelles sont les plus importantes propositions de la mission ?
Jérémie Manigne :
Le rapport met en lumière la nécessité d’adapter rapidement les règles, qui s’appliquent aux acteurs de l’audiovisuel français, à un contexte de plus en plus ouvert et mondialisé, où Internet s’impose peu à peu comme média de diffusion de contenus. Les mesures proposées visent, d’une part, à permettre le développement d’acteurs français et européens puissants capables de rivaliser avec leurs concurrents internationaux et, d’autre part, à pérenniser le soutien à la création audiovisuelle française en y faisant participer l’ensemble des acteurs de l’Internet.

Les FAI et le cinéma français en chiens de faïence

Le 25 octobre dernier, le président de la République a reçu des représentants du cinéma (Bloc, ARP, UPF, SACD, …) et le CNC à propos du budget de ce dernier adopté par les députés dans le projet de loi de finances 2012. Les opérateurs télécoms, eux, contestent la taxe télévision (TST).

Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – au premier rang desquels Free qui a sorti
en décembre 2010 la distribution des chaînes de télévision de son offre triple play pour réduire sa taxe au Compte de soutien à l’industrie de programmes (Cosip) – se rebiffent une nouvelle fois (1). La FFT a en effet réagi vertement contre l’amendement TST (taxe sur les services de télévision) adopté le 21 octobre à l’Assemblée nationale. Non seulement il empêche les FAI d’échapper à la taxe Cosip mais il autorise en plus l’Etat à détourner une partie des recettes « plafonnées » perçues par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), lequel gardera 229 millions d’euros sur les 300 millions que pourrait rapporter – selon l’Arcep – la TST en 2012. En 2010, ce prélèvement avait été de 190 millions d’euros. Ainsi, les membres de la FTT – qui s’attendaient à payer la même somme l’an prochain – « contestent fortement l’idée d’une TST dont l’excédent, audelà de la part nécessaire pour le financement des actions du CNC, servirait à abonder le budget de l’Etat, ce qui reviendrait à ajouter un nouveau prélèvement sur l’accès à Internet fixe et mobile » (2). Près de 100 millions d’euros de surplus pourraient ainsi être réaffectés au futur Centre national de la musique (CNM), lequel sera à la filière musicale ce qu’est le CNC au cinéma français (3). Comme l’an dernier, une partie des recettes du CNC vont être détournés par l’Etat. Comme l’an dernier, une plainte pourrait être déposée auprès la Commission européenne par Free et/ou la Fédération française des télécoms. A moins que les opérateurs télécoms n’obtiennent gain de cause au Sénat… En réalité, les FAI se retrouvent entre le marteau, à savoir les sociétés de gestions des droits – via Sorecop et Copie France – qui veulent augmenter la rémunération de la copie privée (taxation des box, des smartphones, …), et l’enclume, que sont les producteurs audiovisuels et cinématographiques qui préfèrent les prélèvements à la source pour subventionner leurs investissements (via le CNC, bientôt le CNM, …). Le Conseil d’Etat, avec sa décision du 27 juin dernier, leur avait passé du baume au coeur en annulant la décision nº 11 de la Commission copie privée prévoyant de taxer les smartphones. Mais ce qu’ils récupèreraient d’un côté, ils le perdraient de l’autre. @

BitTorrent lance dès janvier 2012 un protocole de streaming sur réseau peer-to-peer

La société américaine BitTorrent, dont le célèbre protocole peer-to-peer a été créé
il y a maintenant dix ans pour s’affranchir de tout serveur au profit des ordinateurs interconnectés des internautes, va lancer au CES 2012 un streaming fonctionnant en peer-to-peer !

Les industries culturelles se sont méfiées de BitTorrent, soupçonné de favoriser le piratage sur les réseaux peer-to-peer (P2P). Elles vont peut-être être terrifiées à l’idée
que cette société américaine va lancer, lors du prochain Consumer Electronics Show (CES) de janvier 2012 à Las Vegas, un nouveau protocole sur Internet baptisé P2P Live Streaming Protocol. Il permettra aux internautes de s’échanger entre eux des contenus (films, programmes, vidéos, …) comme ils le font actuellement en téléchargement sur réseau peer-to- peer, mais cette fois en streaming.

TV : l’alliance Orange-Canal+ reste sous surveillance

En fait. Le 15 juillet, France Télécom et Canal+ ont présenté leur projet d’alliance dans la télévision payante : le bouquet de chaînes payantes Orange Cinéma
Séries se retrouvera d’ici la fin de l’année dans une co-entreprise détenue à
66,66 % par l’opérateur télécoms et à 33,33 % par la chaîne cryptée.

En clair. Il n’y aura pas de fusion entre Orange Cinéma Séries et TPS Star au sein d’une joint-venture détenue à parts égales, contrairement à ce qui avait été envisagé en janvier (EM@ 28, p. 5), ni de nouvelle chaîne qui devait s’appeler Orange Ciné Star. Le risque de « monopole » dans la télévision payante et la procédure en cours de l’Autorité de la concurrence sur la « position dominante de Canal+ » sur ce marché (1) ont amené les protagonistes à revoir leur copie. Plus question de fusion mais de
« partenariat », avec transformation de la filiale OCS (Orange Cinéma Séries) en
co-entreprise détenue pour deux tiers par France Télécom et pour le tiers restant par
le groupe Canal+. Pour l’heure, avec seulement 400.000 abonnés, le bouquet a fait perdre à France Télécom 300 millions d’euros par an depuis 2008. Reste à savoir si
les salariés d’OCS, qui avaient manifesté en janvier leurs inquiétudes sur la fusion avec TPS Star, seront pleinement rassurés.
Et si l’Autorité de la concurrence, qui doit faire le bilan des engagements pris par Canal+ jusqu’à fin 2012 lors de la fusion en août 2006 entre TPS et CanalSat, donnera son feu vert sans conditions à ce partenariat qui reste « dominant » sur le marché de la TV payante. Quant aux organisations du cinéma, via le Bloc, elles s’étaient inquiétées
d’« une réduction de 60 millions d’euros des coûts de grille des chaînes concernées » et de « l’absence d’un maintien dans l’avenir des engagements (…) vis-à-vis de la création cinématographique ». Selon nos informations, les producteurs de films se disent rassurés mais restent vigilants sur les engagements pris jusqu’en 2013 : les coûts de grille diminueraient finalement de seulement 20 millions d’euros, à 100 millions. Par ailleurs, des négociations doivent se tenir en septembre sur la TV de rattrapage et les abonnés mobiles. La distribution des cinq chaînes du bouquet OCS (2) sera élargie au-delà des seuls abonnés d’Orange, auprès de « tous les opérateurs que le souhaitent ». Ironie de l’histoire, France Télécom avait porté plainte en novembre 2008 contre Canal+ accusé de « verrouiller le marché de la télévision payante » en évinçant les FAI ! A défaut de pouvoir revenir sur les exclusivités de l’ADSL, des mobiles, de la TNT et du satellite, qui avaient eu la bénédiction de Bercy en 2006, l’Autorité de la concurrence a néanmoins gardé un œil sur Canal+ pour « l’extension des clauses d’exclusivité » à la fibre optique ou à la TV de rattrapage. @

Fusion entre FFT et Afom, sans Free ni Numericable

En fait. Le 3 janvier, a été « officialisée » – avec Eric Besson – la fusion de l’Association française des opérateurs mobile (Afom) au sein de la Fédération française des télécoms (FFT). L’Afom devient un « collège mobile », dont l’ancien président Jean-Marie Danjou devient directeur général délégué.

En clair. Les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet (FAI), d’un côté,
les opérateurs mobiles (Orange, SFR, Bouygues Telecom) et les opérateurs mobiles virtuels (MVNO), de l’autre, font converger leurs lobbying pour mieux se faire entendre des pouvoirs publics (gouvernement, parlementaires, régulateurs). A l’heure de la convergence numérique et des offres quadruple play (1), et dans un contexte d’évolutions réglementaires de plus en plus contraignantes pour les opérateurs de réseaux, la fusion – absorption de l’Afom par la FFT s’est imposée. Mais le ministre chargé de l’Economie numérique, Eric Besson (2), qui « s’est félicité de cette fusion », ne verra pas qu’une seule tête pour autant au sein du futur Conseil national du numérique (CNN). Selon nos informations, Numericable a profité de la réorganisation mi-décembre de la Fédération française des télécoms (FFT) pour ne pas renouveler son adhésion en tant que membre fondateur (3). Des contraintes budgétaires propres au câblo-opérateur seraient à l’origine de cette décision.
Autre électron libre : Free a bien été membre fondateur de la FFT lors de sa création
en septembre 2007 mais il a claqué la porte un an après pour reprendre sa liberté de parole en vue de se lancer dans la fibre optique et dans la quatrième licence mobile. Ces derniers mois, Free Mobile était néanmoins membre de l’Afom mais cela n’a pas duré non plus puisque la filiale du groupe Iliad n’a pas souhaité rejoindre la FTT lors de la fusion.
Le quatrième opérateur mobile, qui est en négociation difficile avec Orange, SFR et Bouygues Telecom pour la partie mutualisée de son futur réseau 3G, a préféré prendre ses distances estimant concurrence et position commune incompatibles. C’est aussi pour cette raison que l’Aforst, représentant les opérateurs concurrents de France Télécom, coexiste toujours. Pourtant, au moment où tous sont confrontés à un
« ralentissement » de leurs revenus les sujets communs ne manquent pas pour l’année 2011 : hausse de la TVA sur les offres triple play, contribution au Cosip pour financer des films (plus de 150 millions d’euros prévus cette année), contribution à l’audiovisuel public (taxe « France Télévisions de 0,9 %), coût de mise en oeuvre de la réponse graduée (Hadopi) extension de la taxe copie privée aux « box » avec disque dur et
aux tablettes multimédias, engagements en faveur des consommateurs (accord de septembre 2010) ou encore lourds investissements liés à la fibre optique et à la 4G. @