La dévalorisation de la presse papier s’accélère face à un numérique tardant à prendre le relais

Valorisé plus de 1 milliard de dollars il y a quelques années, le Washington Post
est cédé à Jeff Bezos – patron d’Amazon – 250 millions de dollars. Ce rachat, annoncé le 5 août, illustre une nouvelle fois la chute interminable de la presse
que le numérique ne réussit pas à revaloriser.

Dans la torpeur de l’été, ce fut une annonce choc : la vente de l’emblématique Washington Post à Jeffrey P. Bezos, le milliardaire fondateur et patron d’Amazon, pour seulement quelques dizaines de millions de dollars. Deux jours auparavant, ce fut à un autre quotidien, le Boston Globe, né lui aussi il y a environ 150 ans aux Etats-Unis,
de passer dans les mains d’un autre milliardaire, John Henry, pour une bouchée de pain (70 millions de dollars).

Maurice Botbol, président du Spiil : « Ce sont les sites de presse innovants qui méritent d’être aidés en premier lieu »

Président du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) depuis 2009 et directeur fondateur de Indigo Publications, Maurice Botbol nous explique les propositions que lui et Edwy Plenel – reçus à l’Elysée le 28 février – ont faites en faveur de la presse numérique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

MB

Edition Multimédi@ : Le Spiil s’est insurgé une nouvelle fois contre le taux de TVA à 19,6 % imposé à la presse en ligne, alors que la presse imprimée, elle, bénéficie du super taux réduit de 2,10 %. François Hollande a-t-il répondu à votre lettre ouverte du 26 février ?
Maurice Botbol : Non, le président de la République n’a pas encore répondu à notre courrier. Mais, avec Edwy Plenel, secrétaire général du Spiil, nous avons été longuement reçus le 28 février à l’Elysée par David Kessler, conseiller pour la culture et la communication. Nous lui avons notamment remis un mémoire juridique expliquant pourquoi la presse numérique estime être dans son droit en lui appliquant le même taux
de TVA que la presse papier (1). Il s’est montré très attentif à notre argumentation et nous a assuré de son soutien. Nous lui avons expliqué, et il en a convenu, qu’il était difficile de défendre le principe de neutralité fiscale pour le livre numérique, et pas pour la presse. Cette situation est d’autant plus paradoxale que les ministres Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti (2) ont annoncé le 22 février qu’elles s’appuieraient sur le principe de neutralité fiscale pour défendre le taux réduit de TVA pour le livre numérique devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Nous avons annoncé, pour notre part que si les redressements fiscaux que subissent nos adhérents qui appliquent la TVA à 2,10 %
(Arrêt sur images et Dijonscope) étaient maintenus, nous poursuivrions l’Etat français devant la CJUE. Et nous utiliserions alors contre lui les mêmes arguments qui lui servent à défendre sa position sur le livre numérique !

Google risque d’accroître la presse à deux vitesses

En fait. Le 1er février, le chef de l’Etat François Hollande et le PDG de Google Eric Schmidt ont annoncé un accord « historique » signé – pour trois ans – entre le géant du Net, éditeur de Google Actualités, et IPG (presse d’information générale) : à qui va profiter le fonds de 60 millions d’euros ?

En clair. Même si les 60 millions d’euros de Google peuvent être perçus comme
une aumône, le numérique risque d’accroître en France la fracture entre une presse subventionnée et l’autre peu ou pas aidée par l’Etat français, lequel dépense déjà
1,2 milliard d’euros par an à ce secteur en crise. Or, à peine 20 millions d’euros vont actuellement au développement de la presse en ligne, qui est de plus toujours pénalisée par une TVA à 19,6 % – au lieu du super taux réduit de 2,10 % dont bénéficie la presse papier agréée CPPAP (1). Le Premier ministre et la ministre de la Culture et de la Communication ont justement confié à Roch-Olivier Maistre le soin de mener une concertation sur la refonte de ces aides d’Etat. Mais l’arrivée de Google sur ce terrain sensible pourrait faire autant de dégâts qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine ! D’autant que Google a signé l’accord avec la seule IPG, organisation créée il y a moins d’un an par trois syndicats de la presse dite d’information politique générale : SPQN (presse quotidienne nationale), SEPM (presse magazine) et SPQR (presse quotidienne régionale). Par exemple, le Geste (2) regrette que « cette reconnaissance se limite au périmètre IPG ». D’après le député Michel Françaix (SRC), qui a rendu son rapport sur
les aides à la presse en octobre 2012, celles-ci restent trop orientées vers la distribution de la presse imprimée et ne soutiennent pas suffisamment le développement de la presse en ligne. Un autre rapport, remis en septembre 2010 au gouvernement par le consultant Aldo Cardoso, avait aussi recommandé de « privilégier l’innovation ». De plus, la transparence et l’efficacité de toutes ces aides publiques laissent à désirer.
Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), qui s’était déclaré opposé à cette nouvelle « taxe Google » négociée par une partie de la presse, demande la publication de l’accord Google-IPG et craint des risques de « distorsions
de concurrence » entre journaux due à cette « aide privée soutenue par les pouvoirs
publics ». Et ce, après avoir demandé en octobre 2012 la fin des aides directes d’Etat
à la presse au profit d’une aide à la presse en ligne. Dommage collatéral : le pure player Rue89 a été contraint de démissionner du Spiil le 1er janvier dernier à la demande de sa maison mère Le Nouvel Observateur, laquelle préside l’IPG (3). @

Nicolas Beytout aurait levé 12 sur 15 millions d’euros

En fait. Le 21 novembre, un « propre du dossier » a indiqué à EM@ que Nicolas Beytout, l’ancien PDG des Echos et ex-directeur de la rédaction du Figaro, va pourvoir lancer début 2013 son « Mediapart de droite » – quotidien papier et site web. Il aurait levé 12 millions d’euros sur les 15 millions nécessaires.

En clair. Le projet bi-média de Nicolas Beytout va pouvoir être lancé au début de l’année 2013. Selon nos informations fin novembre, l’ancien PDG du groupe Les Echos aurait
déjà récolté 12 millions d’euros auprès de plusieurs investisseurs, amis et mécènes. Cela représente l’essentiel des 15 millions qu’il doit atteindre pour financer le lancement de son quotidien papier et de son site web d’informations politiques et économiques destinés aux décideurs. Bien qu’il n’ait pas pu boucler cette levée de fonds dès l’été dernier comme il l’espérait, Nicolas Beytout, y parviendrait avant fin décembre. Les deux médias à valeur ajoutée et complémentaires vont faire la part belle aux analyses, commentaires (sur le modèle de la « lex column » du Financial Times), paroles d’experts et enquêtes/investigations. Le site web génèrera l’audience et le quotidien papier ciblera son lectorat CSP++. D’un côté, le quotidien papier haut de gamme d’une vingtaine de pages sera diffusé – dans un premier temps gratuitement – à plus de 10.000 exemplaires auprès de lecteurs très qualifiés. Il sera financé par la publicité et les abonnements. De l’autre,
le site de presse en ligne sera lui aussi haut de gamme, avec une diffusion multi-support (web, édition numérique, application mobile), et donnera de la visibilité à l’ensemble.
Evoqué dès la rentrée, mais avec une certaine confusion sur la périodicité de la version papier, quotidienne ou hebdomadaire (1), le projet bimédia de Nicolas Beytout s’inspire
du quotidien italien Il Foglio qui diffuse non seulement une version print dans certains kiosques ou par abonnement, mais aussi des versions numériques pour ordinateurs, tablettes et smartphones. Le principe rédactionnel de Il Foglio, dont va s’inspirer celui
qui fut directeur de la rédaction des Echos (2) puis du Figaro, consiste à proposer des résumés d’actualités du jour les plus marquantes accompagnées chacune de commentaire et analyse. Les formules d’abonnement vont de un mois (25 euros) à un µ
an (205 euros). Le quotidien italien est également publié le samedi. Il a également déjà
été dit que le site web de Nicolas Beytout serait un « Mediapart de droite ». Le site web d’informations de politique générale fondé par l’ancien directeur de la rédaction du Monde, Edwy Plenel, propose des formules d’abonnement à 9 euros par mois ou à 90 euros pour un an. @

Augmented Journalism

« Eh ! Viens voir ce numéro du Monde ! Et celui-ci du Financial Times ! ». Cette amie, qui me tire par la manche pour me montrer journaux et magazines, n’est pas devant un kiosque d’un autre temps. Non, ce matin nous sommes allés chiner aux puces. Et ce sont des exemplaires d’une presse papier déjà un peu jaunis qu’elle me montre avec les yeux brillants du collectionneur averti. C’est presque en la portant que je la ramène chez moi, à moitié évanouie d’émotion à la vue d’une Remington portative bien fatiguée ! Ce sont des symboles d’une aventure extraordinaire, celle de journalistes du quotidien ou enquêteurs au long cours, qui nous informèrent ou nous firent rêver, à l’aide d’une feuille, d’un stylo
ou d’un simple clavier. Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un instant car un nouvel âge d’or du journalisme se dessine. Si, durant cette longue transition numérique, les rédactions ont perdu des dizaines de milliers de journalistes, peu à peu ce journalisme « diminué » par la crise se transforme en un journalisme « augmenté ». Ce journaliste
d’un nouveau genre est, comme ses anciens, toujours sur le terrain. Un terrain lui aussi augmenté, tout à la fois monde physique et monde numérique. Pour en arriver là, il a bien fallu que les professionnels de l’info prennent en main ces nouveaux outils qui leur firent d’abord si peur. D’autant que Monsieur Tout-le-monde remettait en cause leur statut en blogant, en tweetant, en commentant en ligne l’actualité ou en envoyant aux rédactions des photos ou des vidéos prises dans l’instant.

« Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un
instant car un nouvel âge d’or du journalisme se
dessine, à la fois physique et numérique »