Neelie Kroes : « Un marché unique en ligne européen »

En fait. Les 14 et 19 janvier, la commissaire européenne Neelie Kroes – auparavant chargée de la concurrence – a été auditionnée à deux reprises par le Parlement européen à Bruxelles. C’est ce 10 février qu’elle prendra officiellement le portefeuille « Agenda numérique ».

En clair. Ce n’était pas gagné d’avance ! D’autant qu’une partie des eurodéputés, qui ont auditionné Neelie Kroes, n’avaient pas été pleinement convaincus la première fois. Il faut dire que l’ancienne commissaire européenne à la Concurrence hérite des dossiers épineux de Viviane Reding. Sur la neutralité de l’Internet, que le Parlement
de Strasbourg examinera cette année, elle a déclaré qu’elle « protègera » le principe.
« [Les fournisseurs d’accès à Internet] ne devraient pas être autorisés à limiter l’accès au service ou le contenu pour des motivations commerciales, mais seulement en cas de problèmes de sécurité et de spam ». Sur la mise en place en Europe d’un marché unique en ligne, elle a affirmé que « ce n’[était] pas un but en soi, mais un moyen d’apporter des changements » et qu’elle entend y parvenir d’ici la fin de son mandat. Cela suppose une « disponibilité totale du haut débit ». Sur la propriété intellectuelle, Neelie Kroes a estimé que la législation européenne dans le domaine du droit d’auteur était encore « un patchwork de règles nationales » et a rappelé l’engagement pris par les sociétés d’auteurs de mettre en place des « licences multi territoriales » (1). La Néerlandaise a en outre appâté les eurodéputés, dont Catherine Trautmann, avec les négociations internationales sur un texte « anti-contrefaçon » dit ACTA (2) qui n’irait pas au-delà de ce qui prévu dans le Paquet télécom adopté en fin novembre dernier en matière d’Internet (coupure de l’accès après un procès équitable) et de droit fondamental (voir EM@ n°1). Sur la lutte contre la cyber criminalité, la commissaire désignée a répondu sur la nécessité d’un Office de régulation du cyberespace de l’Union européenne. Elle n’y est pas très favorable et lui préfère une plus grande coopération entre les Etats membres et un rôle accru de l’actuelle agence Enisa (3). Objectif : faire du Net en Europe « l’endroit le plus sûr pour les consommateurs ».
Sur le dividende numérique (les fréquences dites en or libérées d’ici à 2012 par l’extinction de la diffusion analogique au profit de la télévision numérique),
la commissaire rappelle l’initiative du Parlement européen d’organiser un sommet sur
le spectre afin d’harmoniser les politiques et d’aboutir à un marché unique. Dans sa réponse écrite aux eurodéputés datée du 22 décembre 2009, Neelie Kroes fixe comme objectif « d’offrir à tous les Européens l’accès aux (…) haut débit (…) d’ici à 2013 ». @

NKM aurait préféré « Société numérique »

En fait. Le 19 janvier, Nathalie Kosciusko-Morizet a indiqué – lors de ses
vœux 2010 – qu’elle aurait préféré « Société numérique » à « Economie numérique » pour mieux refléter les aspirations de son poste, où elle a été nommée il y a un an maintenant. Rendez-vous après les élections régionales ?

En clair. C’est dans « l’antichambre d’une prison où je n’étais jamais venue », dixit NKM au début de son discours à la Conciergerie à Paris, que la secrétaire d’Etat à la Prospective et au Développement de l’économie numérique a fait part d’un regret un
an après avoir remplacé Eric Besson à cette fonction ministérielle. « J’aurais préféré “Société numérique” à “Economie numérique” pour mieux refléter les aspirations numériques du secrétariat tournées vers la société tout entière », a expliqué Nathalie Kosciusko-Morizet. En marge de son intervention, elle a précisé à Edition Multimédi@ que « “l’économie numérique” était un peu réducteur ». Et à la question de savoir si son secrétariat sera prolongé au-delà des élections régionales (elle est candidate dans le département de l’Essonne aux côté de Valérie Pécresse, tête de liste UMP en Ilede- France), elle répond qu’« il n’y a pas de raison [que cette fonction ministérielle, ndlr] disparaisse, bien au contraire, surtout avec les 4,5 milliards d’euros du grand emprunt national qui vont être consacrés au numérique et gérés par le Fonds national pour
la société numérique », indiquant au passage qu’elle « pilotera avec René Ricol, commissaire général aux investissements, en liaison avec les autres ministères concernés ». Autrement dit, il y a du pain sur la planche. De quoi tordre le cou à une rumeur qui coure sur une possible disparition du secrétariat d’Etat à l’Economie numérique après les élections de mars. Finalement les 4,5 milliards d’euros du grand emprunt pourraient plaider en faveur du maintien d’un tel portefeuille, mais peut-être sous un autre nom (“Société numérique” ?).
D’autant que NKM a contribué – notamment lors d’un séminaire sur le numérique qu’elle a organisé le 10 septembre 2009 – à convaincre la “commission Rocard-Juppé” d’allouer 12,8 % du grand emprunt au numérique. « Plus de 15 % [si l’on rajoute, « une part des moyens qui seront également affectés à la recherche, à l’industrie et aux pôles de compétitivité »] du grand emprunt au numérique, c’est énorme ! », a-t-elle affirmé
à la Conciergerie. Comme prévu par le président de la République le 14 décembre dernier (lire EM@ n°4, p. 4) et confirmé par le Premier ministre le 18 janvier dans
les Yvelines, 2 milliards d’euros iront au développement du très haut débit par les opérateurs télécoms et les collectivités locales (1). Et comme il n’y pas que les infrastructures, 2,5 milliards d’euros iront bien aux usages et contenus numériques. @

L’Asic ne dira mot sur la « taxe Google »…

En fait. Le 19 janvier, lors des voeux de Nathalie Kosciusko-Morizet, Giuseppe
de Martino a indiqué à Edition Multimédi@ que l’Association des services Internet communautaires (ASIC), dont il est président avec Pierre Kosciusko-Morizet
(frère de NKM), ne prendra pas position sur la « taxe-Google ».

En clair. Alors que le rapport Création & Internet (1) a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses réactions, une organisation professionnelle garde le silence.
C’est l’Association des services Internet communautaires (ASIC), créée en décembre 2007 par Google, Yahoo, Dailymotion, PriceMinister et AOL. Or, justement, l’une des mesures-phare des 22 propositions de la mission Zelnik est la fameuse « taxe
Google ». Cette taxe contestée serait prélevée sur les revenus publicitaires des sites Web, comme « Google, Microsoft, AOL, Yahoo! ou encore Facebook » (dixit le rapport). Interrogé sur ce point par Edition Multimédi@, en marge des voeux de la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique (lire ci-dessus), le co-président de l’ASIC – Giuseppe de Martino (2) – a répondu que « L’ASIC n’a pas réagi publiquement et ne le fera pas car, après en avoir débattu, les membres n’ont trouvé de position commune sur les différentes propositions [du rapport Zelnik, dont la taxe Google] ». Et d’ajouter :
« Certains étaient pour, d’autres non », rappelant que Google est membre fondateur
de l’association… Cette idée de taxe « obligatoire » a été très favorablement accueillie par le président de la République, Nicolas Sarkozy, lequel a demandé à la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, de « lancer au plus vite une expertise pour appréhender fiscalement les activités publicitaires des grands portails et moteurs de recherche internationaux présents en France ».
Au passage, le chef de l’Etat les a accusé de fuite fiscale et anticoncurrentielle, tout
en sollicitant aussi « un avis de l’Autorité de la concurrence sur l’éventuelle position dominante par Google sur le marché de la publicité en ligne ». Selon la mission Zelnik,
qui souhaite le ralliement d’autres pays européens à la démarche de la France, cette mesure pourrait à terme rapporter « une dizaine de millions d’euros par an ». Le lendemain de la remise des 22 propositions, le directeur des affaires publiques de Google France, Olivier Esper, a certes réagi à la (mauvaise) nouvelle en gardant espoir que soient « privilégi[ées] des solutions innovantes plutôt que de prolonger une logique d’opposition entre les mondes de l’Internet et de la culture, par exemple la logique de la taxation ». Or, il se trouve que Olivier Esper est également le trésorier de l’ASIC en tant que dirigeant de la filiale française du géant du Web (donc membre fondateur de cette même association). @

Futur du Net : équilibre entre neutralité et sécurité

En fait. Le 21 janvier, les trois fondateurs de l’Internet – Vinton Cerf, Robert Kahn
et Louis Pouzin – ont évoqué le futur du « réseau des réseaux », à l’invitation de Forum Atena. Le Français était en visioconférence de Paris avec les deux Américains, l’un de Washington, l’autre de Californie. Historique.

En clair. Les trois pères fondateurs de l’Internet se posent de sérieuses questions à propos de l’avenir de leur « bébé », que cela soit sur sa capacité à supporter toutes
les connexions des terminaux – fixes ou de plus en plus mobiles – et des objets ou
à acheminer tous les contenus et services. « Avec 1,7 milliard d’internautes dans le monde et la montée en puissances des mobiles utilisés par 4 milliards d’humains, Internet est en plus de plus en plus sollicité. La radio, la télévision et autres médias
y convergent, avec les conséquences technologiques et économiques que cela engendre », a déclaré Vinton Cerf, qui a créé le protocole Internet TCP/IP après
s’être inspiré en mars 1973 des travaux du Français Louis Pouzin sur le datagramme (commutation de paquets) lors d’une visite rendue à Louveciennes. Recruté il y a cinq ans par Google, dont il est vice-président, l’Américain a fait part de ses trois préoccupations au regard du Net : la sécurité, la capacité et la neutralité du réseau.
Son compatriote Robert Kahn, président de la Corporation for National Research Initiatives, estime que la Net Neutrality doit aboutir à ce que les fournisseurs d’accès
à Internet « jouent la transparence » à l’égard des internautes, s’il doit y avoir différenciation de qualité de services. Pour l’architecte du réseau Arpanet dans les années 70, le problème est qu’« il faudrait harmoniser les réglementations nationales au regard d’Internet, devenu un système d’information global ». Quant à Louis Pouzin, pour qui « Internet présente beaucoup de défauts », il estime que le futur du Net s’affranchira des sept couches du modèle ISO, lesquelles séparent encore sur le réseau les communications physiques des applications situées dans les couches plus hautes. Cela passe par des “Sabots”, lesquels permettraient d’établir au-dessus de l’architecture réseau des liaisons de bout en bout avec identification et qualité de services intégrées entre deux communiquants. Comme l’Américain John Day (1),
qui parle lui de « DIF » (pour Distributed Inter-process communications Function),
le Français pense qu’Internet est à bout de souffle car « trop gros et trop ouvert » et dépassé par la mobilité. Les “Sabots” ou les “DIF”, sortes de réseaux privés virtuels sécurisés et maîtrisés, permettraient de lui apporter une meilleure sécurité, une meilleure gestion évolutive et une meilleure interface pour les services et les contenus qu’il propose. @

Deux lois vont légaliser le filtrage du Net

En fait. Le 19 janvier, la commission des finances du Sénat a examiné le projet
de loi sur les jeux d’argent en ligne. Le 27 janvier, la commission des lois à l’Assemblée nationale a examiné le projet de loi sur la sécurité intérieure.
Point commun : le filtrage de l’Internet.

En clair. L’ex-ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie en rêvait , l’actuel locataire de la place Beauvau, Brice Hortefeux, va le faire. Attendue depuis deux ans, le projet de
loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – ou Loppsi 2, la première ayant été promulguée en 2002 – apparaît enfin à l’ordre du jour du Parlement. Les débats auront lieu à l’Assemblée nationale du 9 au 11 février. Le volet « lutte contre la cybercriminalité » va légaliser pour la première fois en France le principe du filtrage du Net. Cette mesure sera encadrée et limitée à la lutte contre la pornographie enfantine. Du moins par cette loi. Car le projet de loi sur les jeux d’argent et de hasard en ligne, qui sera examiné au Sénat les 23 et 24 février (1), prévoit lui aussi l’obligation de filtrage mais, cette fois, pour empêcher l’accès des internautes aux jeux en ligne illégaux. Ces deux textes législatifs vont créer un précédent législatif historique. Ils pourraient redonner des arguments aux industries culturelles, lesquelles sont déjà prêtes à expérimenter le filtrage, comme l’a rappelé Nicolas Sarkozy lors
de ses vœux du 7 janvier 2010 (lire EM@ n°5, p. 1, 2 et 6). Dans les deux lois, et conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel née avec la loi Hadopi (coupure de l’accès à Internet), la mesure de filtrage du Net – dérogatoire au droit commun – devrait être imposée après « accord de l’autorité judiciaire » (contrôle du juge). De quoi relancer la polémique, les opposants estimant que les technologies de filtrage pourront être contournées par l’anonymisation ou le cryptage, cela portant atteinte à la neutralité du réseau. Quoi qu’il en soit, la Loppsi 2 prévoit d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites. Une liste des sites pédopornograhiques sera définie par un arrêté du ministre de l’Intérieur. C’est l’Office de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) qui transmettra aux FAI les données des sites jugés illégaux, lesquels devront bloquer l’accès à ces sites web, même hébergés à l’étranger. Un décret d’application prévoira les compensations financières dues aux FAI, correspondant aux surcoûts induits par cette obligation de filtrage et de blocage. Reste à savoir si la loi leur indiquera quelle technologie de filtrage et de blocage utiliser sur le réseau. @