Bruno Chetaille, Médiamétrie : « La France sera le premier pays à mesurer l’Internet mobile et ses applications »

Le PDG de l’entreprise de mesure d’audiences explique à Edition Multimédi@
les évolutions majeures à attendre à l’heure du cross-media et de la fragmentation de l’audience. Après la téléphonie mobile, dont les premiers résultats sont attendus fin octobre, d’autres baromètres sont prévus.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : au-delà de la télévision, de la
radio et des sites web, où en est Médiamétrie dans l’instauration de nouveaux baromètres, notamment
pour l’Internet mobile, les jeux vidéo ou la vidéo à la demande ? Les « widgets » ou les livres numériques auront-ils bientôt leur mesure ?
Bruno Chetaille (photo) :
Notre activité se développe
selon deux axes : l’enrichissement de la mesure d’audience de référence de chaque média – radio, TV, internet – et le développement de nouveaux services destinés à mieux comprendre notre environnement numérique et à suivre les nouveaux usages. Mieux comprendre l’environnement, c’est notamment suivre l’équipement des foyers
et leurs dépenses. Nous savons ainsi qu’il y a en France 43 millions d’utilisateurs du téléphone mobile. Suivre les nouveaux usages, c’est savoir combien d’entre eux utilisent leur téléphone mobile pour surfer sur Internet – 30 % en l’occurrence, en progression de 6 % en un an – et mesurer l’audience des sites par cet accès. La France sera le premier pays à disposer d’un tel service incluant les applications. Ce service est partagé avec nos clients. Nos premiers résultats trimestriels seront publiés fin octobre. De la même façon, nous suivons l’équipement des foyers en tablettes et avons créé des baromètres spécifiques sur la télévision de rattrapage (catch up TV)
ou sur les jeux vidéo. Pour ne donner qu’un chiffre, 35 millions de Français ont déjà joué à un jeu vidéo. Une pratique qui respecte la parité homme-femme. Et près de
2,5 millions de personnes pratiquent la vidéo à la demande. Quant aux widgets sur les postes de télévision connectés et aux livres numériques, nos dispositifs « Référence
des équipements multimédias » avec GfK, l’étude « Media in Life » sur les comportements médias et notre mesure Internet montrent qu’ils sont encore marginaux. Nous les mesurerons lorsque leur utilisation sera significative.

RNT : Kessler va remettre l’auditeur au centre

En fait. Le 29 juin, le ministre Frédéric Mitterrand et la secrétaire d’Etat Nathalie Kosciusko-Morizet (Economie numérique) ont officiellement lancé la mission
– confiée à David Kessler, ancien de Radio France – sur « l’avenir numérique
de la radio ». Elle fait suite aux rapports Hamelin et Tessier.

En clair. L’actuel conseiller cuture-éducation-recherche du maire de Paris, et ancien directeur délégué de Radio France en charge de la stratégie et des contenus, doit trouver dès cet été « la troisième voie » (comme il dit) de la radio numérique. Et ce, après les deux premiers rapports rendus l’an dernier, respectivement en octobre (Hamelin) et novembre (Tessier), qui n’avaient pas trouvé de consensus économique
et technologique (1) (*) (**) sur le lancement de la radio numérique terrestre (RNT). En marge de la réunion du lancement officiel de sa mission, en présence d’une soixantaine de radios (moitié grands réseaux, moitié radios associatives) dans les locaux du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), David Kessler a indiqué qu’il entendait
« remettre l’auditeur au cœur de la réflexion » et que « l’intérêt de l’auditeur sera déterminant ». Cet ancien conseiller culture et communications du Premier ministre Lionel Jospin il y a plus de dix ans doit rendre à l’actuel Premier ministre François Fillon ses « premières conclusions » le 30 septembre et ses « recommandations complètes » au plus tard pour le 30 novembre 2010. Contrairement aux deux premiers rapports,
le sien ne portera pas uniquement sur la RNT (2). Dans sa lettre de mission datée
du 27 mai, François Fillon lui demande justement de s’interroger sur « l’opportunité
d’un recours – alternatif ou complémentaire à la RNT – aux deux autres modes de distribution envisageables de la radio numérique (…), la voie satellitaire [et] le mode
dit IP [sur Internet, ndlr], en particulier sur les réseaux mobiles [3G et 4G] ». Tout est presque dit : l’auditeur gardera le choix de sa radio : antenne, webradio, mobile ou satellite. Pour la RNT, Olivier Huart, directeur général de TDF, a précisé à Edition Multimédi@ que son groupe allait « rendre ces réseaux encore “plus économiques” »
et que « c’est un des axes majeurs dont nous discuterons avec la mission Kessler » (lire interview p. 1 et 2). Une fois que l’obstacle financier sera levé et que l’utilisation
de la norme DAB+ sera légalement possible avec le T-DMB, la RNT pourra alors être déployée. « C’est un objectif à 10-15 ans », a précisé Rachid Arhab, président du groupe de travail RNT au CSA. Et de prévenir : « Avec la radio sur IP, il y a un risque
de dépendance vis-à-vis des opérateurs télécoms et de manque de maîtrise de sa diffusion. Qu’advient-il alors en cas de dégradation du signal ? C’est la question de la Net Neutrality ». @

Catch up Radio : des podcasts et bientôt du streaming

En fait. Le 19 mai, l’institut de mesure d’audience Médiamétrie a publié – pour
le sixième mois consécutif – son baromètre mensuel de la radio de rattrapage,
ou « catch up Radio ». Il porte cette fois sur le mois d’avril et sur huit radios : France Inter compte toujours le plus de podcasts téléchargés.

En clair. La radio sur Internet n’a pas attendu la radio numérique terrestre (RNT), laquelle a été renvoyée à 2011 (1), pour répondre aux nouveaux modes de consommation des stations. Bien que le nombre de téléchargement de podcasts
– ces fichiers audio(ou vidéo) disponibles à tout moment sur Internet pour être écoutés (ou visionnés) sur ordinateurs, mobiles ou baladeurs – ait été en légère baisse en avril, la radio délinéarisée s’impose. Selon nos informations, les nouvelles mesures du streaming dit « en différé » (par rapport à l’antenne et via Dailymotion) – qui devaient être publiées mi-mai – ne sont pas encore prêtes. Quant aux résultats du streaming
« live » (en direct), ils seront rendus publics mi-juillet. L’écoute par Liveradio (Orange), par iPhone (Apple) et Android (Google) seront pris en compte. « Les résultats du streaming [fichier audio ne nécessitant pas de téléchargement pour être lu, ndlr] ne
sont plus publiés (2), le temps que les radios homogénéisent leurs “players“ », indique Médiamétrie à Edition Multimédi@. Pour l’heure, les huit stations mesurées en avril totalisent 13.818 podcasts téléchargés en France.
Ne sont mesurées que les radios et les webradios ayant souscrit au dispositif.
La baisse de 3,5 % – par rapport au mois précédent et sur le même nombre de radios mesurées – s’expliquerait par les périodes de vacances scolaires de Printemps. France Inter reste en tête avec 4.621 podcasts, suivi d’Europe 1 avec 4.377 téléchargés –
en petite augmentation. A noter que RMC et BFM Radio, les deux stations du groupe NextRadioTV, sortent de la mesure. Quant à RTL2 et Fun Radio, deux stations du groupe RTL/Bertelsmann, elles ont quitté le baromètre depuis décembre après y avoir fait une brève apparition en novembre lors de la première mesure. Cependant, la radio RTL elle-même est restée cliente de Médiamétrie. « Pour une radio musicale, la catch up Radio n’a pas grand intérêt et elle n’a pas forcément les droits pour diffuser les titres en podcast », explique Médiamétrie à Edition Multimédi@. « Pour la mesure du podcast, cette technologie consiste à intégrer un “tag“, invisible et inaudible par l’internaute dans le lien de téléchargement », précise l’institut de mesure. L’institut de mesure d’audience indique que « le travail en commun avec les stations a porté ses fruits, puisqu’à ce jour tous les “tag“ sont parfaitement insérés sur les “players“ des stations ». @

Le rendez-vous manqué des industries culturelles

En fait. Les grandes absentes du colloque « neutralité des réseaux » de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), le 13 avril, étaient les industries culturelles (musique, cinéma, édition) et leurs ayants droits, ainsi que les médias audiovisuels traditionnels (télévision et radio).

En clair. Le colloque de l’Arcep a donné l’impression que la question cruciale de la Net neutralité ne concerne que les opérateurs télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet, les acteurs du Web et les internautes eux-mêmes. A la tribune, aucun représentant de la musique, du cinéma, de l’édition (nouvel entrant dans le numérique), de la télévision ou encore de la radio. Selon nos informations, Frédéric Goldsmith, délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC) a été auditionné sans vidéo et le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a demandé à l’être…
Tout juste a-t-on cinq interviews vidéo sur les 21 mises en ligne sur le site web du régulateur des communications électroniques pour avoir un léger aperçu de ce que ces industries culturelles et audiovisuelles pensent du principe de neutralité des réseaux, qu’elles empruntent allègrement à coup de téléchargements, podcats, flux en streaming, voire en simulcasting. Ainsi, le directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD), Pascal Rogard, déclare que « la Net neutralité ne peut pas être la Net impunité » et que l’« on ne peut pas, au nom d’un concept encore extrêmement vague, continuer de légitimer le pillage de la propriété littéraire et artistique ». Le président de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), Bernard Miyet (1), le dit autrement : « La neutralité, c’est cette possibilité d’accès multiple à tout le patrimoine dans le respect de la propriété et du droit de chacun à vivre de sa création » RTL craint d’être « traité comme un citoyen de seconde zone par rapport aux géants de l’Internet comme Google ou Yahoo » et TF1 rappelle que « l’audiovisuel est partie intégrante des offres avec le triple play ». Seul,
le 13 octobre, Jean Musitelli, membre de l’Hadopi (2), était le mieux à même de parler au nom des ayants droit lors du colloque : « La neutralité du Net implique de trouver
un point d’équilibre. Mais que l’intérêt général ne devienne pas la seule variable d’ajustement. Il faut aussi assurer la protection de la propriété intellectuelle et la diversité culturelle. La neutralité ne peut être l’alibi de l’illégalité et des contenus illicites. La loi [Hadopi] a prévu un dispositif d’avertissements et de sanctions, avec l’autorité judiciaire. Car la neutralité [du Net] est ni laxiste ni intrusive. (…) Les réseaux n’ont pas réussi à valoriser les contenus », a-t-il expliqué. @

… et évoque le grand emprunt pour la RNT et la TMP

En fait. Toujours lors de sa rencontre le 25 mars avec l’Association des journalistes médias (AJM), le ministre de la Culture et de la Communication a abordé le sort de la radio numérique terrestre (RNT) et celui de la télévision mobile personnelle (TMP) qui sont encore en quête de financements.

En clair. Le grand emprunt pourrait venir au secours de deux dossiers en souffrance du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) que sont la RNT et la TMP. « Les choses sont fixées mais il reste des marges de manœuvre », a indiqué Frédéric Mitterrand. Son ministère bénéficie de 750 millions d’euros pour la numérisation du patrimoine culturel,
sur les 4,5 milliards d’euros alloués au numérique par le grand emprunt. Si la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Centre national du cinéma (CNC) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et les Musées devraient se partager plus de la moitié
de l’enveloppe, le ministre de la Culture et de la Communication n’exclut pas d’arbitrer des sommes pour sortir la RNT et la TMP de l’ornière. Lors de la réunion du CSA sur
la radio numérique, le 15 mars dernier, son président Michel Boyon aurait reproché publiquement au gouvernement de ne pas avoir prévu une partie du grand emprunt Rocard-Juppé pour la RNT et la TMP. Selon Le Point, il aurait même dit à un membre du ministère de la Culture que « c’ét[ait] une erreur ». Mais devant l’AJM, le ministre
a laissé entendre que tout espoir n’est pas perdu. Encore faut-il que le Commissaire général à l’investissement, René Ricol, qui a été nommé par décret du 28 janvier et
qui présidera à ce titre le « Fonds national pour la société numérique » (EM@ 4 p. 4). Pour la RNT, qui devait démarrer fin 2008, avant d’être reportée à fin 2009 pour Paris, Marseille et Nice (1), le CSA s’est réuni le 8 avril en séance plénière. Il s’agissait de savoir s’il fallait délivrer les autorisations aux 160 radios ou accepter le moratoire de
18 mois exigé par les RTL, NRJ et autres Europe 1. Réponse : « C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités », conclut Michel Boyon, renvoyant la patate chaude à Frédéric Mitterrand. « Nous ne sommes pas exactement sur la même longueur d’ondes », a glissé ce dernier devant l’AJM, tout en rajoutant qu’il ne voyait
« pas cette année » le démarrage de la RNT au vue « des conditions économiques et de l’absence de consensus ». Pour la TMP, les 13 chaînes retenues depuis près de… deux ans (mai 2008) patientent en attendant leur autorisations qu’elles devraient bientôt recevoir du CSA, qui vient d’avoir le feu vert du gouvernement. Ensuite, elles auront deux mois – jusqu’en juin – pour proposer conjointement un « opérateur de multiplex » (2). @