Olivier Huart : « Face à la révolution numérique et la fin de l’analogique, TDF poursuit sa mue »

Radio numérique, télévision sur mobile, diffusion en streaming sur le Web, expérimentations de vidéo à la demande ou de télévision de rattrapage sur la TNT, … Le directeur général de TDF explique à Edition Multimédi@ sa stratégie face aux mutations technologiques.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le 29 juin dernier, la mission confiée à David Kessler sur « l’avenir numérique de la radio » a été officiellement lancée. Depuis les rapports Tessier et Hamelin,
il n’y a pas eu consensus autour de la radio numérique terrestre (RNT). Que dit TDF ?
Olivier Huart (photo) :
TDF a réalisé en début d’année une
étude sur la RNT pour évaluer l’impact économique et technique (capacité des réseaux) d’un report de l’audience de la radio
« live » [en direct à l’antenne, ndlr] vers les réseaux mobiles 3G ou 4G. Conclusion : s’il n’y a pas de difficulté technique, le coût est significatif et évalué à 3,7 millions d’euros par an pour un grand réseau radiophonique. Nous pensons que la radio sur les réseaux 3G est complémentaire au mode broadcast [radiodiffusion de la RNT par un réseau hertzien dédié, ndlr], lequel conserve toute sa pertinence. Le coût des réseaux de RNT est deux fois moins élevé que celui d’un réseau analogique, ce qui présente un intérêt certain pour les radios. Aujourd’hui, nous nous appliquons à rendre ces réseaux encore
« plus économiques », c’est un des axes majeurs dont nous discuterons avec la mission Kessler. Quant aux normes DAB+ et DMB, elles sont issues de la même famille
Eureka 147 et sont compatibles. Pour un prestataire technique de diffusion, cela ne change rien (1).

EM@ : Votre filiale Mobmux a été choisie comme opérateur commun de multiplex pour la télévision mobile personnelle (TMP). Quelle technologie prévoyez-vous ?
O. V. :
L’accord préliminaire conclu entre TDF, via sa société Mobmux, et les 16 chaînes autorisées en TMP, le 8 juin dernier, va permettre demain d’enrichir l’offre de télévision
en mobilité. J’en suis convaincu et nous avons, depuis longtemps, la volonté d’offrir aux téléspectateurs une autre façon de consommer la télévision. Ce sera chose faite, au second semestre 2011, lorsque Virgin Mobile lancera son offre sur un réseau broadcast que nous allons déployer sur 2.500 communes, soit 50 % de la population française. L’enjeu est de taille, la TMP présentant l’avantage de résoudre les problèmes de
réception liés à la saturation du réseau mobile 3G. Concernant la norme, nous discutons actuellement avec l’américain Qualcomm au sujet de sa technologie MediaFLO et nous regardons aussi la norme chinoise CMMB. L’avantage non négligeable serait de déployer le réseau avec une technologie moins chère que le DVB-H.

EM@ : Votre filiale SmartJog, qui commercialise des services sous la marque
TV-Radio.com, est moins connue. Comment se développe cette activité ?
O. V. :
TDF gère une plateforme importante de streaming en France, grâce à SmartJog qui compte plusieurs centaines de clients TV et radio live, on-demand ou podcastée.
Le chiffre d’affaires est modeste à l’échelle du groupe mais l’activité enregistre une croissance très importante. Aujourd’hui, la proximité est très marquée entre la diffusion broadcast [télédiffusion ou radiodiffusion par un réseau hertzien dédié, ndlr] et la diffusion IP (streaming). C’est pourquoi, nous souhaitons nous positionner comme l’un des leaders européens sur l’activité de CDN (Content Delivery Network), exclusivement dédiée aux médias audiovisuels. Nous souhaitons ainsi accompagner la mutation des usages des téléspectateurs – gros consommateurs de terminaux connectés, smartphones, iPhones,… – et ainsi répondre aux besoins et aux attentes de nos clients TV et radio. Demain, nous irons plus loin en déployant une infrastructure de très haute qualité de service pour alimenter les réseaux IP de nos clients.

EM@ : Qu’attendez-vous de vos expérimentations de « push VOD » et de « catch
up TV » sur la télévision numérique terrestre (TNT), notamment avec TF1, France Télévisions, Arte et NRJ12 ?
O. V. :
L’expérimentation menée par TDF pour tester techniquement des contenus non linéaire – télévision de rattrapage et vidéo à la demande – via le signal de la TNT est terminée depuis quelques jours [seule une expérimentation à Rouen a été prolongée par le CSA, ndlr]. Les résultats techniques sont concluants : ces services pourraient voir le jour fin 2011, en fonction des ressources spectrales disponibles. Nous devrions avoir courant juillet une synthèse des retours d’expérience. N’oublions pas qu’une partie de la population française ne dispose pas du triple play [accès Internet-téléphone-télévision par ADSL, ndlr], soit par choix, soit par impossibilité technique. Ainsi, développer de nouveaux services sur la TNT est aujourd’hui une nécessité pour en conserver toute son attractivité.

EM@ : TDF est en situation de position dominante en France. L’Autorité de la concurrence, saisie en 2009 par la société Itas Tim pour concurrence déloyale
de TDF, poursuit son instruction au fond…
O. V. :
Tout d’abord l’Autorité de la concurrence a rendu le 9 mars dernier une décision dans laquelle elle rejette la demande de mesures d’urgence formulées par la société Itas Tim à l’encontre de TDF. Nous attendons avec sérénité les conclusions de l’instruction au fond. Cela dit, nous sommes présents sur des marchés de plus en plus concurrentiels. Ainsi, le marché de la diffusion hertzienne terrestre est un marché modeste et en décroissance avec le passage au tout numérique : de 400 millions d’euros en période de double diffusion analogique-numérique à environ 200 millions. Mais, en France, la concurrence est organisée site à site et la durée des contrats de diffusion n’est que de 5 ans (contre 15 ans en moyenne dans les autres pays européens). Cette structure de marché se traduit par l’existence d’une concurrence forte et des tarifs, qui sont parmi les plus bas d’Europe.

EM@ : Depuis février, vous dirigez TDF, société détenue par TPG (42 %), la CDC
(24 %), Axa (18 %) et le Fonds stratégique d’investissement (FSI). En quoi consiste « Cap numérique »?
O. V. :
L’enjeu principal est de pouvoir financer nos investissements dans les réseaux et dans les relais de croissance, notamment à l’international. Le groupe TDF a 4 milliards d’euros de dettes. Le premier milliard doit être remboursé en 2014, ce qui nous laisse quatre ans. Notre métier nécessite de lourds investissements dans les infrastructures,
il nous pousse à atteindre une masse critique significative le plus rapidement possible. Dans ce contexte, TDF a commencé à se transformer et va poursuivre sa mue.
Nous disposons pour cela de vrais atouts, faisant de TDF le « moteur » numérique des industries de la télévision, des télécoms et de la radio. La fin de l’analogique marque,
pour notre entreprise, un tournant que nous avons anticipé. Pour assurer son ancrage dans cette révolution numérique, notre groupe va donc aborder sa transformation.
C’est l’objectif du plan « Cap Numérique », lancé en juin dernier, il est destiné à réorganiser notre structure, mais aussi à réduire nos coûts et nos effectifs sous forme d’un plan de départs volontaires portant sur 350 emplois. Cette réorganisation contribuera à faire émerger de nouveaux métiers et à innover dans nos activités@