TV payante et VOD : comment Canal+ a pénalisé les FAI

En fait. Le 21 septembre, l’Autorité de la concurrence « constate que le groupe Canal+ n’a pas respecté plusieurs engagements pris lors du rachat [en 2006] de TPS » et « retire la décision d’autorisation de l’opération » que Vivendi devra re-soumettre. Canal+ devra en outre payer 30 millions d’euros.

Par Charles de Laubier

En clair. Les abus de position dominante de Canal+ sur le marché français de la télévision payante vont coûter très cher à la maison mère Vivendi. La lettre du ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie datée 30 août 2006 (1), qui autorise l’opération de concentration sur le marché de la télévision payante au profit de Canal+ et de sa maison mère Vivendi, était pourtant claire. En substance, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) devaient pouvoir se développer en ayant « accès à un contenu attractif » et « se fournir en chaînes et droits attractifs ». Canal+ s’engageait ainsi à mettre à disposition ses sept chaînes et celles de TPS « à tous les distributeurs (satellite, ADSL, câble, TNT) dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires ». Or, comme le relève l’Autorité de la concurrence et le CSA (2), les chaînes en question ont été proposées sur le nouveau CanalSat – issu de la fusion de CanalSatellite et de TPS – avant même que les FAI (Orange, Free, SFR, …) aient pu les distribuer. Résultat : cette discrimination a favorisé la migration des abonnés au bouquet TPS vers CanalSat. Selon France Télécom, 90.000 abonnés sont ainsi passés de TPS vers CanalSat au cours du premier semestre 2007. Les sages de la rue de l’Echelle ont rejeté l’argument de Canal+ invoquant le développement des offres TV
des FAI. « [Cette progression]est principalement due, non à l’attractivité des offres de télévision comprises dans les forfaits de base des FAI, mais au couplage des offres
de télévision avec des offres d’accès à Internet haut débit (forfaits triple play) et au développement du dégroupage, et par conséquent à l’éligibilité croissante des foyers à l’ADSL (haut débit) », contredisent-ils. De son côté, l’Arcep (3) avait prévenu que « toute forme de discrimination entre les différents acteurs de la distribution de la télévision payante (notamment entre les FAI historiquement présents sur le DSL et câblo-opérateurs) est susceptible de perturber sensiblement le jeu de la concurrence sur
les marchés du haut et très haut débit ». Au moment où les opérateurs télécoms commencent à déployer la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH), la sanction de l’Autorité de la concurrence tombe à point.

VOD et exclusivités : Canal+ reste sous surveillance
L’Autorité de la concurrence s’est surtout focalisée sur la non mise à disposition immédiate de ses chaînes aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) qui le souhaitaient et sur la dégradation de TPS Star (cinéma et sports). Quand est-il de la VOD et des exclusivités ? Le troisième des cinquante-neuf engagements que Canal+ a pris en 2006 devait donner un coup d’arrêt aux exclusivités des droits en matière de paiement à la séance ou de vidéo à la demande (VOD). Il s’agissait de permettre à d’autres – fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou plateforme de VOD – de pouvoir diffuser les films américains récents notamment. Or l’Autorité de la concurrence constate que là aussi Canal+ « a manqué à son engagement : en tardant à ouvrir les négociations avec plusieurs studios américains détenteurs de droits ; en les ouvrant sans les centrer explicitement sur la levée des exclusivités ; en reconduisant un contrat sans lever les exclusivités ». L’opération de concentration n’a donc pas favorisé l’accès des concurrents de Canal+ aux droits audiovisuels. Pourtant, les engagements étaient assortis d’un « encadrement de la durée des contrats cadre » (4) conclus avec les grands studios américains et d’une « interdiction de la conclusion de tels contrats avec les producteurs de films français ». Canal+, premier pourvoyeur de fonds du français, reste dans le collimateur de l’Autorité de la concurrence. Dans sa décision du 16 novembre 2010, celle-ci a estimé qu’elle ne pouvait pas remettre en cause les exclusivités conclues par Canal+ avec TF1, M6 et Lagardère sur le satellite, la TNT et l’ADSL, malgré la plainte de France Télécom en 2008 notamment. Les sages de la rue de l’Echelle ont néanmoins gardé Canal+ sous surveillance pour toutes les exclusivités conclues postérieurement à 2006 : extension des exclusivités à la fibre optique, à la télévision de rattrapage (catch up TV) et à « tout nouveau support de diffusion » (5). L’instruction complémentaire continue, d’autant que la position dominante de Canal+ sur le marché français de la TV payante est de plus de 60 %. La filiale de Vivendi, qui va contester la décision du 21 septembre devant le Conseil d’Etat, estime que l’Autorité de la concurrence « ne prend absolument pas en compte l’univers nouveau qui résulte notamment de l’intervention massive sur le marché de la télévision des géants de l’Internet et des opérateurs télécoms ». @

Les producteurs de films demandent plus à Canal+

En fait. Dans un courrier adressé le 7 octobre 2009 au PDG du groupe Canal+, quatre organisations du cinéma refusent un « réaménagement à la baisse des obligations » de la chaîne cryptée dans le financement des films européens et français.

En clair. Les accords sur le préfinancement des films européens et français par le groupe Canal+, principal bailleur de fonds de l’industrie cinématographique en France
à hauteur de près de 200 millions d’euros chaque année, arrivent à échéance en fin d’année.
Quatre organisations du cinéma (1) et la chaîne cryptée doivent se retrouver à la table des négociations pour que les obligations de Canal+ soient renouvelées pour trois ans (2010-2012). Problème : la filiale de télévision du groupe Vivendi souhaite « moduler »
ses obligations de financement – déclaration de Bertrand Méheut, le PDG de Canal +,
au Figaro, le 26 septembre –, afin de prendre en compte la nouvelle concurrence audiovisuelle (TNT, VOD, Orange…). Il a profité d’une réunion « bilan d’étape »
le 23 septembre avec les professionnels du cinéma pour « préparer le cinéma à des temps plus difficiles ». Il s’agirait de revoir à la baisse les 12 % du chiffre d’affaires
que Canal+ doit verser au cinéma européen et les 9 % aux films français, ainsi que le
« minimum garanti » par abonné chaque mois de 3,12 euros et la « prime au succès ». Mais les producteurs de cinéma ne l’entendent pas de cette oreille.

Démarrage de négociations délicates
Dans un courrier adressé le 7 octobre dernier au PDG du groupe Canal+ – que
« Edition Multimédi@ » s’est procuré –, les principales organisations du Septième
Art prennent acte du « bilan très positif de la santé du groupe Canal+ » (2) et des
« perspectives dans le futur environnement numérique ». Et d’ajouter : « Ce succès
est grandement attribuable au cinéma puisque (…) les films représentent 45 % de la seule programmation de la chaîne premium Canal+ et occupent 30 % de ses cases
de première partie de soirée ».
Bref, pour les ayants droit, Canal+ et cinéma sont plus que jamais des « partenaires essentiels et il semble (…) que ce partenariat et l’engagement de Canal+ dans le financement des œuvres devraient encore être renforcés dans le cadre de des prochains accords ». Les négociations délicates ont démarré les 19 octobre. D’autant que les organisations cinématographiques, qui ont encore rencontré les responsables de Canal+ le 2 novembre dernier, veulent discuter des contributions financières des nouveaux médias : VOD, catch-up TV, mobiles… Les conclusions de la « mission Création et Internet », retardées à fin novembre, sur les offres légales et la rémunération des ayants droit, devraient interférer dans ces discussions. @