Viktor Arvidsson, Ericsson : « Les consommateurs doivent pouvoir accéder aux contenus légaux de leur choix »

Le directeur de la stratégie et des affaires réglementaires chez Ericsson France, filiale du numéro un mondial des réseaux mobiles, répond aux questions d’Edition Multimédi@ sur l’émergence d’un nouvel écosystème à l’heure de la convergence entre télécoms et audiovisuel.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Comment Ericsson perçoit-il
le souhait de l’industrie du cinéma français que les fabricants de terminaux interactifs puissent être obligés comme les fournisseurs d’accès à Internet d’investir dans des films? Viktor Arvidsson (photo) :
Il nous
semble que cette approche, qui consisterait à obliger les équipementiers télécoms à investir dans les contenus, n’est pas nécessairement la meilleure. A notre sens, les différents acteurs de l’écosystème contribuent conjointement au développement du marché. S’il n’y avait pas de vidéo à la demande, il y aurait moins de terminaux interactifs et inversement. Il faut donc être extrêmement prudent avant d’attribuer un succès – que l’on serait tenté de considérer comme un peu « parasitaire » – à un des acteurs d’un écosystème. Dans ce contexte, le réflexe qui consiste à « punir » les acteurs qui réussissent est plutôt contre-productif. Cette approche nous semble également assez inédite et l’on voit mal, par exemple, l’industrie de l’automobile financer les constructeurs d’autoroutes ! S’il y a des problèmes conjoncturels ou structurels dans une industrie, il faut les traiter en tant que tels. Il ne nous semble donc pas légitime et efficace de taxer ainsi les équipements télécoms.

Audiovisuel et télécoms se mettent en quatre

En fait. Le 14 juin, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis, de sa propre initiative, indiquant que l’utilisation croisée de bases de clientèle (ou « cross
selling ») par Orange était désormais possible, comme le font déjà SFR et Bouygues Telecom. La bataille du quatruple-play peut s’engager.

En clair. Vous avez aimé le « triple play » (téléphone- Internet-télévision) à 29,90 euros par mois ? Vous adorerez le « quadruple play » de 45 à 110 euros par mois ! Avec ces nouvelles formules « tout-en-un », qui vont bien au-delà du mobile en plus, c’est à
l’« audio-visualisation » des accès fixes ou mobiles forfaitaires à l’Internet que l’on assiste : chaînes gratuites de télévision, vidéo à la demande (VOD), télévision de rattrapage (catch up TV), bouquets de chaînes payantes, sans oublier les services à valeur ajoutée (applications distantes, téléchargements audio, vidéo ou de jeux, espace de stockage distants, …). Pour Philippe Bailly, DG de NPA Conseil, c’est « un (grand) pas de plus vers l’univers multi-écrans ». Bouygues Telecom a été le premier à inaugurer, il y a un an, le « quadruple play » avec Ideo (lire EM@ 9, page 5) sur fond
de convergence accrue avec sa filiale-sœur TF1 (EM@ 11 p. 3). SFR et Canal+, au sein du même groupe Vivendi, pourraient bientôt en jouer. Et France Télécom ? Si l’Autorité de la concurrence estime que « l’utilisation croisée de bases de clientèle par Orange ne paraît pas pouvoir engendrer, à elle seule, d’effet d’éviction », elle met néanmoins en garde sur le fait que « ces offres [groupées de convergence] pourraient d’abord accroître les coûts de changement d’opérateur pour les consommateurs et l’intensité des effets “club” au sein des foyers, au détriment de la fluidité du marché, (…) même de conduire à l’éviction des opérateurs ». D’autant que cette nouvelle génération
d’« opérateurs universels » – à la fois fournisseurs d’accès et distributeurs de contenus audiovisuels – tend à offrir une palette de services et à instaurer une relation globale avec ses clients. Il devient même un « passage obligé » pour les abonnés multi-services. Mais les sages de la rue de L’Echelle préviennent : « Compte tenu des barrières à l’entrée sur le marché mobile, la généralisation des offres de convergence pourrait distordre la concurrence au bénéfice des trois opérateurs mobiles en place [Orange, SFR et Bouygues Telecom, ndlr] et au détriment des autres opérateurs ».
Et de clarifier : « Ce risque pourrait être atténué si le quatrième opérateur mobile, Free (1), bénéficiait rapidement d’une prestation d’itinérance sur l’un des réseaux en place, non seulement pour la 2G mais aussi pour la 3G, compte tenu du très fort succès des smartphones et des “clés 3G”». @

La fibre optique à domicile disqualifiée par le VDSL ?

En fait. Le 9 juin, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) s’est dit « surpris et déçu » par le peu d’abonnés à la fibre optique à domicile – 80.000 (sans les 290.000 de Numericable) – sur les 800.000 foyers raccordés. La faute à l’ADSL et au VDSL ?

En clair. Le marché mondial de la fibre optique est encore loin de détrôner l’ADSL
qui reste le moyen le plus répandu – dans 61,4 % des cas – pour accéder à l’Internet haut débit, tandis que la fibre optique jusqu’à l’immeuble (FTTB) ou à domicile (FTTH) est encore à 8 %. Il n’y a qu’au Japon où la fibre a dépassé le cuivre (en 2009). Selon l’Institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate), qui organise le 16 juin les 4e Assises du très haut débit (1), « les marchés du très haut débit progressent rapidement » et devrait atteindre fin 2010 les 52 millions d’abonnés dans le monde,
4,1 milliards en Europe, dont près de 1 million en France (955.600 précisément).
Mais le 100 Mbits/s se font encore attendre pour le plus grand nombre. La faute à
« trop cher » ? Raccorder tous les Français à de la fibre optique – d’ici à 2025 comme le souhaite Nicolas Sarkozy – coûterait 30 milliards d’euros, le grand emprunt n’ayant prévu que 2 milliards (EM@2 p. 3). La Datar (2), elle, estime que le coût pouvait être ramené à 18 milliards si l’on termine le réseau très haut débit par d’autres technologies comme la 4G mobile. Mais c’est oublier un peu vite l’ADSL, qui n’a pas encore dit son dernier mot dans la diffusion audiovisuelle (IPTV et VOD en tête). Selon nos informations, l’Union internationale des télécoms (UIT) va officialiser la norme
« G.Vector » ou « G.993 .5 » permettant à l’ADSL de se transformer en « VDSL3 » capable d’atteindre de 100 à 500 Mbits/s sur une distance allant de 500 mètres à 1 kilomètre. « Grâce à la technologie DSM (Dynamic Spectrum Management) que nous avons développée, les lignes de cuivre vont pouvoir facilement offrir des débits 100 Mbits/s avec une très bonne qualité entre le point de terminaison
de la fibre (sous – répartiteur, immeuble, …) et le raccordement de l’abonné via une ligne téléphonique. Et avec le “bonding”, qui consiste à fusionner deux ou trois paires de cuivre, les 500 Mbits/s sont même possibles », explique à Edition Multimédi@ John Cioffi, l’Américain co-inventeur de l’ADSL (3) dans les années 80 et actuel PDG – fondateur de la société Assia. En France, SFR est l’une de ses grandes références européennes (avec Deutsche Telekom, Telefonica ou encore Swisscom). Selon lui, le coût de déploiement de la fibre à domicile est prohibitif : « 2.500 dollars par abonnés pour le FTTH, contre 100 dollars par abonnés VDSL (auxquels il convient d’ajouter
100 à 200 dollars pour la fibre à 1 kilomètre) ». Disponibilité : 2011. @

Jean-Pierre Bienaimé : « Nous entrons dans l’univers du streaming audio et vidéo de très haute qualité »

Président de l’UMTS Forum depuis sept ans (1) et détaché de France Télécom-Orange où il a fait toute sa carrière, Jean-Pierre Bienaimé explique à Edition Multimédi@ ce qui attend les industries audiovisuelles et culturelles avec l’arrivée du très haut débit mobile et, ultérieurement, de la 4G.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pensez-vous que la 3G+ soit suffisante pour la vidéo à la demande, la télévision sur mobile ou encore le streaming de musiques et de radios ?
Jean-Pierre Bienaimé (photo) : La 3G, et plus particulièrement la 3G+ avec la technologie HSPA (High Speed Packet Access)
et son évolution, offre un très bon support aux applications de l’Internet mobile, telles que la télévision sur mobile, le « streaming » audio et vidéo. Orange, par exemple, compte en France plus
de 1 million d’utilisateurs réguliers en TV mobile. A mi-mars, on compte dans le monde environ 215 millions de clients 3G+ bénéficiant du HSPA.
Cette technologie permet d’offrir jusqu’à 14 Mbits/s en réception et 6 Mbits/s en émission. Avant le milieu de l’année prochaine, la moitié des utilisateurs UMTS devraient en bénéficier. Quant aux premiers réseaux HSPA+, ils offrent jusqu’à 28 Mbits/s et, dans les prochaines étapes, ces débits doubleront, voire tripleront. Les constructeurs testent actuellement la nouvelle interface LTE (Long Term Evolution),
qui commencera à être commercialement déployée dans le monde avant la fin de l’année. Tandis que les spécifications de la quatrième génération de mobiles (4G), ou
« LTE-Advanced », seront définies au milieu de l’année prochaine. Les performances décroissent en fonction du nombre d’utilisateurs dans une cellule du réseau, ainsi que de la distance du terminal par rapport à l’émetteur, l’important étant que le débit minimum assuré reste acceptable. Plutôt que débit théorique, les utilisateurs veulent connaître le débit moyen disponible ou minimum permanent.

Neutralité des réseaux : l’Internet mobile aussi ?

Le débat épineux sur l’avenir de la neutralité de l’Internet – que doit intensifier l’Arcep au printemps avec un colloque, en vue d’un rapport gouvernemental attendu « d’ici l’été » – semble s’en tenir aux réseaux fixes. Mais les réseaux mobiles n’y échapperont pas.

Si le débat sur la neutralité de l’Internet a été lancé à propos des réseaux fixes, il est
en passe de s’étendre aux réseaux mobiles jusqu’alors épargnés. « A l’occasion de la consultation publique [de l’Arcep]sur les licences dites 4G, plusieurs opérateurs se sont publiquement opposés au principe de neutralité de l’Internet », s’est inquiétée début février l’Association des services Internet communautaires (ASIC), créée en décembre 2007 par Google, Yahoo, Dailymotion, PriceMinister et AOL (1). Ce principe de neutralité du réseau des réseaux consiste à interdire aux opérateurs télécoms et aux fournisseurs d’accès à Internet (FA) de bloquer ou de restreindre l’accès des internautes et des mobinautes à des contenus en ligne, voire d’en réduire la bande passante de façon discriminatoire et anticoncurrentielle. Si les réseaux fixes qui composent l’Internet semblent relativement protégés par ce principe, du moins en Europe, les réseaux mobiles sont encore loin de le respecter. Tolérées de la première
à la troisième génération de mobiles, les restrictions opérées sur les réseaux mobiles soulèvent débat avec le lancement prochain de la 4G. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et le gouvernement préparent en effet l’avènement en France du très haut débit mobile, lequel devrait concerner bien plus de mobinautes que d’internautes connectés à de la fibre optique. Les procédures d’attribution des fréquences à 800 Mhz et 2,6 Ghz destinées au déploiement des réseaux mobile de quatrième génération (4G) seront lancé « au cours du deuxième semestre 2010 ».