Viktor Arvidsson, Ericsson : « Les consommateurs doivent pouvoir accéder aux contenus légaux de leur choix »

Le directeur de la stratégie et des affaires réglementaires chez Ericsson France, filiale du numéro un mondial des réseaux mobiles, répond aux questions d’Edition Multimédi@ sur l’émergence d’un nouvel écosystème à l’heure de la convergence entre télécoms et audiovisuel.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Comment Ericsson perçoit-il
le souhait de l’industrie du cinéma français que les fabricants de terminaux interactifs puissent être obligés comme les fournisseurs d’accès à Internet d’investir dans des films? Viktor Arvidsson (photo) :
Il nous
semble que cette approche, qui consisterait à obliger les équipementiers télécoms à investir dans les contenus, n’est pas nécessairement la meilleure. A notre sens, les différents acteurs de l’écosystème contribuent conjointement au développement du marché. S’il n’y avait pas de vidéo à la demande, il y aurait moins de terminaux interactifs et inversement. Il faut donc être extrêmement prudent avant d’attribuer un succès – que l’on serait tenté de considérer comme un peu « parasitaire » – à un des acteurs d’un écosystème. Dans ce contexte, le réflexe qui consiste à « punir » les acteurs qui réussissent est plutôt contre-productif. Cette approche nous semble également assez inédite et l’on voit mal, par exemple, l’industrie de l’automobile financer les constructeurs d’autoroutes ! S’il y a des problèmes conjoncturels ou structurels dans une industrie, il faut les traiter en tant que tels. Il ne nous semble donc pas légitime et efficace de taxer ainsi les équipements télécoms.

EM@ : Si le trafic de données sur les réseaux mobiles d’Ericsson a dépassé en décembre 2009 le trafic voix en raison des smartphones et des clés 3G, les réseaux mobile sont-ils vraiment menacés de saturation ?
V. A. :
Les trafics sont en forte croissance, mais la capacité des réseaux est également amenée à croître fortement dans les années qui viennent. Cet accroissement de la capacité sera soutenu par les évolutions logicielles et les migrations des réseaux, notamment vers le LTE (Long Term Evolution). Il y aura évidemment des tensions et
des saturations ponctuelles. Mais, dans leur ensemble, les réseaux mobiles ne sont
pas menacés de saturation.

« Nous nous développons dans le domaine du multimédia, avec la conception d’applications nouvelles, comme l’IPTV (télévision via les réseaux ADSL, ndlr), la télévision sur mobile ou encore des applications Web. »

EM@ : Force est de constater que la Net Neutrality n’est pas la règle sur les réseaux mobiles : est-ce encore justifié ?
V. A. :
Le terme de « Net Neutrality » ne nous semble pas approprié et il faut plutôt parler d’ouverture d’Internet, dont nous sommes de fervents partisans. Il nous paraît crucial que les consommateurs puissent accéder aux contenus légaux de leur choix. Pour justement leur offrir cette liberté, il est nécessaire que les opérateurs mobiles puissent gérer le trafic sur leurs réseaux, tout comme une ville gère son trafic pour permettre à tous de se déplacer. Il y a déjà des opérateurs dans le monde qui différencient leurs offres d’accès à l’Internet mobile, comme c’est le cas par exemple pour AT&T qui a récemment annoncé une telle stratégie. De plus, nous avons en France une offre relativement riche dans le choix du fournisseur d’accès mobile et le consommateur pourra exercer sa liberté de choix s’il s’estime mal servi sur ce point.

EM@ : La création de valeur se déplace des infrastructures réseaux vers les services et le Web. Les « tuyaux » ne se banalisent-ils pas, tout en rapportant moins (en entraînant des suppressions d’emplois) que les contenus et services qui y sont proposés ?
V. A. :
Ces effets sont sans doute structurels, avec une migration de la valeur vers les couches plus hautes, et conjoncturels, avec une concurrence aujourd’hui exacerbée. Mais notre vision d’un monde, avec 50 milliards d’objets connectés à l’horizon 2020, comporte des opportunités significatives pour une société comme Ericsson. Et ce, dans
la conception, le déploiement et la gestion de ces systèmes de communication très riches et complexes à la fois. Les infrastructures réseaux ne deviendront pas de simples commodités peu ou pas rentables mais elles feront, au contraire, appel à de plus en plus d’expertise pour assurer la convergence des données et sa distribution efficace auprès des consommateurs.

EM@ : Ericsson est-il tenté de « monter » dans la chaîne de valeur, comme le font les fabricant de téléviseurs avec les « widgets » ?
V. A. :
Nous nous développons en effet dans le domaine du multimédia, avec la conception d’applications nouvelles, comme l’IPTV (télévision via les réseaux ADSL, ndlr), la télévision sur mobile ou encore des applications Web. Par exemple,
notre portail Lifestore pour réseaux sociaux (Flicker, Facebook, Twitter) compte aujourd’hui 30 installations dans le monde. L’ambition d’Ericsson est d’être un acteur capable de proposer une approche globale, de bout en bout, aux opérateurs mais également aux télédiffuseurs, ainsi qu’à certains secteurs industriels ayant de gros besoins en réseaux de télécommunications (énergie, transport, sécurité …). Nous avons acquis la société Tandberg (en 2007, ndlr) qui fournit des encodeurs vidéo, en particulier en France. En Suède par exemple, nous avons un contrat avec le groupe
de média TV4 sur la production de contenus vidéo.

EM@ : Ericsson a lancé en décembre 2009 « le tout premier réseau commercial 4G au monde ». Ce fut en Suède avec TeliaSonera. En France, qui sera en mesure de commercialiser le premier un réseau LTE? Et à quels débits « réels » descendants et montants ?
V. A. :
Aujourd’hui, il est sans doute trop tôt pour dire qui sera le premier à commercialiser le premier réseau LTE en France. En ce qui concerne les débits réels, ils dépendent de nombreux facteurs comme la largeur du spectre disponible, l’ingénierie, la densité d’utilisateurs au sein d’une cellule donnée,… Ce qui nous paraît important de retenir est que le LTE devrait permettre de gagner un facteur d’échelle en multipliant les débits actuels – de quelques centaines de Kbits/s à quelques Mbits/s sur le lien descendant – de l’ordre d’un facteur 10.

EM@ : Comment Ericsson est-il en outre impliqué en France dans le montage
de la télévision mobile personnelle (TMP) ? Et croyez-vous à la radio numérique terrestre (RNT) sur 3G/4G ?
V. A. :
Ericsson n’est pas directement impliqué dans la TMP. Nous nous concentrons dans ce domaine sur les réseaux de type 3G/4G permettant également de développer
des fonctionnalités de multicast ou de broadcast. Si le broadcast n’a pas été implémenté aujourd’hui sur la 3G (norme MBMS), c’est essentiellement parce que
le besoin n’était pas si criant que cela. La 4G (LTE) intégrera des fonctionnalités de broadcast et de multicast. Avec l’accroissement du trafic vidéo, les fonctionnalités de type broadcast sur les réseaux cellulaires se justifieront pleinement. Aujourd’hui, une grande partie du trafic vidéo sur les réseaux mobiles est de nature plus personnelle et interactive et ne rentrerait pas aisément dans le cadre d’une offre de TMP classique dans la bande UHF. Quant à la radio, elle est un média riche et vivant qui a sa place et aura une place importante avec l’évolution vers le numérique. Elle pourra être véhiculée de manière interactive et personnalisée sur les réseaux 3G/4G. @