Forum d’Avignon : entre Internet et Ancien Régime

En fait. Du 4 au 6 novembre, s’est tenue à Avignon la troisième édition
des Rencontres internationales de la culture, de l’économie et des médias organisées par le Forum d’Avignon – présidé par Nicolas Seydoux – sur le
thème : « Nouveaux accès, nouveaux usages à l’ère numérique : la culture
pour chacun ? »

En clair. Le Forum d’Avignon, association qui bénéficie d’une convention triennale
avec le ministère de la Culture et de la Communication (lire EM@12 p. 7), se veut un
club d’échange très sélect sur la « diversité culturelle » et les médias. Certains, comme
le directeur général de la SACD (1), Pascal Rogard, ont trouvé ces rencontres
« frustrantes » : « Ce qui a manqué, c’est la présence et l’expression singulière des auteurs et artistes loin des langages formatés des spécialistes du marketing ». De plus, les industries culturelles « ne parlent plus de films, de livres, de musique mais utilisent toutes les dix secondes cet horrible mot de “contenu” qui permet de “consommer du Kant” sans doute comme des yoghourts » ! Avec le soutien de dix-sept partenaires privés (Vivendi, Orange, Bertelsmann, Le Figaro, Bayard, BNP Paribas, …), le Forum d’Avignon a le mérite de débattre sur la vague du numérique pour éviter qu’elle n’emporte toute la culture sur son passage. Sur fond de loi Hadopi, de réponse graduée, d’adoption par les eurodéputés du rapport Gallo sur « le renforcement de l’application des droits de propriété » (2) ou encore de futur accord ACTA anti-contrefaçon, ces troisièmes recontres avaient un petit air de revanche contre « les derniers partisans de la gratuité à tout prix [des contenus en ligne] », qui, selon Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture et de la Communication, « ressemblent de plus en plus à des mutins de Panurge ». Et d’ajouter lors de l’ouverture du Forum d’Avignon :
« La question de la rémunération des créateurs et de la valeur des (…) contenus a repris sa place centrale dans un débat qui vise à articuler offre numérique légale et dynamisme des filières culturelles de nos économies (…) Défendre l’offre légale contre le piratage, ce n’est pas, bien sûr, céder pour autant à la logique du tout marché ».
Le numérique suppose, selon lui, de repenser l’intervention de la puissance publique : partenariats publics-privés, propositions de loi, TVA à taux réduit sur les biens culturels en ligne, … Il a, sur ce dernier point, interpellé Neelie Kroes intervenant elle aussi à Avignon. La commissaire européenne en charge du Numérique a parlé, elle, de
« révolution Internet, qui révèle la position insoutenable de certains “gardiens” [détenteurs de droits, ndlr] des contenus relevant de l’Ancien Régime »… Instaurer
un système de licence de droits musicaux pan-européen fait parti de ses projets. @

Walt Disney : un géant fragilisé par le numérique ?

En fait. Le 11 novembre, le groupe Walt Disney a publié les résultats de son
année fiscale achevée le 2 octobre 2010 : bénéfice net en hausse de 20 % à
près de 4 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires en augmentation de 5 %
à 38 milliards. Un conglomérat en quête de stratégie numérique.

En clair. Le plus gros conglomérat au monde avec ses 144.000 salariés (dont 300 personnes en France) et ses cinq grandes activités – réseaux de télévisions, parcs
et hôtels, studio de cinéma, produits, médias interactifs – termine son année fiscale sur une fausse note : notamment une baisse significative de la télévision (réseau câblé sportif ESPN, Disney Channel et chaîne ABC) durant son quatrième trimestre, tant en chiffre d’affaires (- 7 %) qu’en résultat opérationnel (- 18 %). Comme cette activité pèse pour 45 % du total des revenus du groupe, ce fléchissement dû à un « changement dans les recettes de la TV payante » a déçu. Le modèle de la TV payante subirait-il
le contrecoup de la vidéo sur le Net ? Cinq ans après le départ de son ancien PDG, Michael Eisner, Disney semble chercher une vraie stratégie numérique. Il n’a pas le contrôle de Hulu – plateforme de VOD et de catch up TV dans laquelle Disney/ABC a coinvesti en 2007 avec Fox et NBC Universal – et regarde déjà du côté de l’Apple TV. ABC a réduit ses effectifs et se numérise, tandis que Disney espère que sa plate-forme de VOD, KeyChest, sera prête en fin d’année. Heureusement, le succès record de
« Toy Story 3 » au cinéma et en DVD (Blu-Ray compris) a compensé le manque à gagner. L’acquisition de Pixar en 2006 commence à porter ses fruits et Disney en espère encore beaucoup lors de la sortie à l’été 2011 de « Cars 2 » (1), qui sera aussi en exclusivité sur la PS3. Au printemps dernier, Disney a annoncé la fermeture des studios ImageMovers Digital. Disney est, en outre, tenté de bousculer la chronologie des médias, « Alice au pays des merveilles » ayant déclenché une polémique en Europe après sa sortie DVD moins de trois mois après sa sortie en salle. Dans la branche produits (rentable) et les médias interactifs (déficitaire), le DG de Disney, Robert Iger, a précisé qu’il allait maintenant « moins investir dans les consoles de jeu, mais plus dans les jeux vidéo en ligne ». En juillet dernier, Disney a fait deux acquisitions : Playdom, éditeur spécialisé dans les jeux pour réseaux communautaires comme MySpace avec Mobster ou encore Facebook avec Treetopia ; Tapulous, éditeur de jeux pour l’iPhone/iPod/iPad, pour « devenir le leader du divertissement mobile ». Quant aux livres numériques, Disney entend adapter sa e-librairie DineyDigitalBooks aux tablettes. « Les médias numériques évoluent encore, nous en sommes au début
du début », avait lancé Robert Iger en début d’année. @

Convergence des médias : quelle régulation ?

En fait. Le 16 novembre, l’agence de relations publiques Aromates a lancé ses invitations pour les 4e Assises de la convergence des médias qui se dérouleront
le 13 décembre à l’Assemblée nationale avec l’Idate, à l’initiave de Patrice Martin-Lalande. Thème : « Quels médias dans le monde de l’Internet ? ».

En clair. Entre le DigiWorld Summit de Montpellier de mi-novembre et les 4e Assises de la convergence des médias de mi-décembre à Paris, il y aura une constante dans les débats : la nécessité de faire évoluer la réglementation face à la domination de grands acteurs du Net : Google-YouTube, Apple, Yahoo, Facebook, Hulu, Dailymotion, etc. Si l’on y ajoute la montée dans la chaîne de valeur des fabricants de terminaux interactifs, tels que téléviseurs connectés, smartphones ou tablettes, force est de constater que la régulation reste très éclatée face à une économie numérique convergente. Les 4e Assises se tiennent à l’Assemblée nationale, où justement un rapport a été rendu le 28 octobre sur les autorités administratives indépendantes.
Il propose de « regrouper dans le cadre de la convergence numérique le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et la Haute autorité pour la diffusion des œuvres
et la protection des droits sur Internet (Hadopi), en lien avec le Forum des droits sur l’Internet (FDI) ». Les deux auteurs, les députés René Dosière et Christian Vanneste, renvoient « après le 30 novembre 2011, date du passage de la télévision hertzienne au numérique » le moment de cette fusion, « pour ne pas entraver les travaux en cours ». Illustration de la convergence des médias : la publication au BOAMP (1) le 18 octobre d’un « groupement de commandes » pour une étude sur « les nouveaux usages et services sur les réseaux très haut débit et leur impact sur le modèle économique de la fibre ». Il émane de trois régulateurs – le CSA, l’Arcep et de l’Hadopi –, ainsi que de trois organisations gouvernementales que sont la DGMIC (2), le CNC (3) et la DGCIS (4). Tablant sur 50 % des foyers ayant accès au très haut débit d’ici à 2015, l’étude devra identifier les nouveaux services audiovisuels (HD comprise), les SMAd (VOD, catch up TV, …), les offres multiécrans, la télévision en 3D, les services interactifs (notamment implantés dans les téléviseurs), les jeux vidéo. Il y sera aussi question
de consommation linéaire ou non linéaire – « complémentaire ou substituable » –
de programmes audiovisuels, «en incluant le streaming via Internet ». Enfin, l’étude évaluera « la consommation de contenus audiovisuels illégaux, eu égard notamment
au développement des offres de téléchargement illégal grâce au peer-to-peer et au streaming ». Date limite des candidatures : 23 novembre et rapport au printemps 2011. @

Pub en ligne : 34 milliards d’euros sur le DigiWorld

En fait. Les 17 et 18 novembre, à Montpellier, a eu lieu le 32e DigiWorld Summit de l’Idate sur le thème de « Qui finance l’Internet du futur ? ». Au-delà des acteurs eux-mêmes (opérateurs, FAI/abonnés, moteurs, portails, …), la publicité en ligne – « taxe Google » comprise – était dans tous les esprits.

En clair. La publicité est plus que jamais le nerf de la guerre numérique. Surtout qu’un vent de reprise publicitaire – constaté au troisième trimestre par différents médias (presse, télévision, web) – a aussi soufflé sur Montpellier lors des deux journées internationales de l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate). Selon ce dernier, les publicités vidéos, mobiles et réseaux sociaux constituent les trois « nouveaux marchés » de la publicité en ligne dans le monde, laquelle enregistre une croissance annuelle (à deux chiffres) supérieure à celle (à un chiffre) des médias traditionnels. Bien que ces trois segments émergents soient encore de taille modeste, à savoir 6,6 milliards d’euros en 2010 sur un marché mondial de la publicité en ligne estimé à 34 milliards d’euros (1), ils sont promis à un bel avenir. Grâce notamment au « poids gigantesque des usages de Facebook, YouTube ou de l’App Store ». Pour l’instant, les réseaux sociaux arrivent en tête avec, rien qu’en Europe,
383 millions d’euros de recettes publicitaires cette année, suivis des vidéos online générant 261 millions et des mobiles affichant 191 millions. Mais, prévoit Vincent Bonneau, directeur Internet à l’Idate, « la publicité vidéo sera le format le plus dynamique » – au point de dépasser les réseaux sociaux dès 2012 et de franchir
1 millard d’euros de revenus publicitaires (2) en Europe courant 2013 ! Même scénario pour l’Internet mobile qui, en Europe, se placera en seconde position de ces trois marchés publicitaires prometteurs – mais en s’arrogeant la première place au plan mondial. Malgré une audience massive, les réseaux sociaux relégués au troisième
plan « connaîtront une progression un peu moins soutenue ».
Cet engouement des annonceurs pour la vidéo est aussi constaté par le cabinet d’études PricewaterhouseCoopers : « Le rich media [multimédia interactif, ndlr] et
la vidéo porteront la croissance de la publicité en ligne », d’autant que « les taux d’interaction se révèlent 20 à 50 fois supérieurs aux taux de clics ». Pour l’heure, ce sont les moteurs de recherches – Google en tête mais visé par la taxe de 1% par les sénateurs français (3) – qui captent plus de la moitié du marché mondial de l’e-pub avec leurs liens sponsorisés – soit 18,6 milliards d’euros en 2010 selon l’Idate. Un poids qui dépassera les 60 % à l’horizon 2014, non sans soulever des questions de position dominante, de transparence des moteurs, de protection des consommateurs ou encore de… taxation de l’e-pub. @

Pourquoi la vidéo menace la neutralité du Net

En fait. Le 17 novembre, lors du DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier, le séminaire
« Média » a fait la part belle à la vidéo en ligne, qui explose de 100 à 130 % par an et qui participe pour plus de la moitié à l’augmentation – de 50 % à 60 % par an – du trafic de l’Internet. Ce n’est pas neutre…

En clair. Imaginez que 40 % du trafic sur Internet soient de la vidéo en ligne mais que ces flux génèrent seulement 4,4 % des revenus du réseau des réseaux. Imaginez aussi que seulement 10 % du trafic sur le Net soient issus des moteurs de recherche mais que ces derniers représentent 26,7 % du chiffre d’affaires généré sur le Net. Cette dé-corrélation entre le trafic et les revenus est à l’origine des craintes des opérateurs télécoms de voir leurs réseaux saturer et des débats remettant en cause la neutralité. Et la montée en charge de l’Internet mobile et l’arrivée de la télévision connectée devraient accentuer le fait que le trafic augmente plus vite que les revenus. Les YouTube, Yahoo, Dailymotion et autres Facebook sont montrés du doigt par les opérateurs télécoms qui veulent un retour sur investissement. Comment ? En instaurant un péage sur leurs infrastructures, notamment à travers une « tarification à la terminaison d’appel data » ou d’un « paiement d’une interconnexion premium par les fournisseurs de services ou de contenus ». Le système de peering, selon lequel les opérateurs du Net s’échangeaient sans facturation mais compensation leurs trafics plus ou moins sysmétriques, est en passe de devenir obsolète avec le déséquilibre des flux provoqué notamment par la vidéo. Les acteurs du Web, de plus en plus gourmands en bande passante, estiment, eux, qu’ils font le nécessaire pour optimiser leur trafic, notamment avec des CDN (1). « Il n’y aura pas de Big Bang », a lancé Martin Rogard, DG de Dailymotion France, affirmant qu’il pouvait y avoir un effet de congestion mais pas de blocage. « Les grands émetteurs de trafic doivent contribuer [au financement
de notre réseau]», a répondu Stéphane Richard, DG de France Télécom. Dans cet écosystème perturbé, l’arrivée de la télévision connectée laisse présager une augmentation exponentielle de la vidéo sous toutes ses formes (VOD, catch up TV,
pub vidéo, …). Les fabricants de téléviseurs, vont à leur tour venir bousculer la chaîne de valeur (lire p. 7). Google TV, Apple TV mais aussi Yahoo ont déjà posé des jalons pour contôler le téléspectateur. Yahoo, dont la directrice « connected TV » pour l’Europe, Shirlene Chandrapal, s’est rendue pour la première fois au DigiWorld Summit, a indiqué à EM@ avoir trois accords européens ; avec le sud-coréen Samsung (2), le japonais Sony et le turc Vestel. Et dans le monde, « Yahoo! TV » est déjà présent sur 5,5 millions de téléviseurs connectés. @