Yves Gassot, Idate : « Les ventes mondiales sur Internet ne dépassent pas encore les 20 milliards d’euros »

A un mois du 32e DigiWorld Summit qui se tiendra les 17 et 18 novembre
à Montpellier, le directeur général de l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate) qui l’organise répond aux questions
de Edition Multimédi@ sur les enjeux futurs d’Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le thème des prochaines journées de l’Idate est « Qui finance l’Internet du futur ? ». A question simple, problématiques multiples…
Yves Gassot (photo) :
Naturellement tous les acteurs contribuent, par leurs innovations et leurs investissements, à l’Internet. Mais
il y a une vraie difficulté à avoir une vision d’ensemble de l’écosystème : comment ça marche ? Qui fait quoi ? Qui investit dans quoi et bénéficie de quelles recettes ? Quelles sont les transformations en cours les plus significatives ? Pour notre conférence internationale, nous allons essayer de clarifier ces points en se concentrant sur quelques maillons
de la chaîne et sur les problématiques qui les accompagnent. Au coeur de l’Internet,
il sera question des tiraillements entre les « backboners » (Level3, Global Crossing,
AT&T, …), les grands agrégateurs de contenus (Google, Amazon, …), les réseaux de distribution de contenus ou CDN (1) (Akamai, Limelight, …) et les fournisseurs d’accès
à Internet (FAI). Comment font-ils pour s’interconnecter, supporter la croissance des flux, les contraintes de qualité de la vidéo ? etc. En périphérie, sera soulevée la problématique du renouvellement des réseaux d’accès en fibre (FTTx) ou cellulaire (LTE) : dans quelle mesure les FAI peuvent-ils supporter ces investissements en se limitant à fournir un accès aux consommateurs ? Sur le marché de la vidéo : que va changer la TV connectée ? Comment les chaînes vont-elles survivre face à la profusion d’offres de « video over the top » (2) ? Dans l’accès même aux applications et services par l’internaute, il y a d’autres interrogations : quelle peut être la place de Facebook face au modèle de type Apple (App Store) ou du Web « ouvert » défendu par Google qui contrôle le marché des moteurs de recherche ? Et finalement, nous aborderons les thématiques de la Net neutralité et des atouts européens face aux perspectives de l’Internet du futur.

EM@ : Le gouvernement songe à une taxe sur les abonnements fixe ou mobile,
et non sur les revenus des opérateurs télécoms, en faveur du déploiement de la fibre optique. Est-ce qu’une politique de taxation pour financer le très haut débit est une solution ?
Y. G. :
Remarquons d’abord que si nos grandes villes européennes étaient équipées en accès fibre, nous n’accuserions pas le même retard vis-à-vis du Japon, de la Corée du Sud ou des Etats-Unis. Il est normal qu’une innovation se déploie en priorité là où les conditions sont les plus favorables aux investisseurs. Il est cependant légitime que les responsables politiques imaginent des dispositifs complémentaires pour aller plus loin et plus vite. Le problème est qu’il y a, d’une part, plusieurs taxes appliquées aux opérateurs ou en discussion, et, d’autres part, plusieurs mécanismes de soutien à la couverture des territoires (3). Il faut peut-être clarifier les choses en veillant dans tous les cas à ce que : premièrement, les dispositions retenues ne freinent pas l’investissement des opérateurs ; deuxièmement, les ressources financières dégagées soient utilisées en respectant les principes d’une concurrence loyale et effective entre les acteurs.

EM@ : Aux Etats-Unis, Verizon et Google ont noué cet été un accord sur la
« gestion de services différenciés » avec un objectif de « transparence » aussi
bien sur les réseaux du fixe que du mobile. En Europe, pourrait-on voir un accord de ce type sur la Net neutralité ?
Y. G. :
Je pense que oui. Finalement, la plupart des protagonistes sont aujourd’hui d’accord sur non seulement la non discrimination entre les fournisseurs de contenus
et les consommateurs, ce qui ne signifie pas de s’en tenir à une seule offre de prise
en charge du trafic ou à une seule offre d’accès, mais aussi sur les dispositions de management du trafic qui doivent être rigoureusement justifiées et faire l’objet d’une information transparente. Un accord sur ces points clarifierait le sujet. On en est pas
loin quand on voit l’accueil favorable par plusieurs acteurs des principes proposés par l’Arcep. Il resterait trois débats. Le premier a trait à l’asymétrie du trafic échangé dans
les interconnexions que supportent les FAI avec les agrégateurs de contenus et d’applications ou leurs prestataires (« backboneurs »). Le second renvoie aux arbitrages sur la juste régulation (ex ante ou ex post) et finalement sur l’opportunité d’une loi qui risque de s’en tenir à quelques grands principes. Le troisième sujet déborde du cadre classique de la Net neutralité : quid des positions dominantes au-delà des accès, sur le marché des terminaux, des plateformes applicatives ou des moteurs de recherche ?

EM@: La bataille de la maîtrise du client final : quelle peut être la place des opérateurs télécoms face à des écosystèmes applicatifs en prise direct avec
les consommateurs, comme l’iTunes, les TV connectées, etc. ?
Y. G. :
D’abord, on a tort de dévaloriser systématiquement l’accès sous prétexte de
ne pas devenir une dumb pipe, autrement dit un simple fournisseur de tuyau. Le très haut débit fixe et mobile en tout lieu représentera une valeur considérable pour le consommateur. La complexité de la réalisation de cette offre à travers les choix à faire dans les années à venir représente un espace de différenciation pour les opérateurs télécoms. La proposition de valeur à concevoir vis-à-vis des fournisseurs d’applications
et de services, ou de terminaux, doit être aussi vue comme un autre élément de différenciation. Selon la taille et les priorités retenues, on verra probablement se
dégager des profils assez contrastés d’opérateurs télécoms dans les dix ans à venir.

EM@ : Comment évaluez-vous le marché mondial des ventes générées sur
Internet et quelle croissance prévoyez-vous sur les années à venir pour les nouveaux marché en ligne des contenus et services?
Y. G. :
Selon les estimations de l’Idate, sur les quelque 210 milliards d’euros de revenus agrégés pour les marchés de la vidéo, de la radio, de la musique, de la presse et des livres aux Etats-Unis et en Europe, les revenus de ventes sur Internet ne représentaient encore en 2009 qu’à peine 11 milliards, soit tout juste 5 %. Les ventes en circuit traditionnel restent donc encore largement prédominantes. Si l’on extrapole au niveau mondial, ces ventes par Internet ne dépassent pas encore les 20 milliards d’euros
(hors revenus publicitaires). L’e-commerce, de manière large, représente des montants
de transactions beaucoup plus élevés (144 milliards d’euros en Europe en 2009, presque autant aux Etats-Unis) et l’on retrouve des ratios finalement assez proches de ceux indiqués précédemment pour les seuls produits et services numériques (4). Quant au marché mondial de la publicité en ligne, il est estimé à 34 milliards d’euros. Ces recettes publicitaires alimentent pour grande partie les activités « gratuites » de l’Internet (recherche, réseaux sociaux, …). Au total, ce n’est sans doute pas tant la valeur, aujourd’hui encore assez limitée de ces nouveaux marchés, qui en situent l’enjeu mais bien plus leur dynamique : les marchés du ecommerce progressent en moyenne de 15 % à 20 % par an et les revenus de la publicité en ligne devraient avoir doublé dans le monde entre 2008 et 2012. @