Réforme de l’audiovisuel : plus de pouvoirs pour le CSAmais plus de fréquences pour l’Arcep

Le président de la République va continuer à nommer le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) mais le projet de loi débattu cet été renforcera l’indépendance de l’audiovisuel public et le pouvoir de sanction du CSA. En attendant 2014 pour tenter de réguler Internet.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

« Moi, président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les présidents des chaînes publiques, je laisserai ça à des instances indépendantes », déclarait le 2 mai 2012 le candidat François Hollande dans sa désormais célèbre anaphore de l’entre-deux tours. Voilà qui sera bientôt chose faite. Les contours du premier texte de réforme de l’audiovisuel – sur les deux voire trois qui sont au total attendus – ont été confirmés en Conseil des ministres du 5 juin 2013 (1). Ce projet de loi sera soumis en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 juillet, soit avant la fin de la session parlementaire.

Président du CSA : toujours l’Elysée
Si le champ des pistes de réforme évoquées dans le rapport remis par Pierre Lescure le 13 mai est particulièrement large et ambitieux, le périmètre des sujets à traiter avant la fin de l’été est plus modestement arrêté : il s’agit de renforcer l’indépendance structurelle des dirigeants des entreprises audiovisuelles publiques, de réformer la composition et les modalités de nomination des membres du collège du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), et de mettre ce dernier en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) concernant
la séparation des pouvoirs d’instruction, de poursuite et de sanction des autorités administratives indépendantes.
Depuis 2009, les dirigeants des entreprises audiovisuelles publiques – France Télévisions, Radio France et France Médias Monde (ex-Audiovisuel extérieur de
la France regroupant France 24 et Radio France International) – sont directement
nommés par le président de la République (2), après avis du CSA et des commissions parlementaires compétentes (3). A contrario, le projet de loi prévoit que ces derniers soient à nouveau nommés par le CSA, sans avis des commissions des affaires culturelles des deux assemblées. Malgré l’opposition affichée par certains parlementaires (4), le projet de loi envisagerait de ne pas interrompre les mandats en cours. Il faudrait donc attendre mai 2014, pour que la loi nouvelle trouve à s’appliquer. L’objectif consiste à renforcer l’indépendance structurelle de l’audiovisuel public, notamment à l’égard de l’exécutif, dans certaines limites puisque c’est bien le président de la République qui continuera de nommer le président du CSA. Quant à la composition du collège du gendarme de l’audiovisuel, elle est remise à plat (5).
Enfin, le troisième axe du projet de loi touche au pouvoir de sanction du CSA. Afin
de mettre ce dernier en conformité avec la jurisprudence de la CEDH portant sur les pouvoirs des autorités administratives indépendantes (6), le projet de loi entend séparer la fonction d’instruction des dossiers de celle de délibération des sanctions (7). Pour
ce faire, la loi propose la création d’un rapporteur, en charge de décider si les faits du dossier porté à sa connaissance justifient ou non l’engagement d’une procédure de sanction devant l’organe de délibération, le collège. Ce rapporteur, nommé par le vice-président du Conseil d’Etat, serait ainsi indépendant du collège et réciproquement ne participerait pas à ses délibérés. Les garanties relatives au “procès équitable” devraient donc être renforcées. Bien que les sujets les plus brûlants ne soient vraisemblablement pas traités avant 2014, le rapport Lescure semble avoir ébauché les lignes directrices des prochains projets de loi auxquels le gouvernement devra s’atteler prochainement. S’agissant des pouvoirs dévolus au CSA, sont formulées plusieurs recommandations substantielles en vue d’élargir ses pouvoirs au réseau Internet sur lequel prospèrent
la diffusion et la “consommation” d’œuvres audiovisuelles, notamment au travers des services de vidéo à la demande (VOD).

Des pouvoirs élargis au Net pour le CSA
Outre le transfert des compétences de l’Hadopi dans le périmètre des attributions du CSA, le rapport Lescure entend véritablement lui conférer un rôle central, en l’érigeant comme autorité en charge de l’observation et de la régulation des pratiques culturelles en ligne. Certes, le rapport Lescure contient de nombreuses autres mesures de principe, déjà largement commentées : financement de la création audiovisuelle, chronologie des médias (8), incitation à la numérisation des œuvres, nouveaux dispositifs fiscaux à mettre en oeuvre (9), mise en place d’un code de bonne conduite
à l’attention des moteurs de recherche, refonte du statut légal de l’hébergeur, etc. Ce nouveau rapport présente le mérite de proposer une approche globale de la situation
y compris sur des sujets déjà largement débattus (10).

Du donnant-donnant avec les GAFA ?
Parmi cette pléthore de propositions, une innovation étend significativement les prérogatives du CSA en matière de régulation de l’offre culturelle en ligne : proposer aux fournisseurs de services en ligne de prendre des engagements contractuels à l’égard du CSA en échange d’un certain nombre d’avantages. Faute de pouvoir “imposer” l’exception culturelle dans le paysage de la Toile, le rapport Lescure adopte une approche de type donnantdonnant, selon laquelle tout fournisseur de services, qu’il soit établi en France ou à l’étranger, pourrait accéder à des avantages significatifs : priorité dans l’accès aux dispositifs d’aides publiques sectoriels et un relèvement des taux des aides publiques et/ou des plafonds d’aides publiques, priorité dans l’accès aux œuvres via un aménagement spécifique de la chronologie des médias pour la VOD par exemple, priorité dans l’accès aux consommateurs via une garantie d’accès aux offres des distributeurs (FAI, terminaux connectés, plates-formes vidéo, magasins d’application), ou encore priorité dans la gestion des débits, sous le contrôle de l’Arcep.
En échange, à quoi devrait s’engager le fournisseur de service volontaire ? Le rapport Lescure propose de prévoir des engagements quasi-contractuels ayant pour finalité
de prendre acte de la volonté des fournisseurs concernés de participer à l’émergence d’une offre “de service public” en ligne : quotas d’exposition de la création européenne ou française sur les pages d’accueil des services, voire des productions indépendantes ou “nouveaux talents”, contribution au financement de la création en pourcentage du chiffre d’affaires, dépenses affectées à la numérisation pérenne des œuvres, offre de tarifs sociaux au public afin de favoriser l’accessibilité culturelle des catégories sociales les plus sensibles (chômeurs, étudiants), et/ou de mise en place de partenariats institutionnels avec les médiathèques ou les universités. Quelle portée pourrait avoir
une telle proposition dans la pratique ? Des fournisseurs de services surpuissants, tels que les “GAFA” (11), accepteraient-ils de jouer le jeu de cette régulation basée sur le volontariat ? Rien ne permet de s’assurer de l’efficacité d’une telle mesure, qui pourrait
en réalité rester lettre morte. Entorse au sacro-saint principe de la neutralité du Net selon les pourfendeurs de la liberté sur la Toile (12), proposition pragmatique en faveur de l’exception culturelle française selon le CSA, le débat ne fait que commencer. Le rapport Lescure tend sans conteste à étendre les pouvoirs du CSA à de nouvelles prérogatives, telles que la défense et la promotion de l’offre culturelle légale en ligne
– via l’absorption de l’Hadopi – ou la régulation des contenus audiovisuels sur Internet sur la base du volontariat des fournisseurs de services.
Parallèlement, le débat récurrent relatif à la fusion entre CSA et l’Arcep, voire l’ANFR (13), semble avoir été relégué à l’arrière-plan au cours des derniers mois, faute d’arbitrage gouvernemental clair sur le sujet. En effet, la tendance à la bipolarisation de la régulation, dans une perspective “contenus versus contenants”, reprend aujourd’hui de la vigueur à la faveur de la bataille que se livrent l’Arcep et le CSA s’agissant des fréquences 700 Mhz. La ministre en charge de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, a confirmé le 27 juin – lors de la conférence “Spectre et Innovation” organisée par l’ANFR – ce que le gouvernement avait déjà annoncé au printemps dernier. A savoir : réattribuer aux opérateurs télécoms les fréquences dans la bande 700 Mhz exploitées par les chaînes de la TNT, au grand dam de ces dernières et du CSA, afin de permettre aux opérateurs d’augmenter leurs ressources pour le développement des services 4G. Cette initiative avait été accueillie favorablement par l’Arcep (14).

 700 Mhz : question cruciale du calendrier
Si les modalités précises de la replanification n’ont pas encore été arrêtées, et quelle que soit l’issue des consultations publiques à venir, nul doute que ces débats autour d’un calendrier à échéance 2017-2020 donneront l’occasion au gouvernement comme aux premiers concernés – CSA et Arcep – d’exprimer leurs positions respectives sur la politique de gestion des fréquences et donc, in fine, sur leurs attributions respectives en
la matière. Reste à savoir si ces deux régulateurs étendront chacun leurs sphères de compétences respectives, ou bien si seul l’un d’entre eux en ressortira vainqueur. @