Sorti en 2020 de la galaxie News Corp, en désaccord avec son père, James Murdoch n’a pas dit son dernier mot

Le 15 novembre 2023, lors de la prochain AG du groupe de médias News Corp, l’aîné des deux fils Murdoch, Lachlan (52 ans), en deviendra président – succédant à son père Rupert Murdoch. Le cadet, James (50 ans), n’est plus dans l’organigramme de la galaxie News Corp depuis juillet 2020. Qu’est-il devenu ?

James Murdoch (photo) avait démissionné le 31 juillet 2020 du conseil d’administration de News Corp, le groupe fondé quarante plus tôt par son père Rupert Murdoch, magnat des médias, à la tête du plus grand empire de presse et de télévision. « Ma démission est due à des désaccords sur certains contenus éditoriaux publiés par les organes de presse de la société et certaines autres décisions stratégiques », avait justifié le fils cadet du milliardaire australo américain dans sa letter of resignation. Réputé bien moins conservateur que son père et que son frère ennemi Lachlan, James Murdoch avait déjà exprimé son opposition à la ligne éditoriale très à droite des médias du groupe. Pourtant pressenti un temps comme l’héritier naturel de la firme, il avait ainsi quitté la galaxie médiatique de son père qui comprend des journaux renommés tel qu’en Grande-Bretagne The Times, The Sunday Times ou The Sun ainsi qu’aux Etats-Unis The Wall Street Journal, et des tabloïdes en Australie The Daily Telegraph, Herald Sun ou encore The Courier-Mail. La compagnie « Murdoch » englobe aussi le groupe de télévision Fox Corporation, qui est issue de la séparation de 21st Century Fox d’avec News Corp en mars 2019. Et ce, lorsque Rupert Murdoch a cédé à Disney les studios de cinéma et certaines télévisions de la 21st Century Fox, dont James Murdoch avait été le directeur général de juillet 2015 à mars 2019.

James, frère ennemi de Lachlan
Parallèlement, James Murdoch avait aussi été président de la filiale britannique Sky, de janvier 2016 jusqu’à la vente de ce bouquet de télévisions payantes à Comcast en octobre 2018. Lors de la séparation en 2019 des activités audiovisuelles – délestées des studios 20th Century Studios et d’une partie des chaînes de l’ex21st Century Fox vendus à Disney, y compris ses parts dans la plateforme de streaming Hulu – a été créé le groupe de télévision Fox Corporation (éditeur des chaînes Fox News (pro-Trump), Fox Sports ou encore Fox Business restées dans le giron « Murdoch ». L’aîné Lachlan Murdoch continuera à diriger Fox Corporation, qui s’est emparé en 2020 de la plateforme de streaming Tubi, tout en devenant président de News Corp à partir de mi-novembre à l’occasion des deux assemblées générales des actionnaires des deux groupes. Celle de Fox Corporation sera le 17 novembre.

Lupa Systems, un fonds milliardaire
Ce n’est pas la première fois que la galaxie « Murdoch » optait pour la stratégie du spin-off. En 2013 déjà, le conglomérat News Corporation avait été coupé en deux entités, cotées en Bourse : d’une côté la presse et l’édition logées dans le nouveau News Corp, et, de l’autre, la télévision et le cinéma dans 21st Century Fox. Rupert Murdoch avait pris la décision de cette première scission il y a dix ans à la suite du scandale d’espionnage téléphonique de personnalités par le tabloïd britannique News of the World, fermé depuis juillet 2011 (1), qu’éditait la filiale britannique News International présidée de 2007 à 2012 par le fils James – dont la responsabilité fut reconnue avec celle de son père dans ce scandale (2). Ce premier spin-off s’était surtout fait sur fond d’échecs numériques de l’ex-News Corporation (3).
Pour le patriarche Rupert Murdoch (92 ans aujourd’hui), le digital n’a jamais été sont fort. Son benjamin James, entré dans le groupe paternel en 1997, avait bien tenté de l’intéresser au Web. Mais l’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’avait pas facilité la tâche. Le magnat des médias essuiera à l’époque les plâtres : MySpace, le réseau social chèrement acquis en 2005 par le magnat, a été disqualifié par Facebook ; The Daily, le quotidien lancé en 2011 pour les tablettes iPad, fut un échec coûteux ; Hulu, la plateforme pionnière de la VOD en streaming cocréée en 2007 par AOL, NBC Universal, Yahoo et Myspace, est mis en échec par Netflix. News Corp cèdera finalement à Disney en 2019 sa participation de 30 % dans Hulu que détenait sa filiale 21st Century Fox – dont James Murdoch était alors encore directeur général.
Cela fait maintenant quatre ans et demi que James (50 ans) a pris ses distances avec les affaires de son pater familias. Il est à la tête d’une société d’investissement qu’il a créée en mars 2019 et baptisée Lupa Systems. James Murdoch l’a financée en partie avec les 2 milliards de dollars qu’il a reçus sur le total des 71,3 milliards de dollars payés par Disney pour s’emparer de 21st Century Fox. Chacun des six enfants du nonagénaire (Prudence, Elisabeth, Lachlan, James, Grace et Chloe), issus de quatre mariages, avait reçu le même pactole. Aujourd’hui, la succession à venir du « président émérite » milliardaire s’annonce déjà comme une guerre fratricide. Pour l’heure, le trust familial Cruden Financial Services – basé aux Nevada – est contrôlé par « huit voix », dont quatre voix de Rupert Murdoch et une voix de chacun des quatre aînés de la fratrie (les deux autres héritières Grace et Chloe n’ayant pas de droit de vote). James Murdoch détient donc toujours une voix du trustee mais il se tient à l’écart, loin de son frère Lachlan – les deux se détestent. Mais le cadet n’a pas dit son dernier mot, d’après le journaliste américain Michael Wolff qui vient de publier « The Fall. The End of Fox News and the Murdoch Dynasty » le 26 septembre aux éditions Henry Holt and Co/Macmillan (4). Car James Murdoch reste passionné de médias, mais aussi de technologies.
Lupa Systems est une société d’investissement newyorkaise présente aussi en Inde, à Bombay. Elle s’est alliée avec un incubateur de start-up Betaworks, fondé par un ancien dirigeant d’AOL et de Time Warner, John Borthwick. Ce « start-up studio » basé à New-York accompagne de jeunes pousses spécialisées dans l’intelligence artificielle (AI en anglais), l’intelligence augmentée (IA), les grands modèles de langage (LLM), le traitement automatique du langage naturel (NLP), les « rails » web3 (développement d’applications décentralisées pouvant interagir avec la blockchain) ou encore l’apprentissage automatique (ML). Lupa Systems et Betaworks ont créé Betalab Camp, dont la vocation est « la protection de la vie privée et les startup en amorçage visant à réparer Internet » (5). Y sont incubés Blockchain.art, International Persuasion Machines, Nth Party, Readocracy, Synthetaic et Rownd. James Murdoch veut aussi lutter contre les fake news sur Internet. Dans le Web3, Lupa Systems fait partie du tour de table d’Authentic Artists, qui a développé une IA générative de musique pour la plateforme d’artistes WarpSound et pour les métavers comme Meebits (6), ainsi qu’une collection de musique NFT sur OpenSea. James Murdoch avait aussi injecté de l’argent dans un pionnier de la réalité virtuel, The Void, repris en 2021 par Hyper Reality Partners.
Lupa Systems détient depuis 2019 la majorité du capital de Tribeca Enterprises, plateforme orientée artistes, cofondée en 2003 par Robert De Niro et organisatrice du Tribeca Festival. L’éditeur américain de bandes dessinées Artists Writers & Artisans (AWA Studios) compte aussi Lupa Systems parmi ses actionnaires. Dans les médias, James Murdoch a participé en 2021 à une levée de fonds du média social français Brut. Il a aussi investi dans Vice Media, un groupe américain de médias numériques et audiovisuels, qui a été racheté en juin après avoir fait faillite (lire p. 3).

James, le plus actif de la fratrie Murdoch
Par ailleurs, James Murdoch a créé la fondation Quadrivium pour mettre les technologies au service de la démocratie, contre l’« illibéralisme high-tech » (7), ou encore pour lutter contre les changements climatiques. Et en Inde, James Murdoch s’est associé avec Uday Shankar (ex-patron de Disney en Asie-Pacifique) pour mettre en place en 2021 le fonds Bodhi Tree System afin d’investir dans des startup asiatiques. James est sans doute le plus actif de la fratrie Murdoch. @

Charles de Laubier

Après avoir échoué à remplacer M6, et à racheter Editis et La Provence, Xavier Niel se concentre sur Iliad en Europe

En mars, Xavier Niel voit Vivendi choisir Daniel Kretinsky pour lui vendre Editis. En février, il prend acte du rejet de son projet de chaîne Six. En octobre, La Provence lui échappe au profit de Rodolphe Saadé. Et dans les télécoms, où il poursuit des ambitions européennes, le fondateur de Free se fâche avec l’Arcep.

Xavier Niel, le milliardaire magnat des télécoms et des médias, est tendu ces derniers temps. Cela se voit dans ses coups de gueule sur le marché français des télécoms. Pourtant, à 55 ans, tout semble lui sourire : sa fortune avait dépassé pour la première fois, en 2022, la barre des 10 milliards d’euros (1) ; sa vie privée se passe aux côtés de Delphine Arnault, fille de la plus grand fortune mondiale Bernard Arnault (2), PDG de LVMH (propriétaire du groupe Le Parisien-Les Echos) ; il a eu les honneurs de la République en étant fait le 31 décembre dernier chevalier de la Légion d’honneur par décret d’Emmanuel Macron (3) qu’il fréquente et apprécie depuis 2010 – l’Elysée préfèrerait même Iliad/Free à Orange (pourtant détenu à 22,9 % par l’Etat) pour ses ambitions européennes.
Or, depuis quelques mois, les déconvenues et les échecs se succèdent pour le « trublion » des télécoms et tycoon des médias français. Mise à part la chute de sa fortune de 43 % au 5 avril (4) par rapport à 2022, dernière contrariété en date : la décision de l’Arcep d’augmenter le tarif du dégroupage de la boucle locale d’Orange, autrement dit le prix de location mensuelle payé par Free, Bouygues Telecom ou SFR pour emprunter le réseau de cuivre historique hérité de France Télécom pour les accès ADSL et le triple play Internet-TV-téléphone. « C’est une formidable rente de situation pour Orange », a-t-il dénoncé le 22 mars dernier devant les sénateurs de la commission des affaires économiques qui l’auditionnaient.

Le « trublion » contrarié par l’Arcep et l’Arcom
Mais avant de ruer dans les brancards des télécoms en attaquant les décisions tarifaires du gendarme des télécoms – présidé par l’ex-députée et ex-France Télécom/Orange Laure de La Raudière dont il avait considéré la nomination à tête de l’Arcep il y a plus de deux ans comme « aberrant pour la concurrence » (5) –, Xavier Niel avait enchaîné les déconvenues dans les médias et l’édition.
Le rejet par l’Arcom de son projet de chaîne de télévision « Six ». C’est le 22 février 2023 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) recale son dossier de candidature pour son projet de chaînes « Six » dont l’ambition était de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT (télévision nationale diffusée par voie hertzienne terrestre en clair et en haute définition). Sans grand suspense, ce sont les autres « projets » qui sont « sélectionnés » par le régulateur de l’audiovisuel, à savoir TF1 (Télévision Française 1) et M6 (Métropole Télévision) dont les autorisations de continuer à émettre sur la TNT seront délivrées avant le 5 mai prochain.

TV, édition, presse : des mises en échec
Eliminé, Xavier Niel a noyé sa déception dans un même ironique posté sur Twitter le jour du verdict : « Comment te récupérer putain !? JAMAIS je pourrai la récupérer » (6). Un mois après, devant les sénateurs lors de son audition, le fondateur de Free et président du conseil d’administration de la maison mère Iliad, dont il est l’actionnaire principal, a regretté l’absence d’explication donnée par l’Arcom : « On ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été retenus. On l’a dit publiquement : on avait l’impression d’une procédure perdue d’avance. (…) Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l’on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux » (7).
Son exclusion de la course au rachat d’Editis à Vivendi. Le 14 mars, Vivendi – maison mère du deuxième groupe d’édition en France – a annoncé son entrée en négociation exclusives avec International Media Invest (IMI), filiale de Czech Media Invest (CMI) du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Objectif de Vivendi appartenant à Vincent Bolloré : céder au Tchèque 100 % du capital d’Editis – chiffre d’affaires 2022 en baisse de 8,1 % à 789 millions d’euros avec sa cinquantaine de maisons d’édition, dont La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … – , afin d’obtenir d’ici juin prochain le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer de la totalité du groupe Lagardère, maison mère du premier éditeur français Hachette. Xavier Niel, copropriétaire depuis novembre 2010, du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, L’Obs, …) au côté du même Daniel Kretinsky, lui aussi coactionnaire de la holding Le Monde Libre (8), se serait bien vu en plus à la tête du deuxième éditeur français. Mais le Tchèque, lui aussi magnat des médias via sa holding CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Femme actuelle, Franc-Tireur, …, sans oublier 5 % détenu dans TF1 et un prêt consenti à Libération), lui a coupé l’herbe sous le pied.
La candidature de Xavier Niel au rachat d’Editis avait été révélée le 25 novembre 2022 par La Lettre A, en lice face à deux autres prétendants : Reworld Media (9) et Mondadori. Editis est valorisé entre 500 et 675 millions d’euros, d’après le cabinet Sacafi Alpha. Avec un fonds d’investissement, qui pourrait être le new-yorkais KKR (Kohlberg Kravis Roberts) dont il est un administrateur depuis mars 2018, Xavier Niel aurait proposé un prix d’achat jugé insuffisant par Vivendi. • Son échec dans sa tentative de s’emparer du groupe La Provence. Le 30 septembre 2022, c’est le groupe maritime CMA CGM du nouveau milliardaire Rodolphe Saadé qui est confirmé pour reprendre les 89 % du groupe La Provence, comprenant aussi Corse-Matin. Xavier Niel, détenant les 11 % restant via sa holding personnelle NJJ, était pourtant considéré comme le « repreneur naturel » – y compris par feu son propriétaire Bernard Tapie (10) – du groupe La Provence, premier éditeur de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le patron de Free détient 11 % du capital depuis que le belge Nethys lui a vendu en 2019 sa participation (11). C’est aussi grâce à Nethys que Xavier Niel a pu faire tomber dans son escarcelle fin mars 2020 le groupe Nice-Matin (GNM), éditeur des quotidiens Nice-Matin, VarMatin et Monaco-Matin dans les Alpes-Maritimes et le Var (PACA toujours). Et ce, au détriment du favori – l’homme d’affaires Iskandar Safa (propriétaire de Valeurs Actuelles via Privinvest Médias) – qui a jeté l’éponge. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014) et une reprise par les salariés via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) grâce à un crowdfunding sur Ulule et le soutien de Bernard Tapie, GNM est propriété de Xavier Niel depuis trois ans. Le milliardaire-investisseur est aussi propriétaire de France-Antilles depuis mars 2020, et de Paris-Turf depuis juillet 2020.
Cependant, en août 2020, il échoue avec Bernard Tapie à jeter son dévolu sur le quotidien historique La Marseillaise qui est alors repris par Maritima Médias. Mais c’est surtout l’échec de la tentative de Xavier Niel à prendre le contrôle du groupe La Provence, incluant Corse-Matin que GNM – dont il devenu propriétaire – avait acquis en 2014, qui sera cuisant. Dès le 24 février 2022, son offre de 20 millions d’euros est rejetée par les liquidateurs au profit de celle à 81 millions de Rodolphe Saadé (12). S’en suivra le 3 mars des échanges houleux entre Xavier Niel venu au journal marseillais et des salariés hostiles à sa visite. « Vous m’avez mis dehors », lancera-t-il au PDG du groupe La Provence, Jean-Christophe Serfati. Le tribunal de Bobigny, où est instruite l’affaire, confirmera CMA CGM sept mois après. Entre temps, il a investi dans L’Informé.

Réussir ses télécoms en Europe
Au-delà de ses démêlés en France avec l’Arcep, il reste encore au « trublion » des télécoms à faire d’Iliad un champion européen. La maison mère de Free est présente en Italie depuis 2018 et en Pologne depuis 2020. Après avoir échoué l’an dernier à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, le groupe de Xavier Niel s’est positionné pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (Telecom Italia). En outre, depuis 2014, il contrôle personnellement via NJJ l’opérateur suisse Salt et détient une participation de l’opérateur irlandais Eir aux côtés de son groupe Iliad. En février, via sa holding Atlas Investissement (13), Xavier Niel a porté sa participation au capital de l’opérateur luxembourgeois Millicom à 19,6 %. Cette même holding est entrée en septembre 2022 à 2,5 % dans Vodafone. Déjà confronté à Orange en France, Iliad veut rivaliser avec Orange en Europe. @

Le magnat du câble et des médias John Malone, qui vient d’avoir 80 ans, consolide son empire « Liberty »

L’Américain multimilliardaire John Malone, « modèle » pour Patrick Drahi dont il est le « protégé », a fêté ses 80 ans le 7 mars dernier. Président de Liberty Media, de Liberty Global et de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), le « cow-boy du câble » poursuit sa stratégie de convergence aux Etats-Unis et en Europe.

(Une semaine après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°255, AT&T a annoncé le 17 mai 2021 qu’il allait fusionner sa filiale WarnerMedia avec le groupe de télévision Discovery, lequel est détenu à 21 % par John Malone).

John Malone (photo) est devenu une légende dans les télécoms et les médias, aux Etats-Unis comme en Europe. A 80 ans tout juste, ce stratège hors pair préside toujours son empire « Liberty », composé aujourd’hui de Liberty Global dans les télécoms internationales (11 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020), de Liberty Media dans les contenus (8 milliards), de Qurate Retail (10 milliards) dans les services Internet, et de Liberty Broadband avec sa participation dans le câbloopérateur Charter aux Etats-Unis et en Alaska. Le tycoon contrôle tous ces groupes de télécoms, de médias et du numérique en tant que principal actionnaire. Classé 316e personne la plus riche du monde, avec une fortune professionnelle estimée par Forbes à près de 8 milliards de dollars, John Malone détient ainsi 30 % de Liberty Global 47 % de Liberty Media, 40 % de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), 48 % de Liberty Broadband, sans oublier environ 21 % du groupe de média américain Discovery, présent aussi en Europe. Réputé libertarien – « directeur émérite » du think tank libertarien Cato Institute –, John Malone fut surnommé le « cowboy du câble », lorsque ce ne fut pas « Dark Vador » de façon plus méchante, voire « Mad Max » ! Sa succession ? En 2008, l’octogénaire a fait entrer le cadet de ses deux fils, Evan (photo suivante), au conseil d’administration de Liberty Media en tant que directeur. Il apparaît comme le successeur potentiel de l’empire « Malone ».

John Malone, pris de court par Netflix ?
Comme câblo-opérateur, le conglomérat « Liberty » s’est fait le champion aux Etats-Unis de l’abonnement TV et, dans la foulée, de l’accès à Internet en surfant dès les années 1990 sur les set-top-box. Mais avec le cord-cutting, tendance où les Américains ne veulent plus être abonnés à la télévision par câble, ils sont de plus en plus nombreux à préférer l’audiovisuel sur Internet en mode OTT (Over-the-Top). John Malone n’a pas vraiment vu venir la météorite Netflix. C’est seulement en 2018 que Discovery, entreprise indépendante de la galaxie « Liberty » (3) mais dont il est le principal actionnaire, lance en Grande-Bretagne et en Irlande QuestOD, rebaptisé l’année suivante Dplay (4), puis encore l’année d’après les différentes plateformes SVOD disponibles dans une dizaine de pays européens – sauf en France (5) – deviennent Discovery+. La version américaine n’a été lancée qu’en janvier dernier (6).

Complexe convergence de la galaxie « Liberty »
Liberty Global s’est aussi bien implanté en Europe, depuis le rachat à Philips du câblo-opérateur néerlandais UPC au milieu des années 1990. Enchaînant ensuite les acquisitions de réseaux câblés (Unitymedia en Allemagne, Telenet en Belgique,Virgin Media en Grande-Bretagne, Ziggo aux Pays-Bas, Sunrise en Suisse, etc). La convergence video-broadband est le credo. Depuis 2015, Liberty Global est en partenariat étroit avec Vodafone – tout en ayant démenti les rumeurs de fusion. Cette alliance s’est notamment concrétisée par la co-entreprise VodafoneZiggo détenue à parts égales. Dernière grande manoeuvre en date de John Malone sur le Vieux Continent : la méga-fusion à 35 milliards d’euros entre les opérateurs télécoms britanniques Virgin Media (propriété de Liberty Global depuis 2013) et O2 (filiale de l’espagnol Telefonica depuis 2005), le nouvel ensemble détenu à 50/50 devenant rival de BT et de Vodafone.
Après avoir débuté en 1963 sa carrière aux Bell Labs d’AT&T et travaillé ensuite pour McKinsey et General Instrument, il s’est forgé par la suite une réputation d’homme d’affaire intraitable durant plus d’un quart de siècle lorsqu’il fut l’incontournable pionnier du câble aux Etats-Unis, en tant que PDG – dès 29 ans – et copropriétaire de Tele-Communications Inc (TCI) de 1973 à 1999. Cette dernière année-là, il vend le câblo-opérateur à AT&T pour plus de 50 milliards de dollars (l’ancien monopole cédera ensuite ses réseaux câblés à Charter Communications et à Comcast). Mais John Malone regrettera toujours d’avoir cédé TCI, « une erreur », dirat- il. Le groupe audiovisuel Liberty Media, lui, est né il y a trente ans, lorsque John Malone a séparé en 1991 certaines activités de TCI, qu’il présidait alors, dans le cadre d’un spin-off et pour développer Liberty Media dans la télévision par câble et par satellite par abonnement avec la chaîne premium Encore. Celle-ci fut ensuite fusionnée à la fin des années 1990 avec le network de chaînes câblées Starz pour former Encore Media, filiale de Liberty Media qui était alors retournée dans le giron de TCI et d’AT&T.
C’est à cette période où le câblo-opérateur TCI est en position dominante aux Etats-Unis que John Malone obtient des participations au capital de certains éditeurs de chaînes telles que Discovery Channel et TriStar Pictures souhaitant être distribuées sur ses réseaux câblés. TCI pris aussi une participation minoritaire dans le network Turner Broadcasting System (TBS) en difficulté. En 1995, Liberty Media et Comcast finalisent l’acquisition de QVC (abréviation de Quality Value Convenience), la chaîne de télé-achat, qui deviendra 100 % « Malone » en 2003 et sera rattachée à Qurate Retail (ex-Liberty Interactive). QVC avait commencé dans les années 1990 à télévendre aussi en Grande-Bretagne puis en Allemagne. Mais en France, ce fut un échec. Le « cow-boy du câble » ne conçoit pas l’avenir du câble sans investir dans les contenus, étant l’un des tout premiers à mettre en musique la convergence télécoms-audiovisuel. La télévision à péage devient la vache à lait de Liberty Media. Dans sa chasse aux contenus, John Malone devient même minoritaire du groupe de presse et de télévision NewsCorp de son ami Rupert Murdoch, de dix ans son aîné (7), après lui avoir revendu ses actions de Fox/Liberty Network créé en commun. Au milieu des années 2000, Malone va jusqu’à créer la surprise en montant à 18 % dans NewsCorp, devenant ainsi le deuxième actionnaire et successeur potentiel de Murdoch ! In fine, les deux magnats se sont mis d’accord pour un échange d’actions (swap), Liberty Media devenant actionnaire de l’opérateur de télévision par satellite DirecTV. A ce jour, Malone ne possède plus rien dans NewsCorp ni dans DirecTV. Convaincu surtout dans les perspectives de croissance dans la numérisation du câble et des set-top-box connectées à l’Internet grand public naissant, le visionnaire John Malone lance dès 1998 Liberty Interactive pour développer des services interactifs et pour prendre le contrôle de la filiale TCI Music qui est à l’avant-garde de l’audio et de la vidéo par câble, satellite et Internet – renommée par la suite Liberty Digital. Liberty Media sera à son tour un spin-off d’AT&T, en août 2001, soit il y a vingt ans. Puis, en juin 2005, est créé le groupe Liberty Global issu de la fusion entre Liberty Media International et UnitedGlobalCom. Participations, restructurations et acquisitions s’enchaînent. Par exemple : en février 2009, Liberty Media investit dans le bouquet de radio payante par satellite Sirius XM au bord de la faillite ; en août 2012, Liberty Media procède à un spin-off de Starz qui est introduit en Bourse ; en mai 2014, Liberty Media procède cette fois à un spin-off de ses holdings et participations dans le câble (notamment dans le câblo-opérateur Charter Communications, auquel s’est intéressé en 2017 le patron d’Altice USA, Patrick Drahi) dans une nouvelle entreprise baptisée Liberty Broadband ; en août 2015, la chaîne de télé-achat QVC rachète la plateforme de e-commerce Zulily pour 2,4milliards de dollars ; en janvier 2017, Liberty Media s’empare du groupe Formule 1 pour 4,6 milliards de dollars, un coup de maître.

En France, rien en vue depuis l’affaire « Vivendi »
A part être l’idole de Patrick Drahi – lequel lève des fonds vers 1995 auprès d’UPC pour créer le câblo-opérateur français Médiaréseaux, avant d’entrer chez UPC passé dans le giron de Liberty Global, pour en sortir en 2000 pour créer Fortel, puis Altice l’année suivante –, John Malone est un quasi inconnu en France. Et qui se souvient qu’en 2003 Liberty Media avait porté plainte contre Vivendi à qui John Malone demandait près de 1 milliard de dommages et intérêts pour « déclaration fausses et trompeuses » ? Car le cours de Bourse du groupe dirigé à l’époque par Jean-Marie Messier s’était effondré, alors que Liberty Media avait été payé peu avant en actions Vivendi (3,5 %) pour le rachat de sa participation dans le réseau de chaînes de télévision USA Networks. Après treize ans de procès, un accord à l’amiable fut finalement trouvé en février 2016 au début de l’ère Bolloré. Aujourd’hui, c’est à se demander si John Malone ne pourrait pas racheter Altice USA et Europe à Patrick Drahi… @

Charles de Laubier