Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ».

Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ».

Services d’intérêt économique général
Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France). « Les communs numériques sont Continuer la lecture

Yahoo, racheté par le fonds new-yorkais Apollo, en fait-il assez contre les fake news ? Le CSA en doute

Jusqu’alors filiale de Verizon, Yahoo est désormais sur une nouvelle orbite depuis son rachat – avec d’autres entités-sœurs comme AOL ou TechCrunch – par le fonds d’investissement américain Apollo. En France, Yahoo devra continuer à rendre compte au CSA de sa lutte contre les fake news.

« Plus encore que l’année passée, Verizon Media se distingue par une déclaration particulièrement étique [d’une extrême maigreur, ndlr], tant sur la forme que sur la quantité des éléments communiqués ». C’est en ces termes que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a critiqué le 21 septembre la réponse de Yahoo, qui était encore en 2020 la filiale européenne de l’opérateur américain Verizon basée en Irlande (à Dublin). Celle-ci n’a rendu que huit pages parsemées de captures d’écran sur les mesures que Yahoo Search et Yahoo Portal ont pris pour lutter contre les fake news.

Apollo : Yahoo sur une nouvelle orbite
Verizon, qui a cédé en mai dernier ses activités médias (Yahoo, AOL, TechCrunch, Engadget, Autoblog, …) au fonds d’investissement new-yorkais Apollo Global Management pour une acquisition de 5 milliards de dollars finalisée le 1er septembre dernier (1), garde néanmoins une participation minoritaire de 10 % dans son ex-filiale Verizon Media rebaptisée Yahoo, Inc. Verizon avait fait les acquisitions d’AOL et de Yahoo respectivement en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars et en juillet 2016 pour 4,8 milliards de dollars (2). Depuis le 27 septembre, la nouvelle société a un nouveau directeur général : Jim Lanzone (photo), réputé être « un vétéran des médias et des technologies » aux Etats-Unis. Ancien patron de Tinder (3), il succède à Guru Gowrappan qui chapeautait Yahoo chez Verizon Media depuis trois ans et qui devient, lui, consultant chez Apollo (4).
Vingt-sept ans après avoir été cofondé par Jerry Yang et David Filo, puis devenu une icône du Net dans les années 1990 (au point que Microsoft a tenté en vain de l’acheter en 2008 pour près de 45 milliards de dollars…), Yahoo avec sa quinzaine de services édités revendique une audience totale de 900 millions d’utilisateurs dans le monde. Ses contenus – actualités, informations financières et sportives, boutiques, jeux vidéo, etc. – sont issus le plus souvent de partenariats locaux qui tirent parti des synergies instaurées entre publicité (Yahoo Ad Tech), moteur de recherche (Yahoo Search) et média (Yahoo Portal).
En France, d’après Médiamétrie, Yahoo enregistre sur le seul mois de juillet 2021 plus de 27 millions de visiteurs uniques avec un rythme journalier moyen de 8,7 millions de visiteurs uniques. Ce qui place le moteur de recherche et portail média à la dixième place des audiences de l’Internet global (ordinateur et/ou smartphone et/ou tablette), derrière Google, Facebook, YouTube, Amazon, WhatsApp, Instagram, Wikipedia, TousAntiCovid et Leboncoin.fr. Au moment de répondre succinctement au CSA sur ses mesures prises en 2020 pour lutter contre les fausses informations (5), comme ce fut le cas en 2019 pour la première fois, Yahoo était encore pleinement aux mains de Verizon Media qui est à l’origine du maigre rapport via sa filiale irlandaise. Le CSA a ainsi reçu, pour la deuxième édition de son bilan annuel des mesures « anti-fake news » mises en œuvre (6), onze réponses de plateformes – Yahoo, Dailymotion, Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Snapchat, Twitter, Wikimédia, Webedia, Unify – ayant l’obligation de coopérer conformément à la loi française du 22 décembre 2018 pour lutter contre la manipulation de l’information (7). Mais Yahoo n’a pas répondu pleinement aux attentes de CSA, lequel reproche en outre à Verizon Media d’avoir continué à « refus[er] de coopérer » et à ne pas suivre les indications déjà formulées l’an dernier par le régulateur pour « confirmer l’inclusion des portails d’information proposant des contenus de tiers ». Le groupe américain a persisté à considérer – à tort selon le régulateur car la loi ne prévoit pas de critères d’exclusion – que le portail d’information Yahoo Portal n’avait pas à se soumettre au devoir de coopération prévu par la loi française contre les fake news. Yahoo estime qu’il ne s’agit pas là d’une « plateforme ouverte où les utilisateurs/fournisseurs de contenu peuvent seuls sélectionner et afficher leur contenu ». Reste à savoir si le nouveau patron de Yahoo, Jim Lanzone, entendra la réprimande française afin de mieux coopérer à l’avenir avec le CSA, et notamment de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible » permettant aux utilisateurs de signaler des fausses informations.

L’après-« Oath » et « Marissa Mayer »
Le site d’actualité HuffPost ne fait plus partie, lui, de la galaxie du nouveau Yahoo, puisque l’ex-The Huffington Post a été racheté l’an dernier par Buzzfeed qui en a finalisé l’acquisition auprès de Verizon mi-février dernier, avec des licenciements à la clé (8). Avec le fonds Apollo, Yahoo entame une nouvelle ère après celles plutôt décevantes de Marissa Mayer (9) (2012-2017), d’Oath (10) (2017-2019), puis de Verizon Media (2019-2021). L’opérateur télécoms américain a perdu beaucoup d’argent avec son ex-pôle médias faute de recettes publicitaires suffisantes ; le fonds d’investissement y trouvera-t-il son compte ? @

Charles de Laubier

Wikipedia, qui fête ses 20 ans, est à la recherche de son nouveau PDG pour succéder à Katherine Maher

Inconnue du grand public, Katherine Maher – PDG de la fondation Wikimedia qui édite « l’encyclopédie libre » universelle Wikipedia, cofondée il y a 20 ans par Jimmy Wales – quittera le 15 avril prochain ses fonctions qu’elle assumait depuis cinq ans. Du nouveau ou de la nouvelle « CEO » dépendra « l’avenir du savoir ».

« Katherine a été une grande et puissante dirigeante pour Wikimedia, et elle pense qu’il est temps pour la fondation d’avoir un nouveau leader », confie à Edition Multimédi@ le cofondateur de Wikipedia, Jimmy Wales (photo). Alors que « l’encyclopédie libre » d’envergure universelle célèbre son 20e anniversaire, il se félicite que Katherine Maher ait accru la visibilité de l’importance de l’accès au savoir dans le monde. « En tant que dirigeante, elle s’est faite la championne de règles plus inclusives et a institué le premier Code de conduite universel des projets Wikimedia », a-t-il déclaré, à l’occasion de l’annonce le 4 février du départ, prévu le 15 avril, de celle qui est PDG depuis cinq ans de la Wikimedia Foundation (1). Cette Américaine, née dans le Connecticut, a un parcours atypique et est passionnée par le Moyen-Orient.Katherine Maher est en 2003 diplômée de langue arable à l’Université américaine du Caire, en Egypte ; elle étudie en 2004 à l’Institut français d’études arabes de Damas, en Syrie ; elle travaille jusqu’en 2005 au Conseil des relations étrangères, et notamment sur le conflit israélo-palestinien ; elle sort la même année diplômée en études moyennes-orientales et islamiques de l’Université de New York. Katherine Maher (37 ans) est polyglotte : anglais, arabe, allemand et français.

Une nouvelle CEO du Moyen-Orient ou d’Afrique ?
Katherine Maher a fait savoir le jour de l’annonce de son prochain départ qu’elle espère, pour lui succéder, une personne « provenant de l’avenir du savoir », en l’occurrence de l’Afrique, de l’Inde ou de l’Amérique du Sud. Et pourquoi pas du Moyen-Orient justement ? « Nous devons atteindre des publics et mobiliser des participants qui reflètent la diversité mondiale. Ce serait puissant d’avoir un PDG qui représente nos efforts pour devenir une organisation vraiment internationale, apporte une perspective sur les besoins de l’avenir de la connaissance libre, et s’engage à élargir la portée de nos projets », nous indique-t-elle. Durant ces cinq ans la direction d’une telle organisation à but non lucratif et à renommée mondiale, elle a « considérablement augmenté la présence de Wikipedia dans les marchés émergents », s’est réjoui le conseil d’administration présidé par María Sefidari. Une nouvelle personne dirigeante provenant de de ces régions du monde, où l’accès gratuit à la connaissance relève plus que jamais du droit fondamental, serait la bienvenue à la tête de Wikimedia. L’entreprise Viewcrest Advisors mandatée comme chasseuse de tête est certifiée « Women’s Business Enterprise », ce qui pourrait déboucher sur une nouvelle candidature féminine.

130 millions de dollars collectés en 2020
Katherine Maher a aussi à son crédit le fait d’avoir lutté contre la désinformation et la censure croissantes, « y compris une campagne réussie de plaidoyer et de contentieux qui a amené la Turquie à lever [en janvier dernier sur injonction d’un juge d’Ankara, ndlr] son blocage de Wikipedia au bout de deux ans et demi ». Le combat judiciaire continue pour la liberté d’expression, cette fois en Chine qui bloque l’encyclopédie universelle depuis deux ans dans toutes les langues et depuis cinq ans en mandarin. La CEO sortante a aussi augmenté la diversité et le nombre de rédacteurs et contributeurs – au nombre de 200.000 sur la planète, dont environ 60.000 francophones (4) – de la méga-encyclopédie universelle aux 45 millions d’articles actualisés, ainsi que le nombre de lectorat. « Le rôle de PDG de Wikimedia est fascinant et stimulant : nous ne sommes pas seulement un géant d’Internet, nous sommes une communauté. Et inversement », rappelle Jimmy Wales, alias « Jimbo ». Aujourd’hui, avec plus de 1 milliard de terminaux différents par mois s’y connectant, Wikipedia rivalise en audience avec Google ou Facebook dans le « Top 10 » des sites web les plus fréquentés de la planète. « Nous ne comptons pas le nombre de “visiteurs uniques” en raison de notre engagement fort envers la vie privée », fait valoir la fondation. En France, où Wikipédia existe depuis le 23 mars 2001, l’encyclopédie libre est le septième site web le plus fréquenté avec plus de 31 millions de « visiteurs uniques » en décembre 2020, selon Médiamétrie.
« Katherine a défini une vaste orientation stratégique pour la prochaine décennie de Wikimedia et solidifié la position financière et l’avenir du mouvement », assure la Wikimedia Foundation (WMF), dont le siège est à San Francisco. Lors du dernier exercice 2019/2020 (clos le 30 juin), la fondation qui fait office de « maison mère » de Wikipedia a engrangé plus de 129,2 millions de dollars dans l’année, dont 93 % provenant de donations, de legs et autres contributions. Sous la direction de Katherine Maher, ces recettes ont fait un bond de 58 % par rapport aux 81,8 millions de dollars générés sur 2015/2016 (année de sa prise de fonction en tant que CEO). « Nous vous demandons, humblement, d’aider Wikipedia à continuer à prospérer non seulement pendant 25 ou 50 ans, mais pour toujours », est-il écrit sur la plateforme de dotation Wikimedia Endowment (5). Et Jimmy Wales, qui a créé la fondation deux ans et demi après Wikipedia, de nous expliquer : « Je pense que Wikipedia représente un élément-clé de notre culture, et une bonne partie, par rapport à beaucoup d’autres choses en ligne. C’est notre ambition que de faire quelque chose d’authentique et durable ». De là à suggérer à l’Unesco d’inscrire Wikipedia au patrimoine culturel de l’humanité, il y a un pas qu’a tenté de franchir son fondateur il y a dix ans en appelant à signer une pétition d’initiative allemande pour reconnaître l’encyclopédie universelle comme « premier site numérique du patrimoine culturel mondial » (6). Si l’essentiel des fonds sont orientés vers la plateforme du savoir, une partie va aux autres médias opérés par la fondation : Mediawiki (depuis janvier 2002), un paquet open source qui alimente Wikipedia et de nombreux autres wikis sur le Web ; Wiktionary (depuis décembre 2002), un dictionnaire multilingue de contenus libres disponible en 170 langues ; Wikimedia Commons (depuis septembre 2004), un référentiel multilingue de photographies, diagrammes, cartes, vidéos, animations, musique, sons, textes parlés ou autres ; Wikidata (depuis octobre 2012), un stockage libre et ouvert pour les données structurées de tous les projets Wikimedia, y compris Wikipedia, Wikivoyage ou encore Wikisource.
Selon les comptes de la fondation, 43 % des ressources financières sont allouées à la maintenance informatique de tous les sites web de la galaxie « Wiki » (7), 32 % aux communautés « Wiki » (subventions, projets, formations, outils, défense juridique), 13 % à l’administration et à la gouvernance permettant notamment de recruter du personnel qualifié, 12 % à la collecte de fonds elle-même au niveau mondial. Finalement, le quinquennat de Katherine Maher à la tête de la fondation s’est bien passé. De quoi faire oublier les psychodrames qui avaient entaché la précédente direction assurée alors par la Russe Lila Tretikov de juin 2014 jusqu’à sa démission forcée en mars 2016. Son départ précipité faisait suite à la polémique soulevée à l’époque autour d’un coûteux projet de moteur de recherche cofinancé par la fondation américaine Knight et susceptible de concurrencer Google, Yahoo ou MSN (Microsoft). Celle-ci alloue le 18 septembre 2015 une aide financière – que signe Lila Tretikov (8) – pour que la Wikimedia Foundation puisse mener à bien son projet baptisé « Knowledge Engine ».

Oublié le psychodrame du Knowledge Engine
Le manque de transparence autour de ce projet ambitieux a généré de telles inquiétudes au sein de la communauté des Wikipédiens (9) que ce « wiki search engine », développé par l’équipe « Discovery », a été relégué à un usage interne (10). Tandis que le moteur-maison MediaWiki (11) reste, lui, un logiciel libre utilisé par de nombreux sites «wiki » (12). La démission de Lila Tretikov avait été précédée en janvier 2016 par l’éviction d’un membre du conseil d’administration, Arnnon Geshuri, pour son rôle controversé lorsqu’il travaillait chez Google. Les Wikipédiens de tous les pays s’étaient même émus de trop de consanguinité entre Google justement et le « Board of Trustees » de la fondation (13). Jimmy Wales n’a-t-il pas été lui-même membre du conseil consultatif (14) de la firme de Mountain View ? C’est du passé. « L’avenir du savoir » est devant. @

Charles de Laubier