Parlement européen, médias et « tout numérique »

En fait. Le 21 janvier, l’eurodéputé français Jean-Marie Cavada – ancien journaliste de télévision et ex-président de Radio France – est élu au Parlement européen président de l’Intergoupe Média, lancé en décembre 2009 pour scruter la « mutation » des médias.

En clair. Le Parlement européen va s’intéresser de près à la liberté de la presse,
mais aussi aux questions soulevées par « le tout numérique, les nouveaux médias
et le développement des nouvelles technologies, les droits d’auteurs et la propriété intellectuelle, le secteur de l’audiovisuel… », selon Jean-Marie Cavada, président nouvellement élu de l’Intergroupe Média. Mais cette instance europarlementaire n’a pas
de pouvoir législatif mais un pouvoir d’influence. Pour l’eurodéputé français (1), il s’agit
de « ne pas consacrer toute notre attention aux tuyaux, au libre accès des tuyaux ou à l’élargissement des tuyaux, sans nous soucier de ce qu’il aura dans ces tuyaux » (2).
Et d’ajouter : « Internet n’est qu’un tuyau. Ce qui est très important est la capacité que nous avons à faire entrer dans ces tuyaux du matériau, de la matière. (…) Il faut créer une économie qui ne soit pas plombée par la nécessité du profit (…). Je veux qu’on pose en Europe la question de l’économie de la culture. En effet, la culture ne peut vivre que si elle a une économie. Cela touche à la question des droits d’auteurs ». Cela pourrait passer la création d’un Fonds d’intervention culturelle. Il ne s’agirait pas de subventions pures et simples mais de fonds avec mixités de capitaux (entre Etats ou public-privé) à destination de start-up. « Il faut d’abord donner la possibilité aux auteurs des pays membres de créer des fictions et leur donner les moyens de les créer. (…) Il faut créer les conditions économiques de la vie culturelle, et je pensais surtout au cinéma. Mais je peux en dire autant en ce qui concerne l’économie du livre », précise Jean-Marie Cavada. Pour lui, il y a péril en la demeure : « S’il n’y a plus de rémunérations il n’y a plus d’auteurs.
A la place nous deviendrons distributeurs de produits mondiaux universels, donc anglo-américains. On ne peut pas s’en contenter pour nourrir les cerveaux européens. Or nous avons pensé ces affaires de médias jusqu’à présent par le biais des tuyaux et des ingénieurs. Il y a une dérive à corriger ». Autre problème à régler : le déséquilibre entre la taille des médias anglosaxons ou asiatiques et les médias européens de tailles petites ou moyennes. L’Intergroupe Média cherchera donc à combiner la possibilité de concentration [des médias en Europe] en respectant les règles de concurrence. @

Google Books n’est pas au bout de ses peines

En fait. Le 4 février, le département de la Justice américaine (DoJ) a indiqué
– lors d’une audience à New York – que le second accord conclu entre Google,
le syndicat d’auteurs Authors Guild et l’association des éditeurs américains (AAP) est « insuffisant » malgré des « progrès ».

En clair. La prochaine audience qui doit avoir lieu le jeudi 18 février devant un tribunal à New York promet d’être tendue. Le Department of Justice (DoJ) américain estime que
– après les deux premières moutures de l’accord signés avec des éditeurs de livres (Association of American Publishers) et des auteurs (Authors Guild) – le géant de l’Internet américain Google doit encore faire des efforts s’il veut poursuivre sa bibliothèque numérique. Pour l’heure, la firme de Mountain View s’est engagée à
payer 125 millions de dollars aux ayants droit, dont 45 millions de frais d’avocats.
« Les progrès significatifs apportés [en septembre 2009 dans la version révisée] ne sont pas suffisants face aux inquiétudes des Etats-Unis, notamment sur le risque anticoncurrentiel sur le marché [du livre] numérique », a expliqué le ministère américain de la Justice. Les parties intéressées avaient jusqu’au 28 janvier pour envoyer leurs objections au juge newyorkais Denny Chin sur le projet amendé. Le risque de monopole est notamment dénoncé devant le tribunal par le leader mondial du e-commerce Amazon. La France, où Google a interjeté appel le 21 janvier contre la décision du TGI de Paris, y est allée aussi de ses objections. « Le nouveau règlement demeure encore insatisfaisant au regard du respect du droit d’auteur, auquel la France est attachée. En particulier, le projet couvre de nombreux livres français enregistrés au Bureau américain du droit d’auteur et numérisés sans autorisation », a écrit au juge le ministère français de la Culture. De son côté, le Syndicat national de l’édition (SNE) a présenté ses objections – au nom de ses 530 membres, dont Albin Michel, Hachette, Gallimard, Editis, les Editions de Minuit ou encore les PUF (1) – dans un courrier daté du 26 janvier. « Le projet amendé est illogique, injuste et discriminatoire », écrit Serge Eyrolles, le président du SNE. Et de poursuivre : « Il aurait été bien plus équitable que le périmètre de l’accord soit limité aux éditeurs des Etats-Unis, avec la possibilité pour les autres dans le monde de s’engager (opt-in) s’ils le souhaitent ».
Au moins 200.000 titres français (2) sont concernés par cette class action en justice contre Google, lequel avait accepté en septembre de circonscrire son accord aux Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada. @

Yves Le Mouël, FFT : « L’Internet ouvert ne signifie pas bande passante gratuite »

Coûts de la riposte graduée Hadopi, filtrage du Net, déploiement de la fibre optique, neutralité des réseaux, contribution au Cosip, taxe pour l’audiovisuel public, augmentation de la TVA triple play,… Le directeur général de la Fédération française des télécoms, Yves Le Mouël, précise ses positions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La loi sur la sécurité intérieure (Loppsi 2) et la loi sur les jeux en ligne prévoient de légaliser le filtrage sur Internet. Craignez-vous que cela ne s’étende à la lutte contre le piratage ?
Yves Le Mouël :
Pour les opérateurs et fournisseurs d’accès, Internet est d’abord un formidable espace de liberté qu’il faut promouvoir. Mais c’est aussi un espace qui n’échappe pas à
la loi. Dans cette logique, les opérateurs et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
ont toujours respecté et respecteront toujours la législation en vigueur. Ils rappellent néanmoins que les dispositifs de lutte contre le piratage ou la cybercriminalité qu’on leur demanderait de mettre en oeuvre doivent être proportionnés à l’objectif recherché, d’autant qu’ils sont loin d’être infaillibles et ne sauraient garantir l’atteinte de l’objectif poursuivi. La pédagogie du bon usage reste la meilleure arme contre les comportements abusifs sur Internet.

La faim de la télévision

Vite ! Il faut que je file à mon rendez-vous. Des amis m’attendent pour assister à la finale du 100 mètres féminin des Jeux olympiques, qui doit se courir en fin d’après-midi. Une athlète exceptionnelle capte l’attention mondiale en détrônant les champions masculins, qui ne se sont pas encore remis d’avoir ainsi dû céder leur place sur leur podium millénaire. C’est donc encore une fois la télévision qui nous rassemble, preuve s’il en est qu’elle est loin d’être morte, comme certains ont pu nous l’annoncer au début des années 2000. Bien sûr, ce n’est plus la télé de notre enfance qui se résumait en une formule très simple : un téléviseur, un réseau et trois chaînes. Symbole de notre vingtième siècle, souvent accusée de tous les maux – de « nouvel opium du peuple » à « la télé rend bête » de Roland Barthes – catalyseur de toutes les passions, la télévision a bien changé jusqu’à se noyer « dans un océan d’écrans », selon la jolie métaphore deJean-Louis Missika, l’auteur d’un livre intitulé « La fin de la télévision ». Car, en effet, c’est le téléviseur d’antan associé au modèle économique des chaînes qui a progressivement disparu au profit d’une équation autrement plus complexe associant
de très nombreux écrans, plusieurs réseaux et une myriade de services audiovisuels.

« Mon téléviseur est aussi et surtout un ordinateur, me permettant de surfer sur la Toile et d’accéder à mes sites d’information et à mes réseaux sociaux préférés ».

Nouvelle chronologie des médias : premiers effets

En fait. Le 18 janvier, le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) s’est félicité que les ventes en France de DVD et de disque optique haute définition Blu-ray ont – pour la première fois depuis quatre ans – enregistré en 2009 une croissance de 0,5 % en valeur, à 1,38 milliard d’euros.

En clair. La nouvelle chronologie des médias issue de l’accord du 6 juillet dernier et officialisée par l’arrêté du 9 juillet (1) vient de produire ses premiers effets. Elle avait ramené à quatre mois le délai de diffusion d’un film entre sa sortie en salle de cinéma et
sa distribution en vidéo physique (DVD, Blu-ray) ou sa diffusion en vidéo à la demande (VOD). Cette dernière ne bénéficiait pas auparavant d’un alignement sur la « fenêtre »
du DVD, lequel était alors encore à six mois après la sortie du film en salle. Résultat :
les ventes de disques optiques cinématographiques ont repris des couleurs, notamment des fêtes de fin d’année, où les succès de l’été dernier, comme « L’Age de Glace 3 », ont pu parvenir à temps dans les bacs.
Selon les premiers chiffres de l’institut d’études GfK – commentés par le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), qui n’avait pourtant pas été signataire de l’accord
du 6 juillet –, les ventes en France de DVD et Blu-ray ont progressé de 0,5% en valeur, à 1,38 milliard d’euros l’an dernier (contre -8 % en 2008), et de 12 % en volume, à 94 millions d’unités écoulées (dont 4,5 millions de Blu-ray). Toujours en 2009, il s’est vendu 280.000 lecteurs de Blu-ray (2). On est loin des 2 milliards d’euros frôlés il y a cinq ans, mais il s’agit tout de même de la première croissance après quatre ans de déclin. Toujours grâce à la chronologie des médias raccourcie, la VOD est elle aussi en progression – bien que partant de plus bas – avec un chiffre d’affaires dépassant, en 2009, les 80 millions d’euros (soit un bond sur un an de 51 %). Au passage, se profile une bataille entre les films en ligne et les films optiques.
Si le SEVN parle de « coup d’arrêt à la baisse du marché », il prévient néanmoins que
« cette stabilisation du marché ne pourra néanmoins être maintenue en 2010 que si les actions promises dans la lutte contre le téléchargement illégal [Hadopi, ndlr] sont effectivement mises en place ». La réduction des fenêtres de diffusion des films après leur sortie en salle a-t-elle limité la tentation au piratage sur Internet des internautes cinéphiles impatients ? Selon le syndicat, cela y contribue. Mais des voix s’élèvent pour dire que les quatre mois paraissent encore trop long. Faut-il aller plus loin et, comme le suggérait le producteur de films Luc Besson, pousser jusqu’à une simultanéité entre salle et Internet (voir EM@ n°4, p. 8 et 9), voire DVD/Blu-ray ? Poser la question, c’est déjà envisager la faisabilité… @