Frédérique Bredin se veut prudente sur la sortie simultanée de films en salles et en VOD

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en pleine réforme de la filière et de la chronologie des médias face au numérique, veut mieux aider la VOD en France. A l’occasion du 67e Festival de Cannes, sa présidente nous répond aussi sur la sortie simultanée salles-VOD. Et elle souhaite une taxe sur la publicité en ligne.

Propos recueillis par Charles de laubier

Frédérique BredinEM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations
de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà été retenus ?

Frédérique Bredin : Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention. Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film.
Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative.
La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations (1) à l’occasion du Festival de Cannes [le 16 mai, ndlr].

EM@ : Comment se traduit concrètement le soutien du CNC à la VOD et est-ce suffisant ?
F. B. :
Ce soutien se traduit par deux types d’aide : une aide destinée aux détenteurs
d’un catalogue de droits VOD pour la mise en ligne et l’enrichissement éditorial d’œuvres françaises et européennes ; une aide destinée aux éditeurs de services de VOD pour la mise en ligne et l’éditorialisation d’œuvres françaises et européennes sur leur service. Ainsi, 1,29 million d’euros ont été attribués en 2013 au titre de ce dispositif, ce dont ont notamment bénéficié 15 éditeurs de services de VOD. Sur un marché davantage mature, qui a considérablement crû depuis 2008, l’aide sélective, très contrainte par son régime juridique dit « de minimis » (1), n’est désormais plus suffisante pour jouer pleinement son rôle incitatif, face aux enjeux actuels.

EM@ : Comment comptez-vous alors améliorer ce dispositif d’aide à la VOD ?
F. B. :
Anticipant cette situation, le CNC a initié dès 2010 une démarche de notification
de ses aides aux éditeurs de VOD auprès de la Commission européenne, afin d’intensifier l’aide sélective actuelle, en la sortant du « de minimis ». Cette première notification, opérée à l’été 2010, a finalement dû être retirée par les autorités françaises en avril 2011 du fait de l’opposition de la Commission européenne. Le CNC a procédé fin 2012 à une nouvelle notification portant à la fois sur l’amélioration de l’aide sélective et sur la mise en place d’un soutien automatique « VOD », inexistant aujourd’hui, préconisé par le rapport sur
le sujet par Sylvie Hubac (2), remis au CNC en janvier 2011. A ce jour, la Commission européenne n’a toujours pas donné son accord pour la mise en place de ces deux dispositifs, pourtant essentiels au développement de l’offre légale européenne. Ces échanges semblent toutefois susceptibles d’aboutir en 2014, permettant la mise en place de ces deux dispositifs.

EM@ : Y a-t-il d’autres aides à la VOD ?
F. B. :
Parallèlement à ces aides à l’exploitation des œuvres françaises et européennes en VOD en cours d’amélioration, le CNC soutient également dans le cadre du RIAM (Réseau de recherche et d’innovation en audiovisuel et multimédia, ndlr), dispositif cogéré avec Bpifrance, les projets de R&D relatifs au développement de l’offre légale française. L’appel thématique spécifique du RIAM, lancé en mars 2013 en faveur du développement d’outils innovants sur le marché de la VOD, permet en effet d’accompagner de nombreux projets ambitieux pour une meilleure ergonomie des offres au bénéfice de l’expérience des consommateurs.

EM@ : Le CNC a fait du rapport Bonnell sa feuille de route : avec trois groupes
de travail (financement des films, transparence-partage, distribution-diffusion) et une négociation sur la chronologie des médias : combien d’accords professionnels espérez-vous d’ici cet été ? Adapteront-ils le cinéma à Internet ? S’il n’y a pas d’entente, le législateur prendra-t-il le relais ?
F.B. :
A ce stade, l’ensemble des soixante-dix propositions ont été évoquées et ont donné lieu à des discussions nourries dans un esprit constructif, signe du sens des responsabilités du secteur concernant son avenir, qu’il s’agit de souligner et que je tiens
à saluer. Des enjeux prioritaires se dégagent :
• La transparence de toute la filière, tant concernant les rapports entre distributeurs et producteurs qu’entre exploitants et distributeurs : il s’agit ici d’améliorer les rendus de compte, de développer les audits et de clarifier les remontées de recettes.
• La diffusion des films en salles : l’objectif est d’améliorer structurellement les conditions de diffusion, afin de pérenniser la diversité de l’offre de films en salles.

EM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec
Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà
été retenus ?
F.B. :
Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans
le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention.
Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film. Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative. La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations [le 16 mai prochain, ndlr] à l’occasion du Festival de Cannes.

EM@ : Vous avez réuni le 3 avril le réseau des « CNC » européens, l’EFAD, qui déclare que « les géants de l’Internet ne contribuent pas » assez à l’audiovisuel :
en France, la loi de Finances rectificatif pour 2013 n’applique-t-elle pas déjà la taxe vidéo aux services de VOD disponibles en France mais basés à l’étranger ?
F.B. :
La réponse est oui, mais cette réforme fiscale qui étend la taxe vidéo aux services de VOD étrangers ciblant le marché français n’est pas encore validée par la Commission européenne. Il convient de noter que les Allemands ont prévu le même dispositif que nous, à savoir une taxe vidéo étendue aux entreprises de VOD établies hors d’Allemagne, dont l’offre cible le marché allemand. Mais cette réforme ne suffit pas. Nous souhaiterions, par exemple, pouvoir taxer les recettes publicitaires des hébergeurs, y compris lorsque ces entreprises ne sont pas établies en France. Cela les mettrait à égalité avec les chaînes
de télévision traditionnelles, dont on taxe les produits publicitaires, y compris sur la télé
de rattrapage. @