Les éditeurs de presse veulent leur « droit voisin » pour toucher des redevances des « Google News »

Google a annoncé début octobre 2017 vouloir aider les éditeurs de journaux
à gagner des abonnés. L’exploitation des articles de presse a soulevé ces dernières années d’importants débats en matière de droit d’auteur et sur les solutions – comme le « droit voisin » de la presse actuellement en débat.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Richard Gingras, vice-président « News » chez Google, en charge des produits d’information et des produits sociaux, a annoncé sur le blog officiel de la firme de Mountain View (1), le 2 octobre 2017, que de nouveaux outils vont être mis en place pour aider les éditeurs de presse à gagner des abonnés, notamment en limitant les contenus gratuits. On rappellera tout d’abord que le principe de cession automatique des droits d’exploitation des œuvres du journaliste au profit de l’employeur a été instauré par la loi « Création et Internet » ou « Hadopi » du 12 juin 2009 (2). Elle prévoit également un mécanisme de lutte contre le téléchargement illicite.

1ère exploitation « élargie » du journaliste
Ces dispositions ont rompu avec la tendance jurisprudentielle (3) jusqu’alors en vigueur, en introduisant dans le Code du travail l’article L. 7111-5-1, lequel prévoit que la collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste professionnel porte sur l’ensemble des supports du titre de presse, sauf stipulation contraire dans le contrat
de travail ou dans toute autre convention de collaboration ponctuelle. Si le législateur
a conservé la distinction entre première exploitation et exploitations secondaires, il a considérablement étendu le champ de la première exploitation – pour laquelle il convient de rappeler qu’en matière de journalisme les droits patrimoniaux de l’auteur sont automatiquement dévolus à l’entreprise éditrice. Ce faisant, le texte a restreint d’autant le contrôle des journalistes sur leurs contributions individuelles en remplaçant la notion de « publication périodique » par celle beaucoup, plus large, de « titre de presse ».
Aussi, les droits de l’entreprise de presse, en matière de première exploitation, ne
se cantonnent plus au seul support papier, mais s’étendent à « l’ensemble des déclinaisons du titre, quels qu’en soient le support, les modes de diffusion et de consultation » (4). Il convient cependant de préciser qu’« est assimilée à la publication dans le titre de presse la diffusion de tout ou partie de son contenu par un service de communication au public en ligne ». Le législateur ne s’est pas contenté d’élargir les prérogatives de l’entreprise éditrice sur la première exploitation de l’oeuvre ; il a également restreint celles des journalistes auteurs sur les exploitations secondaires.
Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) énonce que « l’auteur seul a le droit de réunir ses articles (…) en recueil et de les publier ou d’en autoriser la publication sous cette forme » (5).
Toutefois, la loi « Création et Internet » a inséré deux limites à cette prérogative : d’une part « pour toutes les œuvres publiées dans un titre de presse (…), l’auteur conserve (…) le droit de faire reproduire et d’exploiter ses œuvres sous quelque forme que ce soit », mais seulement en l’absence de stipulation contraire et sous réserve d’une cession antérieure de ces droits ; et d’autre part « dans tous les cas, l’exercice par l’auteur de son droit suppose que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce titre de presse ». Cette limitation de la possibilité, pour le journaliste, d’exploiter lui-même personnellement sa contribution est renforcée par le CPI qui énonce quant à lui que « la convention liant un journaliste professionnel (…), qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées » (6). En pratique, il est peu probable que
les journalistes soient à même de négocier des clauses dérogeant à ces dispositions.

Statut d’éditeur de presse en ligne
Dans le même temps, l’exploitation en ligne de ces articles a conduit à l’émergence du statut d’éditeur de presse en ligne. Le décret du 29 octobre 2009, pris pour application de l’article 1er de la loi du 1er août 2009 portant réforme du régime juridique de la presse, a précisé les éléments de qualification d’éditeur de presse en ligne (7). Un décret du 19 novembre 2009 a également introduit un certain nombre d’aménagements au texte régissant la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), afin notamment d’élargir sa compétence de reconnaissance de ces services de presse en ligne (8).

Désormais, ces éditeurs de presse (écrite, audiovisuelle, agences de presse, …) entendent réclamer le paiement de redevances pour l’exploitation de liens hypertextes indexés aux moteurs de recherche et aux sites web agrégateurs de contenus ou de référencement d’articles en ligne. Cette demande s’inscrit dans la suite de la proposition de loi « Droits voisins pour les organismes de presse », présentée en 2012, qui prévoyait de sanctionner de trois ans de prison et 300.000 euros d’amendes (9) tout site web, blog, moteur de recherche ou encore agrégateur qui reproduiraient des articles de presse ou qui publieraient un lien hypertexte vers cet article – sauf s’il est déjà accessible librement selon le souhait de l’éditeur.

Les éditeurs réclament des redevances
Aucune suite n’a été donnée à cette proposition dont l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) était à l’origine et qui aurait souhaité que soient rajoutées dans le CPI (10) les notions de « contenus de presse » et d’« organismes de presse ». La Commission européenne avait lancé une consultation publique sur le sujet en décembre 2013 (11), à l’issue de laquelle un rapport a été rendu en juillet 2014 (12). Par la suite, elle a présenté en septembre 2016 une proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (13), dont l’une des mesures consiste à créer un droit voisin pour les éditeurs de presse,
de façon à leur donner un droit « auxiliaire » au droit d’auteur pour une durée de vingt ans. Dès sa publication, cette proposition de directive a fait l’objet de diverses critiques qui ont donné lieu à un rapport (14) amendé par plusieurs commissions (15). Celui-ci n’a pas retenu le principe du « droit voisin », mais il prévoit de créer la notion d’une
« présomption de représentation des auteurs ». C’était sans compter sur la présidence estonienne de l’UE qui a proposé le 30 août 2017 un compromis avec deux options, dont un droit voisin étendu au papier (16). Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSLPA) étudie également la question et, dans cet objectif, a commandé un rapport sur « la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse » qui lui a été remis en juillet 2016 (17). Pour l’heure, c’est le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), placé sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communication, qui a mis en place « un nouveau dispositif contractuel » qui permet aux prestataires
de veille web et d’indexation de contenus en ligne (sites de presse, blogs, réseaux sociaux, forums, etc.) de réaliser, pour le compte de leurs clients, une activité de surveillance et d’analyse des sites web des éditeurs de presse qui ont confié la gestion de leurs droits au CFC. Ce dernier fixe une rémunération qui est reversée aux éditeurs. Elle varie en fonction de certaines données : le nombre de prestations commandées ou encore le nombre d’hyperliens (18). En marge de ce dispositif, des négociations entre Google et les éditeurs de presse portant sur un éventuel paiement de droits, dits voisins, par le moteur de recherche avaient abouti le 1er février 2013 à la signature d’un accord qui n’a pas été rendu public. L’accord, qui a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2016, portait sur deux points : d’une part, le géant américain alimenterait un fonds de 60 millions d’euros sur trois ans destiné à accompagner la transition numérique de la presse française et des projets innovants sur le web (19) ; d’autre part, Google se proposait, à travers le volet commercial de l’accord, d’aider les titres de presse à accroître leurs revenus en ligne en utilisant les outils et technologies publicitaires du groupe. Seuls les titres de presse d’information politique et générale (IPG) étaient éligibles à ce premier fonds.
Le fonds DNI (Digital News Initiative) de Google a ensuite pris le relais au niveau européen, à hauteur de 150 millions d’euros d’avril 2015 à 2018 (20). Si un accord avait été trouvé en France entre Google et les éditeurs de presse, tel n’est pas le cas en Espagne. En effet, la loi « Canon AEDE » (21) du 1er janvier 2015 prévoit une compensation financière que les agrégateurs de contenus, tels que Google News ou Yahoo News, doivent reverser aux éditeurs de presse lorsqu’ils rediffusent par liens ou extraits les contenus créés par ces derniers. En réaction à l’adoption de cette loi, Google a choisi, le 16 décembre 2014, de retirer son service Google News du pays.

Google aide à la conquête d’abonnés
Depuis, Google a annoncé dans son communiqué du 2 octobre 2017, l’adoption d’un
« nouveau modèle » qui a été le fruit de discussions et de tests réalisés avec des organismes de presse comme le New York Times ou le Financial Times. Pour faire face aux difficultés financières des éditeurs de presse, Google leur propose désormais de choisir le nombre d’articles en accès gratuit. A ce titre, les éditeurs de presse peuvent choisir de ne laisser accéder l’internaute à aucun contenu gratuit sans que cela n’ait d’impact sur les résultats de recherche qui favorisaient jusqu’à présent les contenus gratuits. Enfin, Richard Gingras a précisé que tous les éditeurs de presse dans le monde pourront profiter des technologies d’apprentissage des machines pour les aider à reconnaître les « abonnés potentiels et présenter la bonne offre au bon public au bon moment ». @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris, et auteure de
« Cyberdroit », dont la 7e édition (2018-2019) paraîtra en
novembre 2017 aux éditions Dalloz.