EuropaCorp génère à peine 4 millions d’euros de chiffre d’affaires en VOD, mais compte sur des accords exclusifs

Grâce à son blockbuster Lucy, le groupe du cinéaste, scénariste et producteur français Luc Besson a vu ses revenus en vidéo à la demande (VOD) bondir de 89 % à 3,9 millions d’euros. Mais ce n’est que 1,7 % du chiffre d’affaires total du dernier exercice. Pour mieux monétiser, il mise sur des accords d’exclusivité.

Par Charles de Laubier

Luc BessonLe groupe EuropaCorp a beau être le premier producteur français de films et parmi les cinq premiers distributeurs en France, il reste encore très timoré vis-à-vis de la vidéo à la demande (VOD), qu’elle soit à l’acte ou par abonnement. Au moment où Netflix s’installe durablement dans le paysage français du cinéma à la demande et que le téléchargement ou le streaming de films s’y développent, l’entreprise du cinéaste et producteur français Luc Besson (photo) fait encore pâle figure sur ce segment de marché.
En effet, sur la dernière année fiscale 2014/2015 du groupe qui s’est achevée le 31 mars dernier, le chiffre d’affaires réalisé en VOD atteint à peine 4 millions d’euros (3,956 millions précisément). Bien que la hausse sur un an soit conséquente (+ 89 % par rapport aux 2,094 millions de l’année précédente), cela ne représente non seulement que 1,7 % du chiffre d’affaires global du groupe, lequel s’établit à 226,9 millions d’euros, mais aussi seulement 1,5 % des 248,9 millions d’euros (à l’acte et par abonnement) du marché français de la VOD en 2014.

Sur moins de plateformes VOD pour « maximiser la valeur des films »
Seule consolation pour Luc Besson : son groupe croît bien plus vite en VOD que le marché qui, lui, a progressé légèrement (+ 3,8 %) après une année précédente en recul. Le groupe EuropaCorp, qui met à disposition en ligne des films dont il détient les droits d’exploitation (soit en tant que producteur soit en tant que distributeur), explique cette percée de la VOD dans ses ventes par « un line-up vidéo plus fourni que lors de l’exercice précédent » et grâce « au succès rencontré par le film Lucy ».
Reste que la VOD correspond à moins de 30 % des recettes vidéo du groupe (vidéo physique et dématérialisée), lesquelles totalisent 13,6 millions d’euros (+ 46,6 % sur
un an), d’autres films y ayant aussi contribué comme Jamais le premier soir, Jack et la mécanique du coeur, ou encore The Homesman. Au regard de la montée en puissance de la VOD en France, boostée notamment par Netflix depuis plus d’un an maintenant, le groupe de Luc Besson semble cependant décidé à mettre les bouchées doubles mais en changeant de stratégie de mise à disposition en ligne de ses films.
« Actuellement, les films EuropaCorp sont toujours exploités par l’ensemble des acteurs de la VOD (fournisseurs d’accès à Internet et autres opérateurs majeurs comme CanalPlay ou TF1 Vision). Cependant, dans le but de maximiser la valeur de ses programmes, le groupe étudie l’opportunité économique de réorienter sa stratégie
vers des collaborations exclusives avec un nombre réduit de partenaires », indique EuropaCorp dans son document de référence 2014/2015 publié par l’AMF le 21 juillet dernier.

Pression de Netflix en France
Plus question pour le groupe dirigé par Christophe Lambert de proposer tous azimuts ses films (produits ou distribués) sur le marché français de la VOD qui compte pas moins de 90 éditeurs de services de VOD actifs et accessibles (1). Christophe Lambert avait indiqué, en juin 2014, participer à une réflexion avec d’autres producteurs en vue de proposer leurs films et séries sur leur propre service de VOD directement aux internautes (2), à l’instar d’Epix ou Hulu aux Etats-Unis. Mais le projet piétine.
De tout ce foisonnement d’offres légales en France, avec un nombre de programmes qui ne cesse de s’enrichir à près de 13.000 oeuvres cinématographiques (téléchargées au moins une fois), les films de cinéma ont généré 75,6 % des recettes de la VOD en paiement à l’acte en 2014. Quant à la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), elle n’a progressé en France que de 4,5 % l’an dernier à 29,2 millions d’euros (d’après le CNC) mais devrait bondir à 175 millions d’euros cette année (selon NPA Conseil). Tout cela constitue de réelles opportunités de développement pour EuropaCorp, qui entend optimiser sa stratégie sur ce segment de marché en plein décollage : « Afin d’optimiser la valeur de ses films lors de leur diffusion en VOD et SVOD, la stratégie
du groupe consiste désormais à développer un nouveau mode de commercialisation des droits à travers des accords exclusifs avec un nombre limité de partenaires ».

Au 31 mars 2015, EuropaCorp revendique 106 films produits et distribués, 143 films distribués, auxquels s’ajoutent environ 500 films (films détenus ou mandats de gestion) en catalogue et un track record important de succès internationaux. Le groupe a misé sur l’intégration verticale « dans le but de capter la part la plus importante de la valeur de ses films » et pour « appréhender les recettes des films produits sur l’ensemble des canaux de distribution (salles, vidéo, vente de droits TV, VOD, SVOD, etc.) pendant toute la durée du cycle de vie du film ». Mais la pression de Netflix – qui a sorti le 16 octobre son premier long-métrage Beasts of No Nation en simultané salles- VOD – et d’Amazon Prime Video sur le marché des productions originales fait grimper les budgets des films à la hausse, ce à quoi s’ajoutent les coûts croissants de films en relief 3D. C’est dans ce souci d’avoir un modèle économique de studio verticalement intégré qu’EuropaCorp a lancé en 2012 la Cité du Cinéma, qui abrite – à Saint-Denis (Ile-de-France) – non seulement tous les métiers de la chaîne de fabrication d’un film (écriture du scénario, fabrication de décors, tournage, post-production, préparation des films, distribution, …) mais aussi le siège social du groupe. Face à un secteur de la production française très morcelé (189 entreprises ont produit 203 films d’initiative française agréés en 2014 par le CNC), la société intégrée de Luc Besson rivalise
avec Gaumont et Why Not Productions : « Grâce à ses filiales EuropaCorp Home Entertainment [filiale d’édition et de distribution de films sur supports vidéo et de cession des droits d’exploitation aux plateformes de VOD, y compris via le GIE Fox Pathé Europa, ndlr] et EuropaCorp Distribution [distribution de films auprès des salles, ndlr], aux partenariats établis pour la distribution de ses films en VOD et aux relations entretenues avec différentes chaînes de télévision, le groupe s’assure d’une maîtrise optimisée de l’exploitation de la première vie d’un film sur le territoire français, et d’une maximisation des recettes générées par ce film sur sa seconde vie ». Par exemple, Fox Pathé Europa expérimente jusqu’au 15 novembre avec Domino’s Pizza en France une offre exclusive de VOD.
La seconde vie des films ne se conçoit plus sans VOD ni SVOD, malgré les contraintes de la chronologie des médias (lire Politique p. 8), d’autant que cela apporte au groupe
– avec la vente de séries TV – des revenus récurrents pour contrebalancer les recettes ponctuelles des films sortis en salles.
Mais EuropaCorp exploite-t-il suffisamment ces relais de croissance, au regard de seulement 4 millions d’euros réalisés avec les films en ligne ? Que craint Luc Besson pour être si peu moteur dans la VOD dans France ?

La crainte du piratage en ligne
La réponse est sans doute à aller chercher du côté du piratage en ligne (peer-to-peer, direct download, streaming), qui, malgré le recours à une technique de filtrage par signatures numériques, « continuera certainement d’avoir, un impact défavorable sur l’activité et les résultats du groupe » (dixit le document de référence). Pour l’heure le chiffre d’affaires global d’EuropaCorp a progressé de 15 % sur un an à 226,9 millions d’euros, pour un bénéfice net en hausse de 16 % à 16,2 millions d’euros. @

Charles de Laubier