Comment le gouvernement veut mettre un terme au statu quo de la chronologie des médias

Malgré la reprise des discussions cet été, les professionnels du cinéma n’arrivent pas à s’entendre pour faire évoluer la chronologie des médias en faveur notamment de la VOD. Les salles gardent leur exclusivité de quatre mois.
Face à ce blocage, le gouvernement commence à s’en mêler.

Richard PatryLa puissante Fédération nationale des cinémas français (FNCF),
qui représente les quelque 5.500 salles de cinéma présentes sur l’Hexagone (gérées par 2.000 établissements), l’a réitéré lors de son 70e congrès le 30 septembre dernier et lors des 10e Rencontres cinématographiques de Dijon le 16 octobre : pas question de toucher
au quatre mois d’exclusivité dont bénéficient les salles de cinéma en France pour la diffusion des nouveaux films.
Au moment où Netflix sort son premier long-métrage « Beasts of No Nation » en simultané salles-VOD, le président du FNCF, Richard Patry (photo), reste intransigeant et inflexible sur ce point (de blocage) : il faut « sanctuariser » la salle et sa fenêtre de diffusion sur les quatre mois après la sortie d’un film, prétextant que « ce délai a déjà reculé d’un tiers en 2009 », faisant référence à l’accord toujours en vigueur du 6 juillet 2009 qui avait ramené cette durée de six à quatre mois.

Faire évoluer la chronologie des médias tous les trois ans
Malgré les préconisations des rapports Zelnik de 2010 et Lescure de 2013 pour une évolution de la chronologie des médias, c’est le statu quo. Les discussions entre les professionnels du cinéma, orchestrées par Christophe Tardieu, directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), se sont enlisées pour aboutir à un projet d’avenant qui fait très peu d’avancées pour faire évoluer la chronologie des médias.
Limiter le monopole de salle à trois mois au lieu de quatre n’est donc pas pour demain. Quant à la question de la simultanéité salles- VOD encouragée par la Commission européenne, elle est honnie : lors du congrès de la FNCF, Richard Patry s’est élevé contre le programme européen Media qu’il accuse de soutenir financièrement les expérimentations de sorties simultanées, lesquelles – selon lui – « ne marchaient pas », tout en s’en prenant aussi au bonus dans les recommandations du réseau de salles Europa Cinémas (1) en faveur là aussi d’expérimentations de sorties simultanées. Ainsi, plus de six ans après l’accord de 2009 sur la chronologie des médias, chacun campe sur ses positions. Pour tenter de déverrouiller la situation, plusieurs parlementaires ont déposé – dans le cadre de la loi «Création, architecture et patrimoine » (2) – des amendements qui proposent une première avancée à laquelle
le gouvernement s’est rallié. Bien que technique, il s’agit de prévoir « une durée de validité limitée » – en l’occurrence trois ans maximum – de l’arrêté d’extension de l’accord sur la chronologie des médias, « en se réservant toutefois la possibilité d’étendre pour une durée moindre ». Ne serait-ce que pour mettre en phase ces fenêtres successives de diffusion avec leur temps, à savoir le développement du cinéma à la demande (VOD, replay, SVOD, …). « La disposition prévoyant de limiter
à trois ans l’extension des accords relatifs à la chronologie des médias permettra de tourner la page du statu quo désespérant qui préside actuellement », s’est félicitée la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Le rapporteur de la loi « Création » à l’Assemblée nationale, le député (PS) Patrick Bloche, justifie l’obligation de ces trois ans : « Le précédent accord sur la chronologie des médias, toujours en vigueur, est issu d’un accord datant de 2009 et a bénéficié de reconductions tacites sans faire l’objet d’aucune modification. A l’heure où les évolutions du paysage audiovisuel imposent des changements et des adaptations rapides, il apparaît souhaitable de limiter la durée de ces accords à trois ans au maximum ». Son confrère Marcel Rogemont, député (PS), ne dit pas autre chose avec trente-sept autres députés dans un amendement distinct. Cette position est transpartisane, comme le démontre Christian Kert, autre député (LR), dans son propre amendement : « la durée maximale de trois ans pour la chronologie des médias semble adaptée aux recompositions concurrentielles et à l’émergence de nouveaux acteurs numériques qui imposent des changements rapides ». Il souligne en outre que l’accord de 2009 prévoit bien des dérogations à la règle des quatre mois pour la VOD mais les conditions en sont si restrictives (3) qu’elles ne peuvent s’appliquer, à une exception près. « De fait, certains films se voient ainsi interdits de toute exploitation durant les fenêtres de diffusion des chaînes de télévisions (soit entre 10 et 36 mois suivant la sortie des films en salles) alors même que les chaînes de télévision, gratuites et payantes, n’ont pas participé à son financement et n’ont pas acquis de droits de diffusion » (4).

Où sont les dérogations ?
En creux, la question est de savoir si la chronologie des médias française, figée depuis 2009 et inopérante en matière de dérogation aux sacro-saints quatre moins, n’enfreint pas les exigences de souplesse édictées par un arrêt pris il y a trente ans par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à savoir celui du 11 juillet 1985 opposant à l’époque la société Cinéthèque et la FNCF (5). @

Charles de Laubier