Comment la presse se fait progressivement « uberiser » par les géants du Net

L’avenir de la presse passe de plus en plus par Facebook, Google ou Apple, lesquels deviennent petit à petit des groupes de médias d’information. Les journaux traditionnels deviennent finalement leurs fournisseurs d’articles, via des partenariats qui leur garantissent trafic en ligne et publicités.

Les journaux traditionnels, qui sont depuis longtemps vendus à la découpe sur les
sites web et les applications mobile, apparaissent finalement comme des fournisseurs d’articles au profit de ces acteurs du Net. Le marché de l’information a déplacé son centre de gravité des quotidiens et magazines imprimés vers les plateformes de contenus et les réseaux sociaux.

Les GAFA vampirisent la presse
Dernière initiative en date en direction de la presse, Google a annoncé le 7 octobre dernier une nouvelle solution open source appelée AMP (Accelerated Mobile Pages) pour rendre accessible plus rapidement les actualités de journaux partenaires – tels que le Financial Times, le Wall Street Journal, La Stampa ou encore Les Echos (1) – sur les smartphones et les tablettes. « Sur les terminaux mobile, l’expérience des lecteurs peut souvent laisser beaucoup à désirer. Chaque fois qu’une page web prend trop de temps à se charger, l’éditeur perd un lecteur et l’occasion de gagner de l’argent à travers la publicité ou des abonnements », a expliqué David Besbris (photo), viceprésident ingénierie chez Google à San Francisco. Avec cet accélérateur de news, les articles avec vidéos, graphiques ou animations s’afficheront désormais instantanément. Google News devrait l’intégrer. Certains se demandent si le moteur de recherche n’a pas aussi des velléités d’être le nouvel « Editor-in-Chief » de la presse en ligne (2). Cette initiative de Google est en tout cas une première réponse au lancement par Facebook en mai dernier de la fonction Instant Articles (3), qui va faire ses premiers pas en France, ainsi qu’à l’application News d’Apple lancée mi-septembre sur son nouveau système d’exploitation iOS9. La solution d’articles instantanés du numéro un des réseaux sociaux a été lancée en partenariat avec neuf premiers éditeurs comme
le New York Times, The Guardian, BBC News, Spiegel et Bild, ou encore National Geographic. Instant Articles se veut aussi rapide en affichage, grâce aux formats web HTML et aux fils RSS. Et selon The Awl du 13 octobre, Facebook prépare une application, Notify, pour l’envoi d’alertes d’actualité. Certains éditeurs s’inquiètent là aussi déjà du risque de perte de contrôle sur leurs productions journalistiques et de leur monétisation et de l’absence de transparence sur le traitement algorithmique de leurs informations.

Les articles proposés aux utilisateurs ne seraient que ceux en rapport avec leurs centres d’intérêts ou ceux échangés uniquement entre « amis », réduisant du coup leur champ de connaissances et de découverte. D’après une étude récente du Pew Research Center, près de 30 % des Américains s’informent déjà en utilisant Facebook. Une autre étude, du cabinet Parse.ly cette fois, indique que 40 % des visites de sites web d’information proviennent de Facebook, tandis que Google fournirait 38 % des visites. Apple n’est pas en reste avec News, qui donne accès à une cinquantaine de titres de presse : du New York Times à Vanity Fair. Les trois géants du Net misent sur l’instantanéité de l’actualité en accélérant la vitesse d’affichages des news, en quelques millisecondes au lieu de plusieur secondes constatées sur les applications mobiles.
Ces temps de latence pénaliseraient non seulement la presse en ligne mais aussi les réseaux sociaux. Twitter, Pinterest, WordPress ou encore LinkedIn envisagent d’intégrer des pages au format AMP HTML, comme le fait Google News. Dans cette course pour capter l’attention des mobinautes devenus majoritaires (4) dans l’accès à l’information, les médias doivent-ils pour autant s’asservir auprès des grandes plateformes numériques au risque d’y perdre leur âme et les journalistes leur moral (5)? L’enjeu est de taille, au moment où les ventes des journaux imprimés continuent de s’éroder et les recettes publicitaires « papier » poursuivent à la baisse. Le trafic sur mobile devient le nouveau relais de croissance primordial pour la diffusion de l’information. Si Google, Facebook ou Apple garantissent aux éditeurs partenaires
de pouvoir conserver la totalité des recettes publicitaires que ces derniers auraient obtenues eux-mêmes, ces géants du Net y voient aussi un moyen de leur proposer d’être leur régie publicitaire – moyennant 30 % de commission.

Publicité et vente d’articles en question
Reste à savoir quel sera l’impact de ces nouveaux services instantanés d’actualité financés par la publicité en ligne sur la vente de journaux, au numéro, à l’article ou à l’abonnement. Les journaux traditionnels semblent condamnés à s’« adosser » aux GAFA pour aller chercher les (jeunes) internautes et mobinautes qui fréquentent de moins en moins les kiosques « papier ». C’est aussi le seul moyen pour ne pas être
« uberisés » par des pure players de l’actualité en ligne. @

Charles de Laubier