La grande réforme de l’audiovisuel est morte, vive la réforme de l’audiovisuel à la découpe !

La réforme de l’audiovisuel et la transposition de la directive SMA sont dans un bateau : la réforme de l’audiovisuel tombe à l’eau : qu’est-ce qui reste ? La crise sanitaire aura eu raison de la grande réforme voulue par Emmanuel Macron. Edition Multimédi@ fait le point sur ce revirement.

Emmanuel Macron (photo) en a rêvée en tant que candidat à la présidence de la République ; devenu chef de l’Etat il y a trois ans, il ne la fera finalement pas ! Il faudra « simplifier la réglementation audiovisuelle en matière de publicité, de financement et de diffusion, pour lever les freins à la croissance de la production et de la diffusion audiovisuelles et préparer le basculement numérique, tout en préservant la diversité culturelle », avait promis début 2017 celui qui était encore quelques mois plus tôt ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016).

Le coronavirus a encore frappé
« Nous renforcerons le secteur public de l’audiovisuel pour qu’il réponde aux attentes de tous les Français et accélère sa transformation numérique, en concentrant les moyens sur des chaînes moins nombreuses mais pleinement dédiées à leur mission de service public. Nous rapprochons les sociétés audiovisuelles publiques pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public », avait encore prévu dans son programme de campagne celui qui allait devenir en mai 2017, et à la surprise générale, le 8e président de la Ve République (1). Trois ans et deux mois de confinement après, la grande sur la réforme de l’audiovisuel – tant attendue et maintes fois reportée – ne sortira jamais des limbes parlementaires en un seul morceau.
Ce projet de loi de « communication audiovisuelle et souveraineté culturelle », sur lequel le gouvernement avait engagé la procédure accélérée, devait être examiné par les députés de l’Assemblée nationale du 31 mars au 10 avril. Mais les séances publiques avaient été annulées pour cause de coronavirus. Exit l’une des plus grandes réformes du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui aura épuisé sur ce texte à multiples sujets sensibles deux ministres de la Culture : Françoise Nyssen puis Franck Riester. Une première réunion s’est tenue le lundi 8 juin entre l’Elysée, Matignon et la rue de Valois, et une seconde le 17 juin avec Bercy, pour prendre acte du chamboulement du calendrier parlementaire à cause de la crise sanitaire et pour donner la priorité à l’urgence économique nécessitant un vaste plan de relance. Sur l’audiovisuel, il est urgent d’attendre… Les « fuites » auprès de certains médias et professionnels sont savamment distillées afin que les chaînes de télévision, les producteurs de l’audiovisuel et du cinéma, les plateformes de vidéo à la demande ou encore les organisations des ayants droits ne soient pas pris au dépourvu. C’est Le Monde qui, dès le 2 juin dernier, évoque « deux scénarios à l’étude » (2) où la réforme de l’audiovisuel public passerait dans tous les cas à la trappe : le premier scénario consisterait à recourir à l’été ou à l’automne à une loi a minima mais avec en parallèle des ordonnances pour des pans entiers tels que les services de médias audiovisuels (SMA), d’une part, et le droit d’auteur à l’ère du numérique, d’autre part. Ces deux gros morceaux doivent transposer deux récentes directives européennes : celle du 14 novembre 2018 sur « la fourniture de services de médias audiovisuels » (3) et celle du 17 avril 2019 sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » (4), lesquelles doivent être obligatoirement traduites dans la législation nationale par chaque Etat membre respectivement le 19 septembre 2020 et le 7 juin 2021 « au plus tard ». Le second scénario abandonnerait le recours à une loi, faute de temps pour les débats parlementaires, pour un passage en urgence par ordonnances de moultes mesures (droit d’auteur, SMA, modernisation de la TNT, …). Cinq jours après Le Monde, la veille de la première réunion d’arbitrage, c’est au tour du Figaro de faire état le 7 juin de certaines réflexions gouvernementales (5).
Désormais, « la loi audiovisuelle n’est plus une priorité » et « elle ne devrait donc pas être discutée » ! Et là encore, il semble clair que « le volet réforme de l’audiovisuel public est renvoyé aux calendes grecques ». Autrement dit, la grande réforme audiovisuelle d’Emmanuel Macron – censée renvoyer au musée législatif la loi dite « Léotard » du 30 septembre 1986 sur « la liberté de communication » (6) – est sacrifiée sur l’autel de la relance économique qui s’annonce vitale au moment où la France va traverser l’une des récessions les plus sévères de son histoire.

Médias et pub : « Je t’aime, moi non plus »
Le gouvernement envisagerait en outre des « mesures d’urgence » pour soutenir la presse, les médias et la production audiovisuelle et cinématographique, eux aussi touchés de plein fouet par qui l’arrêt d’activités, qui l’interruption des tournages ou qui la chute de recettes publicitaires. Outre les aides d’Etat dont bénéficie déjà une grande partie de la presse française, à hauteur de plus de 1,5 milliard d’euros par an (aides directes, crédit d’impôt, tarifs postaux, etc.), le gouvernement envisage un crédit d’impôt publicitaire pour inciter les annonceurs qui ont déserté les médias à y revenir. D’autres mesures pourraient être traitées dans une loi « post-covid 19 », telles que les relations entre les producteurs audiovisuels et les chaînes de télévision (détention des droits et production indépendante). Un crédit d’impôt « création » est aussi prévu.

De la grande loi aux ordonnances et décrets
Quant au décret sur la publicité ciblée – appelée aussi publicité adressée – à l’antenne, il est déjà prêt et a été transmis en début d’année au CSA pour avis. Mais la presse et les radios locales ont obtenu des garde-fous pour protéger leurs marchés publicitaires (pas d’adresse de revendeurs et maximum 2 minutes toutes les heures en moyenne). A défaut de débats parlementaires sur la désormais ex-grande réforme audiovisuelle, le gouvernement est décidé à passer les mesures d’urgence non seulement par ordonnances mais aussi par décrets. La transposition des directives européennes – SMA, Copyright et sans oublier le règlement « CabSat » adopté le 28 mars 2019 étendant la gestion collective obligatoire aux services audiovisuels en ligne, en live streaming ou en catch up (7) – se fera par projet de loi en juillet (SMA notamment) ou par ordonnances, tout comme la fusion de l’Hadopi et du CSA qui donnera bien naissance à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Concernant la directive SMA, qui est la priorité étant donné les trois mois restants pour la transposer en droit français (date butoir imposée par Bruxelles oblige), elle impose aux plateformes vidéo telles que les SVOD Netflix ou Amazon Prime Video de proposer au moins 30 % d’œuvres européennes et à préfinancer en France des films et séries à hauteur de 16 % minimum de leur chiffre d’affaires. A l’issue d’un échange en visioconférence le 6 mai dernier avec des artistes de différents horizons de la création et à l’occasion de l’annonce d’un « plan pour la culture », le chef de l’Etat s’est montré déterminé : « On a besoin de défendre une créativité à l’européenne. Il y aura des grands prédateurs : chinois, américains avec d’autres modèles, d’autres sensibilités. Donc dans cette phase, moi, je veux ici m’engager très clairement devant vous, à ce que, justement, les plateformes soient assujetties aux obligations de financement des œuvres françaises et européennes dès le 1er janvier 2021. La directive SMA le permet, le ministre l’a dit, on va passer plus vite, plus en force ». Le locataire de l’Elysée avait en outre demandé que le ministre de la Culture, Franck Riester, « avec le CNC », constitue « une task force de négociation pour agir très rapidement, régler tous les sujets qui étaient encore en suspens et pour qu’on puisse aller très vite et très fort là-dessus ». Et d’ajouter : « Parce que ce sera une contribution de ces plateformes à notre création. Ce sera une protection aussi de notre écosystème » (8).
Concernant cette fois la directive « Droit d’auteur », que Franck Riester souhaite voir transposer d’ici la fin de l’année (même la date butoire de Bruxelles est cette fois dans un an), elle est d’importance pour les industries culturelles dans la lutte contre le piratage de leurs œuvres sur Internet. En effet, elle ouvre une brèche dans la responsabilité limitée des plateformes numériques – YouTube et Dailymotion en tête : à défaut d’accord avec les ayants droits, les GAFAM seront responsables du piratage en ligne sans qu’ils puissent invoquer le régime de responsabilité limité d’hébergeur que continue de leur garantir par ailleurs la directive européenne « Ecommerce » (9).
L’Arcom aura des pouvoirs « anti-piratage » renforcés et allant au-delà de la réponse graduée actuelle. Par exemple, ses agents habilités et assermentés pourront enquêter sous pseudonyme et constater, par procès-verbal, les faits susceptibles de constituer des infractions. Ce nouveau gendarme du Net et de l’audiovisuel aura aussi pour mission de créer une « liste noire » de sites web portant atteinte « de manière grave et répétée » aux droits d’auteurs, tandis que les prestataires de la publicité et les fournisseurs de moyens de paiement devront rendre publique l’existence de relations commerciales avec une personne inscrite sur cette liste noire – selon un dispositif inspiré du « Follow the Money » et du « Name & Shame » (10).
Une chose est sûre dans ce chamboule-tout : la création de la holding audiovisuelle publique France Médias ne se fera pas. Elle devait regrouper France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Ina. Le rapprochement tant promis par Emmanuel Macron des sociétés audiovisuelles publiques – « pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public » – n’aura pas lieu.

Plus de « BBC à la française » ni d’« ORTF »
La « BBC à la française » passe donc à la trappe. France 4 et France Ô, les deux chaînes de France Télévisions qui devaient quitter la TNT début août, seraient finalement maintenues. La présidente du groupe de télévision public, Delphine Ernotte, prête à rempiler pour un second mandat de cinq ans, peut compter aller au bout puisqu’il n’a plus de réforme de l’audiovisuel public pour l’écourter. A moins qu’un des autres candidats, lesquels devront se déclarer d’ici le 10 juillet (c’est déjà fait pour Serge Cimino et Pierre-Etienne Pommier, mais pas encore pour des potentiels comme Christopher Baldelli ou Jean-Paul Philippot), soit nommé le 24 juillet au plus tard par le CSA. @

Charles de Laubier