Le Monde « n’a pas peur de Google et des autres »

En fait. Le 14 janvier, les trois nouveaux propriétaires du groupe Le Monde – Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, accompagnés par Louis Dreyfus, président du directoire – ont été les invités de l’Association des journalistes médias (AJM). Ils visent l’équilibre financier dès cette année.

En clair. Le trio Bergé-Niel-Pigasse entend sortir Le Monde de l’ornière dès cette année, en misant sur un « bouleversement » interne qui passe par un regroupement des différents titres du groupe (Le Monde, Télérama, La Vie, Courrier International, …) dans de nouveaux locaux. Matthieu Pigasse (1) table sur le « rapprochement web-papier déjà engagé » pour rationaliser le fonctionnement des deux rédactions du quotidien, composées respectivement de 50 journalistes côté numérique et de 270 journalistes côté imprimé. Face aux défis du Web et du numérique, les nouveaux propriétaires misent sur les marques « fortes » du groupe : « On a pas peur de Google et d’autres », a lancé Xavier Niel. « On a peur de rien », a surenchéri Matthieu Pigasse pour expliquer notamment le choix du Monde de ne pas participer au projet de kiosque numérique E-Presse Premium. Avec cette future plateforme, des quotidiens et des magazines espèrent reprendre la main face à Google News ou l’App Store d’Apple (2). En ironisant : « On n’ est pas obligé d’ériger des forteresses ou des forts Chabrol » !
Le Monde compte sur son futur directeur – Erik Izraelewicz s’il est élu le 7 février – pour concrétiser la « rédaction bimédia », dont l’un des freins « est de ne pas avoir encore réglé la question des droits d’auteur des journalistes » (3). Louis Dreyfus, le président du directoire du groupe a indiqué que « depuis [sa] nomination [le 15 décembre, ndlr], Sylvie Kaufmann [jusqu’alors directrice de la rédaction du Monde] est devenue directrice des rédactions ». Reste la question des 34 % que Lagardère possède dans Le Monde Interactif. « Il n’est pas indispensable de racheter la part de Lagardère pour rapprocher Le Monde Interactif et Le Monde, même si c’est notre souhait. Mais pas à n’importe quelle condition », a expliqué Matthieu Pigasse. Rappelons que Lagardère s’était dit prêt à céder sa participation pour 33 millions d’euros à l’autre candidat malheureux Perdriel-Prisa-Orange (lire EM@16, p. 3). Dans leur offre datée du 21 juin dernier, le trio avaient clairement dit que « cette activité [numérique] doit revenir au journal et se placer au cœur de sa nouvelle stratégie éditoriale » (EM@17, p. 5). Pour l’heure, le groupe Le Monde réalise « moins de 5 % de son chiffre d’affaires (380 millions d’euros en 2010) avec le numérique ». Sans se fixer des objectifs chiffrés, le trio Bergé-Niel-Pigasse entend développer « l’audience numérique de Télérama et du Monde en faisant travailler ces deux titres ensemble ». @

2011 sera l’année des kiosques numériques

En fait. Le 2 janvier, le Wall Street Journal révèle que Google discutent aux Etats-Unis avec des groupes de presse sur la mise en place d’un kiosque numérique
où les éditeurs seraient rémunérés au-delà des 70 % pratiqués par Apple, lequel cherche aussi à développer un « iKiosque » à journaux.

En clair. Google ne veut pas laisser seul Apple négocier avec la presse en vue de constituer au Etats-Unis un premier kiosque numérique. L’engouement de la presse
en faveur la fameuse tablette iPad – dévoilée il y a un an presque jour pour jour – a été tel (1) que la marque à la pomme discute depuis plusieurs mois avec des éditeurs de journaux américains pour créer un équivalent de l’iBook Store pour la presse quotidienne et magazine – un « iNewsstand » en quelque sorte, distinct de l’App Store, pour vendre des titres sur iPad et iPhone. Les éditeurs cherchent à obtenir d’Apple une plus grande latitude tarifaire et un accès aux données de leurs clients lecteurs jusqu’à maintenant verrouillées par la firme de Steve Jobs, ainsi que la possibilité de gérer des abonnements (une avancée pour Apple habitué aux ventes à l’unité sur iTunes). Google entend profiter des hésitations des groupes de presse américains (Time Warner, Condé Nast, Hearst, News Corp.) pour leur proposer une alternative qui répondrait plus à leurs exigences : une commission sur les ventes inférieure aux 30 % pratiqués par Apple, un accès aux données personnelles des utilisateurs pour une exploitation marketing par les journaux, l’instauration de formules d’abonnements, sans oublier un environnement ouvert avec Android, le système d’exploitation de Google utilisé sur tablettes et smartphones. D’autres initiatives de e-kiosques existent outre-Atlantique : soit de la part d’Amazon (pour le Kindle) ou de Barnes & Noble (pour e-reader Nook), soit émanant d’éditeurs eux-mêmes comme Next Issue Media (Condé Nast, Hearst, Meredith et Time, …), Skiff (News Corp), Press Engine (New York Times, …). Confrontée partout dans le monde à des coûts de distribution papier parfois exorbitants (environ 40 %
du prix de vente), la presse voit dans le kiosque numérique plusieurs avantages par rapport aux circuits de distribution des imprimés : économies, rapidité, souplesse relation plus direct avec le lecteur et, particulièrement en France avec Presstalis (ex- NMPP), moyen d’échapper aux grèves à répétition. Sur l’Hexagone, il y a les projets
« E-Presse Premium » et  « Presse régionale » respectivement du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) et du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR). Le Syndicat de la presse magazine (SPM) y travaille aussi. Le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) également. Il s’agit de notamment de ne pas se laisser phagocyter par Apple et Google. @

Télévision et presse délinéarisées : même combat

En fait. Le 13 décembre, se sont tenues les quatrièmes Assises de la convergence des médias – télévision et presse en tête – organisées par l’agence Aromates à l’Assemblée nationale, sous le parrainage du député Patrice Martin-Lalande, co-président du groupe d’études sur l’Internet.

En clair. Google et Apple sont les deux géants mondiaux du Net les plus redoutés
de la télévision et la presse françaises. D’autant qu’ils ne sont pas soumis à la règlementation nationale devenue « désuète » ou « obsolètes », si l’on en croit Olivier Freget, avocat associé chez Allen & Overy. Voilà deux médias confrontés à la déliénarisation de leurs contenus : décomposition de la grille des programmes de télévision au profit de la VOD (1) et à la télévision de rattapage, d’une part, et démembrement de l’oeuvre collective pour les journaux au profit de la diffusion article par article sur tous les terminaux de lecture, d’autre part. Cette « défragmentation du marché », selon l’expression d’Eric Cremer, vice-président de Dailymotion, est une opportunité pour de nouveaux entrants mais une menace pour les positions jusqu’alors bien établies des chaînes de télévision et des groupes de presse. Google est un
« partenaire » de plus en plus encombrant : face à Google TV et Apple TV, les chaînes de télévision françaises se sont liguées contre le « parasitage » de services Web (2) venant en surimpression de leur programmes (3) ; face à Google News et iTunes d’Apple, les éditeurs de journaux veulent faire front et rependre la maîtrise de leurs tarifs (4) en créant un kiosque numérique commun. Côté télévision, Gérard Leclerc, PDG de LCP-Assemblée nationale, s’est rallié à la charte « TV connectée » pour
« éviter que les programmes de télévision ne soient pas pollués par des contenus
du Web ». Côté presse, Francis Morel, directeur général du groupe Le Figaro, s’est exprimé en tant que président du SPQN (5) : « Nous ne voulons pas nous faire dicter les conditions tarifaires par Google ou par Apple. De plus, [par ce biais] nous ne connaissons par nos internautes. C’est inacceptable », s’est-il insurgé. Dans les deux cas, comme le constate Yves Gassot, directeur général de l’Idate (6), « nous avions l’habitude du “content is king” ; il faudrait plutôt dire “device is king” ». Les télévisions
et les journaux voient en effet monter dans l’échelle des valeurs les fabricants de terminaux interactifs, les téléviseurs connectés pour les premières et les tablettes multimédias pour les seconds. Et ce avec des risques de « verrouillage » de la base de clients. La réglementation devra s’adapter elle aussi. « Doit-on aller vers une régulation des contenus sur Internet ? », s’interroge Emmanuel Gabla, membre du CSA, organisateur en avril 2011 d’un colloque sur la TV connectée tentera d’y répondre. @

Le Geste se renforce dans l’audiovisuel en ligne

En fait. Le 23 novembre, Philippe Jannet, le président du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) a dressé – pour la dixième année – un bilan de son action lors de la 25e Assemblée générale qui s’est tenue dans les locaux du quotidien Le Monde (où il est PDG du Monde Interactif).

En clair. Si l’année 2010 du Geste a été marquée par l’évolution de la presse en ligne (statut de presse en ligne, première année du fonds SPEL (1), réforme du droit d’auteur des journalistes par l’Hadopi 2, le CFC générant plus de revenus du numérique que le papier, …), l’année 2011 sera en priorité placée sous le signe de l’audiovisuel en ligne. Lors de la 10e AG du Geste, son président a annoncé « pour tout début 2011 l’organisation d’une journée de réflexion et d’échanges sur les nouveaux supports, tablettes, mobiles et télévisions connectées ». Bertrand Gié, président de la commission « Audiovisuel et nouveaux médias » du Geste et par ailleurs directeur délégué des nouveaux médias du groupe Le Figaro (2), a précisé que cette « journée prospective » se tiendra en deux temps : une matinée sur la TV connectée et une aprèsmidi sur les tablettes et nouveaux supports audiovisuel connectés. « Les questions du modèle économique, de la publicité, des possiblité techniques y seraient précisément traitées », indiquet- il. Un des deux juristes du Geste, Maxime Jaillet, constitue un groupe de travail juridique sur le sujet (neutralité des terminaux, affichage des widgets, …). Des discussions auront lieu courant 2011 avec les opérateurs télécoms et les fabricants de téléviseurs. Il s’agit pour l’organisation professionnelle
de faire entendre la voix des éditeurs intéressés par la TV connectée, qui ne sont pas forcément des Google, Yahoo ou Apple… « Un média spécialisé comme Equidia, des opérateurs de jeux en ligne comme Betclic, le distributeur multi-contenus Zaoza et maintenant Allociné [nouvel adhérent, tout comme MySkreen, ndlr] sont des exemples de membres du Geste positionnés sur ce terminal », explique-t-on à EM@. Cet ancrage dans l’audiovisuel en ligne concerne aussi la TNT (3), avec l’Association pour le développement des services TV évolués et interactifs (AFDESI), dont le délégué général, Jean Dacie, nous indique qu’un dossier d’expérimentation a été déposé au CSA en vue d’obtenir l’autorisation « dans les prochaines semaines ». Un portail baptisé « Mes Services TV » et basé sur la technologie de TV connectée HbbTV sera testé au premier semestre 2011. Le Geste y mettra son flux RSS « Alerinfo » renvoyant vers les contenus de ses éditeurs membres. La commission « Audiovisuel et nouveaux médias » se penche également sur le sort des webradios (4). Celles-ci demandent à bénéficier d’une extension de la licence légale (4 % à 7 % des revenus) appliquée aux seules radios hertziennes. @

La vidéo sur le Net est « une piste » pour Le Figaro

En fait. Le 12 octobre, Etienne Mougeotte était l’invité de l’Association des journalistes médias (AJM). Le DG adjoint du groupe Le Figaro et directeur
des rédactions (quotidien, magazines, web, …) veut que le chiffre d’affaires provenant du numérique passe « le plus vite possible » de 15 % à 20 %.

En clair. Sans dévoiler les premiers résultats de la nouvelle formule hybride « gratuit-payant » du Figaro.fr lancée en février (1) avec un objectif de 60.000 abonnés d’ici trois ans, Etienne Mougeotte a expliqué que la diversification du groupe Le Figaro passait
par Internet. Au-delà des sites Adenclassified (petites annonces), Ticketac (billetterie), thématiques (santé, automobile, …) et des versions en ligne du Figaro Magazine ou
de Madame Figaro, le groupe de presse va accélérer sur le Web. Interrogé par Edition Multimédi@ sur ses ambitions en matière de vidéo sur le Net, l’ancien dirigeant de TF1
a répondu que « cela peut être en effet quelque chose à regarder, même s’il n’y a pas encore de Web TV rentables ». Et d’ajouter : « Développer la vidéo sur Internet est une piste. Nous faisons déjà de la vidéo sur le Figaro.fr, notamment avec le Buzz Média, mais ce sont des formats courts de quelques minutes ». Le groupe de Serge Dassault, qui a déjà indiqué être prêt à des acquisitions dans le Web, détient 20 % du capital de la société française The Skreenhouse Factory. Habert Dassault Finance en détient autant (2). Créée il y a trois ans par Frédéric Sitterlé, cette société édite le portail vidéo MySkreen et la plateforme documentaire Vodeo TV, tout en possédant depuis juin 34 % d’Imineo (W4TCH TV). Elle réalise en outre Lefigaro.fr et Tvmag.com. Or, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) négocie son entrée au capital de cette jeune société pour créer – avec l’aide du grand emprunt (lire EM@ 21, p. 4) – une plateforme de VOD et de télévision de rattrapage. « Il s’agit en effet d’un très beau contrat. Mais je ne peux pas vous dire si [le groupe Figaro] compte monter dans le capital », nous a répondu Etienne Mougeotte sur ce projet. Contacté, le président de l’INA, Mathieu Gallet, nous indique être en discussion avec les actionnaires de The Skreenhouse Factory pour
« une participation de quelques millions d’euros à l’occasion d’une augmentation de capital ». Quoi qu’il en soit, le patron de la rédaction du Figaro constate que « la délinéarisation va inciter à consommer de plus en plus d’images sans passer par le truchement des chaînes ». Internet, qui selon lui « fonctionne comme une agence de presse », va se traduire par « le rapprochement des rédactions web et papier, et ce le plus rapidement possible ». Tenté il y a un an par le toutpayant, Lefigaro.fr lui a préféré le gratuit-payant pour profiter de la reprise publicitaire sur le Net. @