« Pour » ou « contre » Google Books

L’actuel président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Bruno Racine,
qui vient d’être reconduit pour un second mandat de trois ans (l’actuel s’achevant ce 31 mars), s’oppose à son prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney,
sur Google – par livres interposés publiés en mars.

Bruno Racine, dans « Google et le nouveau monde » (Plon) : « Pour »
« Le débat est légitime. Encore faut-il le situer au bon niveau et ne pas le réduire à ces oppositions faciles – antiaméricanisme contre-atlantisme, secteur public contre entreprise privée, anciens et modernes… – qui n’expliquent rien (…) », écrit-il. Depuis le lancement du programme en 2005, d’autres bibliothèques sont venues rejoindre Google Books, dont la bibliothèque municipale de Lyon : « Le reproche adressé à Google de favoriser l’hégémonie de la culture anglo-saxonne apparaît dès lors comme un faux procès ». D’après lui, le modèle de Google déconcerte parce qu’il est hybride : « En offrant en libre accès des contenus culturels de haut niveau à travers Google Livres, il perturbe les schémas mentaux de ceux pour qui service public et financement publicitaires sont des notions incompatibles. (…) Comme on le voit au projet de “settlement” avec les éditeurs et auteurs anglosaxons, Google (…) se voit confier des missions d’intérêt général qui pourraient enter dans la définition du service public ». Il ne croit guère au risque évoqué par certains de voir Google se comporter en monopole classique : « On se tromperait de combat en décrivant Google comme un pur et simple instrument du “marché”, mû par la seule obsession du profit : ce serait méconnaître (…) son rôle dans l’avènement de ce “capitalisme cognitif” ». A propos de son prédécesseur à la tête de la BnF : « [Jean-Noël Jeanneney] s’est fait le porteparole d’une opposition déterminée à l’entreprise Google. (…) Il proposait une “contre-offensive” européenne. (…) La bibliothèque numérique européenne (…) a bel et bien pris forme, certes, mais chez Google. (…) On ne doit pas penser le projet européen [Europeana] comme une “riposte” à Google ». Sur l’enveloppe de 750 millions d’euros attribuée à la numérisation du patrimoine culturel :
« La commission Tessier (…) propose donc un partenariat fondé sur l’échange de
fichiers “un pour un” entre la BnF et Google et suggère même la création d’une
plateforme conjointe de numérisation. Si Google accepte cette offre, il s’agirait d’un
accord très ambitieux dans sa visée qui ferait de Gallica [bibliothèque numérique de
la BnF] le site incontournable de la francophonie (…) ». « L’effort financier de l’Etat (…) permet d’envisager sereinement un partenariat avec Google, dans exclusive, c’est-à-dire sans monopole ». @

Jean-Noël Jeanneney, dans « Quand Google défie l’Europe » (Mille et une nuits) :
« Contre »
« Nous apprîmes [le 14 décembre 2004, ndlr] que Google projetait de numériser, selon un plan de six ans, une quinzaine de millions de livres imprimés, c’est-à-dire environ
4,5 milliards de pages. (…) Certes, l’annonce faite au monde de ce projet pharaonique, proposé à l’époque sous le nom de Google Print, n’était pas exempte de bien des obscurités (…). Il ne peut exister (…) de bibliothèque universelle », écrit-il. Or Google s’est donné comme« mission (…) d’organiser l’information du monde »… Selon lui, il y a plusieurs dangers : « Danger que, du côté des ouvrages patrimoniaux tombés dans le domaine public, la liste des priorités favorise la pensée de la culture anglo-saxonne. Danger que le poids (…) des éditeurs américains soit écrasant. Danger que (…) que la domination des travaux outre- Atlantique devienne plus lourde encore (…) aux dépens de tous les autres parlers de l’Europe ». Il propose donc aux éditeurs « une libre association [à la Bibliothèque numérique européenne Europeana] qui, tout en les protégeant de l’emprise indue de Google, les aiderait à franchir le pas vers une numérisation systématique et réfléchie de leurs fonds ». Plus loin, il en vient à ce qu’il considère être la question centrale, à savoir « le poids de la publicité dans la machine Google » et « ses effets sur les contenus, dans le cas d’un moteur animé par la seule recherche du profit (…) ». Et de faire remarque que « jusqu’à présent le livre était le seul média qui n’a pratiquement jamais comporté de publicité ». Pour autant, il ne refuse pas la coopération d’acteurs multiples, publics ou privés : « Mais il doit s’agir d’un autre équilibre, qu’assurera la participation d’une multitude d’acteurs financièrement désintéressés ».
Et d’interroger sur ce qu’il adviendrait du fonds numérisé : et si Google faisait faillite ?
et quelle réponse pour la conservation à long terme ? Quoi qu’il en soit, « aucune réussite dans ce champ n’est imaginable sans leur accord [les éditeurs et les auteurs, ndlr] » et « [qu’] il n’était pas besoin de la désinvolture de Google à leur égard, que l’entreprise est en passe de payer cher, pour en être persuadé ». Et d’ajouter : « Google a eu la forfanterie de numériser des livres entiers sous droits, puis de les diffuser en ligne en expliquant auxs éditeurs qu’il leur serait toujours loisible (après coup !) de demander qu’on les retire [opt-out] ». @