Les internautes sont appelés à financer la presse

En fait. Le 28 mars, le New York Times a lancé son édition payante au-delà
de 20 articles gratuits par mois après l’avoir d’abord testée quelques jours
au Canada. Le même jour, en France, Jaimelinfo.fr lance sa plateforme de financement de la presse en ligne – après avoir testé une version bêta depuis novembre.

En clair. Qu’il s’agisse de journaux imprimés, comme le New York Times, décidés à
faire payer leurs articles mis en ligne, ou des sites web d’information, comme Rue89
ou Mediapart, faisant appel aux dons des lecteurs, la presse sur Internet tente de tourner la page du tout gratuit. Dans un cas (les journaux historiques) comme de
l’autre (les nouveaux pure players), l’objectif est de trouver de « nouvelles sources
de revenus » pour « financer l’information ». Le journalisme a un coût que la gratuité financée par la publicité en ligne se suffit pas à couvrir. Mais le dilemme est draconien : en faisant payer les articles, l’éditeur fait un trait sur une audience élevée et renonce de ce fait aux recettes publicitaires correspondantes. C’est le passage du mass media au média ciblé. Le New York Times n’a pas opté pour le tout-payant comme c’est le cas du Times et du Sunday Times du groupe News Corp. (Murdoch), mais pour une formule
« freemium » : à partir de 20 articles gratuits par mois, trois formules d’abonnement numériques sont proposés – de 15 à 35 dollars par mois (1). Cette formule hybride permet de ménager la chèvre (l’abonnement) et le chou (la publicité). Le spectre d’un effondrement de l’audience du site web existe, comme ce fut le cas du Times et du Sunday Times qui ont perdu près de 90 % de leur lectorat d’internautes après être devenus payant comme le Wall Street Journal (également propriété de Rupert Murdoch) et du Financial Times (groupe Pearson). Passer de quelques millions de connexions par mois à quelques dizaines de milliers a de quoi bousculer le modèle économique des journaux bien établis. Pour les autres, les nouveaux entrants nés sur le Web, il n’y a rien à perdre. Il y a même tout à gagner, comme le montrent Spot.us aux Etats-Unis ou Jaimelinfo.fr en France. Ce dernier réunit à ce stade 78 sites web ou de blogs d’informations, qui trouvent là une source de revenus supplémentaires allant de 5 à 50 euros ou plus par donation. J’aimelinfo prélève 10 % sur chaque transaction effectuée. « Nous ne visons pas tant à faire appel à la générosité des lecteurs qu’à les associer à la construction de l’information et au financement de nouveaux projets. Il s’inscrit dans la mouvance du “crowdfunding“ (2) », explique Laurent Mauriac, président de Jaimelinfo, dont le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) est membre fondateur. La plateforme Jaimelinfo a été développée par Rue89, dont Laurent Mauriac est cofondateur. @

…mais Google leur offre une plateforme alternative

En fait. Le 16 février, soit le lendemain de l’introduction de l’abonnement sur l’App Store d’Apple, Google annonce le lancement de « One Pass » à destination des éditeurs de journaux qui pourront vendre leurs articles à l’acte ou à l’abonnement. Le géant du Net reversera, lui, 90 % environ du prix de vente.

En clair. Google est le mieux à même de concurrencer Apple sur le marché mondial des kiosques numériques. Face aux interrogations que suscite le monde fermé et contraignant de l’écosystème iTunes/App Store (voir ci-dessus), le numéro un mondial des moteurs de recherche joue la carte de la plateforme ouverte et contrôlable par les éditeurs. L’annonce a été faite à Berlin par le PDG de Google, Eric Schmidt (1). Au-delà du fait que le géant de Moutain View percevra seulement 10 % environ du prix de vente à l’acte ou à l’abonnement (au lieu des 30 % ponctionnés par Apple), One Pass se veut plus attractif. Les éditeurs gardent la maîtrise de leurs ventes et de l’identité de leurs lecteurs, qu’ils soient sur le web, les mobiles ou les tablettes. Autrement dit, Google veut être l’antithèse d’Apple. Les éditeurs déjà séduits par One Pass, tels que Le Nouvel Observateur en France (où le service s’appelle « Pass Média »), Axel Springer en Allemagne ou encore Prisa en Espagne, peuvent établir leurs propres tarifs et conditions commerciales (unité, abonnement, « freemium », packs, etc). Les contenus peuvent être aussi bien vendus à l’intérieur de l’application mobile ou sur le site web de l’éditeur. Cependant, les utilisateurs doivent passer par le mode de paiement Checkout de Google pour faire leurs achats.
« Les utilisateurs déjà abonnés peuvent bénéficier d’un accès complet en ligne en toute simplicité, via un système de coupons. L’éditeur peut choisir de proposer un article en consultation pendant une semaine ou 30 jours », indique par exemple Google. Avec
« Google Pass Média », la presse en oublierait presque les griefs envers « Google
News », accusé de ne partager les fruits de la e-pub. En Italie, ce service agrégeant
les articles des sites web d’information était soupçonné d’abus de position dominante (2) – jusqu’à ce que l’autorité de la concurrence obtienne des garanties en janvier dernier : un éditeur peut désormais décider de ne plus apparaître dans Google News sans disparaître du moteur de recherche Google. En France, l’Autorité de la concurrence a indiqué le 14 décembre dernier qu’elle veillera à ce qu’il en soit de même pour Google Actualités. Reste une pierre d’achoppement : le Syndicat national de la presse quotidienne (SPQN) n’a pas réussi à obtenir une rémunération des articles repris sur Google Actualités (3). Le géant du Net estime qu’il n’a rien à payer aux journaux qui bénéficient déjà en retour d’un afflux de trafic sur leurs sites web. @

News Corp. préfère Apple (fermé) au Web (ouvert)

En fait. Le 2 février, le groupe de médias News Corp. annonce tout à la fois le lancement de The Daily, un premier quotidien payant créé dans un premier temps pour l’iPad, et, par ailleurs, la mise en vente de son réseau social en perte de vitesse MySpace, six ans après l’avoir acheté au prix fort.

En clair. Le magnat australien Rupert Murdoch est plus à l’aise dans un monde payant que dans un univers gratuit. Son groupe est un véritable conglomérat des médias (Dow Jones/Wall Street Journal, The Times/SundayTimes, Fox, Twentieth Century Fox, The Sun, MySpace, HarperCollins, Sky, BSkyB à 39 %, Hulu à 32 %, …) aux 32,8 milliards
de dollars de chiffre d’affaires, pour un bénéfice net de 2,5 milliards et quelque 50.000 employés dans le monde (1). Mais le PDG fondateur, qui va fêter ses 80 ans le 11 mars prochain, n’a pas eu de chance avec Internet qu’il a eu du mal à adopter. Il a fallu que
son plus jeune fils, James Murdoch (2), entre dans le groupe en 1997 et insiste pour l’intéresser enfin au Web… juste avant l’éclatement de la bulle. Plus de dix ans plus tard, voici que le « papa » milliardaire doit se rendre à l’évidence : MySpace, le réseau social qu’il a acquis près de 600 millions de dollars en 2005 (c’était très cher pour alors deux ans d’existence), a été laminé par Facebook. Il s’agit maintenant de trouver un repreneur. Face à la baisse de la publicité sur le réseau social, dont la fréquentation a diminué faute d’avoir su convaincre les fans de musique, il a fallu déprécier, supprimer la moitié des effectifs (500 postes), restructurer Digital Media Group. Même la femme du PDG, Wendi Murdoch, fut appelée à la rescousse en mai dernier pour « apporter des conseils stratégiques pour le développement de MySpace en Chine ». Cela n’a pas suffit. MySpace a contribué à faire perdre 156 millions de dollars au groupe (3), malgré ses 100 millions d’utilisateurs.
Rupert Murdoch a déjà tourné la page : il investit 30 millions de dollars dans un nouveau quotidien en ligne, The Daily, pour lequel ont été recrutées une centaine de personnes.
Il s’agit du second journal – après le mensuel The Project de Richard Branson – à n’être produit que pour l’iPad (avant d’être décliné sur d’autres tablettes). Cette fois, ce n’est pas du gratuit financé par de la publicité mais un modèle payant (14 cents/jour, 99 cents/semaine ou 39,99 dollars/an) dans l’environnement fermé d’Apple. En avril 2010,
le magnat de la presse avait dit que l’iPad « pourrait être le salut des journaux » et que The Daily allait « se vendre à des dizaines de millions d’exemplaires dans le monde ». Depuis qu’il a acquis le Wall Street Journal mi-2007, Murdoch est devenu un militant de
la presse online payante. The Times et The Sunday Times ont aussi abandonné la gratuité l’été dernier. @

Le Monde « n’a pas peur de Google et des autres »

En fait. Le 14 janvier, les trois nouveaux propriétaires du groupe Le Monde – Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, accompagnés par Louis Dreyfus, président du directoire – ont été les invités de l’Association des journalistes médias (AJM). Ils visent l’équilibre financier dès cette année.

En clair. Le trio Bergé-Niel-Pigasse entend sortir Le Monde de l’ornière dès cette année, en misant sur un « bouleversement » interne qui passe par un regroupement des différents titres du groupe (Le Monde, Télérama, La Vie, Courrier International, …) dans de nouveaux locaux. Matthieu Pigasse (1) table sur le « rapprochement web-papier déjà engagé » pour rationaliser le fonctionnement des deux rédactions du quotidien, composées respectivement de 50 journalistes côté numérique et de 270 journalistes côté imprimé. Face aux défis du Web et du numérique, les nouveaux propriétaires misent sur les marques « fortes » du groupe : « On a pas peur de Google et d’autres », a lancé Xavier Niel. « On a peur de rien », a surenchéri Matthieu Pigasse pour expliquer notamment le choix du Monde de ne pas participer au projet de kiosque numérique E-Presse Premium. Avec cette future plateforme, des quotidiens et des magazines espèrent reprendre la main face à Google News ou l’App Store d’Apple (2). En ironisant : « On n’ est pas obligé d’ériger des forteresses ou des forts Chabrol » !
Le Monde compte sur son futur directeur – Erik Izraelewicz s’il est élu le 7 février – pour concrétiser la « rédaction bimédia », dont l’un des freins « est de ne pas avoir encore réglé la question des droits d’auteur des journalistes » (3). Louis Dreyfus, le président du directoire du groupe a indiqué que « depuis [sa] nomination [le 15 décembre, ndlr], Sylvie Kaufmann [jusqu’alors directrice de la rédaction du Monde] est devenue directrice des rédactions ». Reste la question des 34 % que Lagardère possède dans Le Monde Interactif. « Il n’est pas indispensable de racheter la part de Lagardère pour rapprocher Le Monde Interactif et Le Monde, même si c’est notre souhait. Mais pas à n’importe quelle condition », a expliqué Matthieu Pigasse. Rappelons que Lagardère s’était dit prêt à céder sa participation pour 33 millions d’euros à l’autre candidat malheureux Perdriel-Prisa-Orange (lire EM@16, p. 3). Dans leur offre datée du 21 juin dernier, le trio avaient clairement dit que « cette activité [numérique] doit revenir au journal et se placer au cœur de sa nouvelle stratégie éditoriale » (EM@17, p. 5). Pour l’heure, le groupe Le Monde réalise « moins de 5 % de son chiffre d’affaires (380 millions d’euros en 2010) avec le numérique ». Sans se fixer des objectifs chiffrés, le trio Bergé-Niel-Pigasse entend développer « l’audience numérique de Télérama et du Monde en faisant travailler ces deux titres ensemble ». @

2011 sera l’année des kiosques numériques

En fait. Le 2 janvier, le Wall Street Journal révèle que Google discutent aux Etats-Unis avec des groupes de presse sur la mise en place d’un kiosque numérique
où les éditeurs seraient rémunérés au-delà des 70 % pratiqués par Apple, lequel cherche aussi à développer un « iKiosque » à journaux.

En clair. Google ne veut pas laisser seul Apple négocier avec la presse en vue de constituer au Etats-Unis un premier kiosque numérique. L’engouement de la presse
en faveur la fameuse tablette iPad – dévoilée il y a un an presque jour pour jour – a été tel (1) que la marque à la pomme discute depuis plusieurs mois avec des éditeurs de journaux américains pour créer un équivalent de l’iBook Store pour la presse quotidienne et magazine – un « iNewsstand » en quelque sorte, distinct de l’App Store, pour vendre des titres sur iPad et iPhone. Les éditeurs cherchent à obtenir d’Apple une plus grande latitude tarifaire et un accès aux données de leurs clients lecteurs jusqu’à maintenant verrouillées par la firme de Steve Jobs, ainsi que la possibilité de gérer des abonnements (une avancée pour Apple habitué aux ventes à l’unité sur iTunes). Google entend profiter des hésitations des groupes de presse américains (Time Warner, Condé Nast, Hearst, News Corp.) pour leur proposer une alternative qui répondrait plus à leurs exigences : une commission sur les ventes inférieure aux 30 % pratiqués par Apple, un accès aux données personnelles des utilisateurs pour une exploitation marketing par les journaux, l’instauration de formules d’abonnements, sans oublier un environnement ouvert avec Android, le système d’exploitation de Google utilisé sur tablettes et smartphones. D’autres initiatives de e-kiosques existent outre-Atlantique : soit de la part d’Amazon (pour le Kindle) ou de Barnes & Noble (pour e-reader Nook), soit émanant d’éditeurs eux-mêmes comme Next Issue Media (Condé Nast, Hearst, Meredith et Time, …), Skiff (News Corp), Press Engine (New York Times, …). Confrontée partout dans le monde à des coûts de distribution papier parfois exorbitants (environ 40 %
du prix de vente), la presse voit dans le kiosque numérique plusieurs avantages par rapport aux circuits de distribution des imprimés : économies, rapidité, souplesse relation plus direct avec le lecteur et, particulièrement en France avec Presstalis (ex- NMPP), moyen d’échapper aux grèves à répétition. Sur l’Hexagone, il y a les projets
« E-Presse Premium » et  « Presse régionale » respectivement du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) et du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR). Le Syndicat de la presse magazine (SPM) y travaille aussi. Le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) également. Il s’agit de notamment de ne pas se laisser phagocyter par Apple et Google. @