Le manque d’interopérabilité des écosystèmes de l’Internet mobile à nouveau pointé du doigt

L’Internet Society (Isoc), association qui est à l’origine de la plupart des standards ouverts du Net, dénonce le verrouillage des plateformes mobiles
telles que celles d’Apple, de Google ou de Microsoft. Ce qui limite les choix
des consommateurs et augmente les coûts de développement des applications.

Michael Kende« Aujourd’hui, nous associons l’Internet mobile à un appareil intelligent qui tourne sur une plateforme spécifique et qui permet d’accéder aux applications que nous utilisons. Bien que cela ait généré des avantages extraordinaires pour les utilisateurs et toute une économie des applications pour les développeurs, les utilisateurs sont prisonniers d’une plateforme et cela limite au final les choix d’une manière inédite pour l’Internet », déplore Michael Kende (photo), chef économiste de l’Internet Society (Isoc) et auteur du rapport « Global Internet Report 2015 » dévoilé le 7 juillet dernier.
Le problème est que la grande majorité des applications mobiles sont « natives », c’est-à-dire qu’elles sont développées pour une plateforme mobile telle que Android de Google, iOS d’Apple, Windows Phone de Microsoft ou encore Blackberry du fabricant éponyme (ex-RIM).

Dépendance OS-App Store
Cela augmente les coûts pour les développeurs, lesquels doivent concevoir des applications pour chacune de ces plateformes, tandis que les consommateurs sont pieds et poings liés par ces écosystèmes verrouillés, dans l’impossibilité de passer d’une plateforme à une autre. Ce qui limite et le choix des mobinautes et la concurrence entre ces plateformes. Le rapport de l’Isoc constate ainsi une « dépendance croissante aux applications mobiles ».
Cette association internationale pionnière du Net, regroupant une communauté de concepteurs, d’opérateurs, de fournisseurs de réseau et de chercheurs (2), s’en prend ainsi à ces walled gardens. Alors que l’on compte aujourd’hui plus de 1,3 million d’applications mobiles dans le monde, l’inconvénient est qu’elles ont été pour la plupart d’entre elles développées pour des plateformes dites « propriétaires ». Le mobinaute se retrouve non seulement dépendant de l’OS (Operating System) sous-jacent mais aussi de l’App Store correspondant. Par exemple : l’iOS d’Apple est associé uniquement à iTunes et Android à Google Play. Comparée à l’accès au Web avec un navigateur Internet sur un ordinateur, l’expérience de l’internaute est largement plus ouverte que celle du mobinaute dans sa prison dorée (3). « Sur les terminaux intelligents utilisant des applis natives, c’est complètement différent. D’abord, les utilisateurs ne peuvent pas facilefacilement chercher parmi les applications, ou facilement se déplacer entre elles comme sur des sites web. De plus, ils ne peuvent pratiquement télécharger que ce qu’il y a dans l’App Store, et il ne leur est pas possible de changer de boutique. Finalement, s’ils changent de système d’exploitation, ils auront à ré-accéder à toutes leurs applis, pour peu qu’elles soient aussi disponibles sur la nouvelle plateforme », souligne le rapport de l’Isoc.

A cela s’ajoute le fait que bon nombre d’applis mobiles sont des outils standalone :
elles n’ont pas d’adresses web ni d’hyperliens dit « profonds » (ou deep link) permettant de pointer vers une autre appli ou vers une de ses ressources précises. Résultat : les informations trouvées sur une appli ne peuvent pas être facilement partagées et les utilisateurs ne peuvent pas passer d’une appli à l’autre. Il faut donc encourager les développeurs à adopter ces liens profonds, en assignant à chaque application une URI (Uniform Resource Identifier) sur le modèle des URL du Web. « Cependant, malgré des progrès, il y a toujours des pierres d’achoppement sur l’adoption du deep linking », regrette Michael Kende.
En plus de ce manque d’interopérabilité mobile, qui génère de la confusion chez les mobinautes, il y a le problème du contrôle exercé par les propriétaires des App Stores qui peuvent « limiter l’expression et le choix des consommateurs ». Les Apple, Google et autres Microsoft peuvent en tant que gatekeepers se transformer en censeurs de contenus, ayant le droit de vie ou de mort sur les applis qu’ils publient sur leur boutique en ligne. Leur pouvoir peut potentiellement restreindre l’innovation.

Problème identifié en Europe
Le manque d’interopérabilité des applis et de leur écosystème a aussi fustigé par la Commission européenne sur la base d’un rapport commandité à Gigaom et intitulé
« Sizing the EU App Economy ». Publié en février 2014, il assimile les non-interopérabilités à des « goulets d’étranglement technique » que Bruxelles voient comme une cause de « morcellement » du marché unique numérique (4). En France, le 10 décembre 2014, Tim Berners-Lee – l’inventeur du World Wide Web il y a 25 ans – a lui aussi dénoncé les environnements fermés et verrouillés des applis mobiles (5), tout en se posant en garant de l’ouverture et de l’interopérabilité du Net avec HTML5. @

Charles de Laubier

La pomme d’Apple écrasée entre Google et Samsung en 2014 ?

En fait. Le 7 janvier, le cabinet d’études Gartner a estimé que les ventes mondiales de smartphones, ordinateurs et tablettes fonctionnant sous le système d’exploitation de Google franchiront le milliard d’unités cette année. Ayant adopté Android, Samsung est le premier à tailler des croupières à Apple.

Tim Cook, CEO d'Apple

Tim Cook, CEO d’Apple depuis août 2011

En clair. La pomme va-t-elle se faire écraser en 2014 ?
C’est ce que l’on peut craindre, tant la firme de feu Steve Jobs semble victime d’une double peine : non seulement elle perd des parts de marché sur les ordinateurs et terminaux mobiles au profit des smartphones, ordinateurs et tablettes fonctionnant sous Android, mais en plus Samsung profite – comme d’autres fabricants qui l’ont adopté tels que HTC, Sony ou Motorola (1) – de cet engouement pour le système d’exploitation ouvert (open source) du géant du Net, Google.

Plus de 1 milliard de terminaux sous Android seront vendus cette année
Selon Gartner, les ventes d’Android devraient franchir allègrement sur cette année la barre du milliard pour atteindre 1,1 milliard de smartphones, tablettes et ordinateurs sous Android – soit une hausse de 26 % sur un an.
Apple sera loin derrière avec 344,2 millions d’appareils vendus sous sa seule marque (iPhone, iPad, Mac) – aucune licence n’étant accordée à d’autres fabricants, faut-il le rappeler. Et encore, Apple n’arrivera qu’en troisième position puisque Microsoft s’arrogera la seconde place avec 359,8 millions de terminaux sous Windows. Il ne fait aucun doute qu’il y a une équation du volume versus la valeur, avec les utilisateurs d’Android qui achètent aussi des terminaux moins chers comparés aux utilisateurs d’Apple », souligne Annette Zimmerman, analyste chez Gartner.
Résultat : Android détient le plus grand parc mondial d’appareils en service, avec 1,9 milliard d’unités utilisés en 2014, contre seulement 682 millions de terminaux estampillés Apple. L’engouement pour les smartphones et tablettes à des tarifs d’entrée ou de milieu de gamme, aux performances technologiques toujours plus grandes d’une année sur l’autre (loi de Moore) semble disqualifier la marque à la pomme traditionnellement plus chère et plus haut de gamme.
Comme les consommateurs – aussi bien dans les pays développés mais en crise que dans les pays émergents mais peu dépensiers – ne sont pas près de changer, c’est à se demander si Apple n’est pas en train de manger son pain blanc… Cette prime donnée à des appareils moins chers a encore été démontrée par GfK (lire ci-dessous) et la Consumer Electronics Association (CEA), organisatrice du CES à Las Vegas. En outre, Google va en plus accroître la pression sur Apple avec sa filiale Motorola qui va passer
à l’offensive des smartphones low-cost pour séduire le plus grand nombre. @