La pression fiscale sur les opérateurs télécoms augmente au profit des industries culturelles

Vaches à lait, têtes de Turc,… Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) expriment un sentiment général de ras-le-bol envers les taxations de toute sorte que les pouvoirs publics leur imposent, à commencer par celles destinées au cinéma,
à l’audiovisuel et bientôt la musique

Par Katia Duhamel, avocate, cabinet Bird & Bird

Les taxes s’entassent sur la tête des opérateurs télécoms, sans doute coupables de faire encore des profits en temps
de crise. Alors qu’ils n’ont toujours pas digéré la taxe introduite par le gouvernement pour compenser la suppression de la publicité payante sur les chaînes publiques de télévision, de nouvelles idées de taxation du secteur germent dans l’esprit de certains. Après l’audiovisuel public, les opérateurs pourraient ainsi être mis à contribution pour financer la création musicale.

Après le CNC, le CNM
Le rapport Création musicale et diversité à l’heure du numérique (1), rédigé récemment pour le compte du ministère de la Culture et de la Communication, redonne de la vigueur à la polémique sur le financement des contenus par le secteur des télécoms. Entre autres mesures au soutien de la création musicale, le rapport précité propose de créer un Centre national de la musique (CNM) qui serait chargé de soutenir la création musicale sur le modèle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) dans le domaine audiovisuel, y compris s’agissant de son financement. Les cinq auteurs dudit rapport – Riester, Selles, Chamfort, Colling et Thonon – écartent bien des pistes de financement, telles que la création d’une taxe sur les ventes de musique enregistrée ou d’appareils permettant d’écouter de la musique, incluant notamment les smartphones et les tablettes. Mais leur déclaration, selon laquelle il serait « légitime que les opérateurs de télécommunications contribuent au financement de la création et de la diversité musicales », provoque la levée de boucliers préventive des représentants des opérateurs télécoms marqués par les expériences précédentes. Certes, à ce stade, le rapport se contente de recommander d’aménager le volet « distributeur » de la taxe sur les services de télévision (TST) que versent aujourd’hui les opérateurs de triple
play et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) au CNC, au titre du Cosip (Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels), en dérivant une partie de cette taxe pour financer le dispositif de soutien à la filière musicale. Toujours selon les auteurs du rapport, ce redéploiement d’une partie de la taxe Cosip au profit de la création musicale serait neutre pour les FAI car les taux seraient fixés de façon à ce que la pression fiscale globale sur ces acteurs reste la même. Echaudés par de tristes mesures antérieures, les opérateurs restent cependant sceptiques et attendent comme Astérix que le ciel leur tombe de nouveau sur la tête ! Par précaution, ils commencent à élever des barricades par le truchement de la Fédération française des télécoms (FFT) qui, dans un communiqué du 3 octobre 2011, « déplore qu’il soit à nouveau question de taxer les FAI pour financer l’industrie culturelle, alors même que les opérateurs participent déjà de façon importante et croissante au soutien de la création, soit directement soit indirectement ».

Taxe « TST » : 300 millions d’euros ?
Certains éléments communiqués dans l’urgence au Parlement courant octobre, pour
fixer dans le cadre du projet de loi de finances 2012 (PLF 2012) le montant de la taxe
dont s’acquittent les opérateurs de communications électroniques au bénéfice du CNC (au titre de leur activité de distributeurs de services de télévision), semblent du reste
leur donner raison. Selon la Fédération des Télécoms, en l’absence de précisions sur l’assiette retenue, le rendement prévisionnel de la taxe pour les opérateurs pourrait dépasser les 300 millions d’euros, montant apparemment confirmé par les estimations
de l’Arcep (2), ce qui va très au-delà des 190 millions attendus par le gouvernement et présentés au Parlement.
Ces dernières péripéties gouvernementales et parlementaires démontrent une nouvelle fois que les opérateurs télécoms sont considérés soit comme vaches à lait, soit comme des têtes de Turc ! En effet, au total dix-sept taxes et neuf redevances pèseraient sur
les opérateurs télécoms (3).

Finie l’exception « Free »
Les opérateurs télécoms et les FAI sont en particulier engagés dans le financement
de l’audiovisuel et du cinéma, tant à travers leur contribution au Cosip, qui a connu
une progression de 60 % entre 2008 et 2010, que via des accords spécifiques avec
des chaînes et des plates-formes de vidéo à la demande (VOD).
Ceux d’entre eux, qui, jusqu’à présent avaient mis en oeuvre des solutions de contournement pour réduire significativement leur contribution au Cosip, se sont vus rattrapés cette année par le PLF 2012 qui prévoit que la taxe soit assise « tant sur
les abonnements aux services de télévision distribués séparément, que sur les abonnements à des services de communication électronique fixe et mobile à haut
et très haut débit proposés au grand public, dès lors que leur souscription permet
de recevoir des services de télévision ». Autrement dit : fini l’exception « Free »
qui permettait à ce FAI de minimiser significativement sa contribution au Cosip.
D’un autre coté, et c’est plutôt une bonne nouvelle, l’extension protéiforme et incontrôlable de la taxe pour la copie privé qui menaçait de toucher les smartphones en tant que supports de stockage vient d’être stoppée nette par une décision du Conseil d’Etat du 27 juin 2011, qui annule la décision nº11 de la Commission « copie privée »
et qui va entraîner une remise à plat de l’ensemble des montants de la « taxe » sur la copie privée en France. Un projet de loi va être examiné au Parlement.
En revanche, la suppression de la taxe professionnelle n’a pas beaucoup profité aux opérateurs télécoms qui se sont vus imposés en compensation une charge annuelle spécifique, soit 1.530 euros par site d’antennes de radiotéléphonie dans les zones denses et moitié moins dans les zones blanches (environ 50.000 antennes relais sont installées sur le territoire français).
Bref, si on est encore loin de certains pays africains, où les opérateurs télécoms sont aujourd’hui taxés sur le trafic international entrant (4), il est clair que les opérateurs français restent dans l’esprit de nombre de technocrates ou politiques une cible commode pour financer des politiques publiques de création en cours de paupérisation, voire des déficits de crise.
Or, au regard du défi des nouveaux investissements nécessaires, en particulier pour développer le très haut débit, il serait sans doute préférable de voir les pouvoirs publics favoriser l’association volontaire des opérateurs et des ayants droit pour le développement d’un modèle économique industriel pérenne à travers des offres innovantes et créatrices de valeur, plutôt que des dispositifs de taxation préjudiciable
à la compétitivité des acteurs nationaux. @

ZOOM

Les taxes télécoms devant le juge européen
La Commission européenne a décidé en mars dernier de traduire la France devant la Cour de Justice de l’Union européenne (1) à propos de la taxe prélevée par l’Etat français sur les opérateurs de télécoms pour compenser l’arrêt de la publicité sur les chaînes de télévision publique. Cette décision pourrait déboucher sur l’obligation de l’Etat de restituer les taxes déjà versées par les opérateurs, et de payer de lourdes amendes pour infraction au droit européen. Or, cela fait plusieurs mois que Paris refuse d’abolir cette taxe, dont les recettes sont évaluées à 400 millions d’euros (0,9 % des revenus totaux des opérateurs dont les encaissements sont supérieurs à 5millions d’euros). Et ce, malgré la mise en demeure formelle envoyée en septembre 2010 par
la Commission européenne qui considère en effet que cette taxe est incompatible avec les règles communautaires en matière de télécoms. La directive « autorisation » de 2002 encadre en effet le régime des réseaux et services de télécommunications en Europe et limite les prélèvements sur les opérateurs à des montants « spécifiquement et directement liés à la couverture des coûts de la régulation du secteur ». Par ailleurs, depuis l’arrêt «Albacom» du 18 Septembre 2003, il existe une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes en ce sens (2). L’Espagne est également poursuivie pour une législation similaire à celle de la France par la même justice européenne, ainsi que la Hongrie qui a introduit une taxe « de crise » imposée spécifiquement à trois secteurs économiques : le commerce de détail, les communications électroniques et l’énergie. L’assiette et le taux de cette taxe sont définis individuellement selon le secteur d’activité et les recettes : pour les opérateurs de télécommunications, les taux varient entre 0 et 6,5 % sur la base des recettes brutes, hors TVA. @