Cookies : le consentement préalable inquiète Nick Leeder, le DG de Google France

En fait. Le 28 octobre, Nick Leeder, DG de Google France, était parmi les invités de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). EM@ en a profité pour lui demander si le projet européen de « consentement préalable obligatoire » pour les cookies l’inquiétait pour l’avenir de la pub en ligne.

Nick LeederEn clair. « C’est une bonne question. Cela peut impacter le business de Google, mais cela va nous toucher beaucoup moins que bien d’autres acteurs », nous a répondu Nick Leeder (photo), le DG de Google France depuis avril 2013.
« Je pense que cela ne va pas vraiment impacter l’activité de moteur de recherche de Google, le search. Mais cela peut toucher beaucoup plus les autres, par exemple les sites web de journaux qui utilisent les cookies pour mieux améliorer leur niveau de monétisation : tout ce qui est publicité display [bannières notamment, ndlr] peut être très impacté », a-t-il prévenu.

Europe : opt-in obligatoire en vue avant tout cookie publicitaire
La nouvelle Commission européenne, installée depuis le 1er novembre dernier, doit en effet adopter d’ici l’an prochain (1) le projet de règlement sur la protection des données présenté en janvier 2012 par Viviane Reding (2).
C’est la Tchèque Véra Jourová, commissaire en charge de la Justice, des Consommateurs et de l’Egalité des genres, qui hérite de la réforme. Il est notamment prévu d’obliger les sites web à obtenir le « consentement préalable » (opt-in) des internautes et mobinautes avant de déposer des cookies publicitaires. Pour l’heure,
les éditeurs se contentent d’avertir l’utilisateur avant le dépôt de « mouchards »
(s’il poursuit sa navigation sur le site web visité) – ce que vérifie la Cnil depuis octobre en France (lire EM@100, p. 8). Pour le patron de Google France, « il faut faire très attention car il y a un écosystème très large de sites web qui vivent grâce à ces publicités en ligne ». Et Nick Leeder de mettre en garde : « Si l’on rend le niveau de monétisation plus faible, cela peut être une mauvaise politique. Il faut donc trouver le bon équilibre ». D’après l’Irep et France Pub, le marché français de la publicité Internet (display, search et emailing) pesera 1,8 milliard d’euros cette année. Le consentement préalable obligatoire va-t-il tuer la poule aux oeufs d’or ? « La régulation, c’est facile. Mais on peut tuer l’innovation dans l’œuf », a-t-il dit.

Plus généralement sur la réglementation européenne sur la protection des données personnelles et le droit à l’oubli, il prévient : « C’est un sujet très sensible pour Google, parce que c’est pour nous une question de vie ou de mort si nous perdons la confiance des utilisateurs. Il faut vraiment trouver le bon équilibre. Cela nous amène à donner encore plus de contrôle aux consommateurs sur ses données, comme le Google Dashboard (3) ». @

« Préalable » : le mot qui pourrait compromettre la publicité sur Internet

Le gouvernement doit publier d’ici le 25 mai une ordonnance pour transposer la nouvelle directive européenne « Service universel et droits des utilisateurs » sur Internet. Elle impose aux Vingt-sept de prévoir le « consentement préalable » des internautes pour chaque « cookie » déposé dans son ordinateur.

Le marché de la publicité, qui devrait dépasser cette année en France les 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (contre 2,3 milliards en 2010 selon l’Irep) et franchir en Europe la barre des 10 milliards d’euros (contre 8,6 milliards en 2010 selon l’Idate),
est sur le point d’être déstabilisé par un petit mot : « préalable ».

L’opt-in va remplacer l’opt-out
« Préalable » a été rajouté dans la nouvelle directive européenne Service universel et droits des utilisateurs sur les réseaux et services de communications électroniques,
qui a été promulguée le 18 décembre 2009 au JOCE (1) et qui doit être transposée d’ici
le 25 mai 2011 après avoir notifié le texte à la Commission européenne. Ainsi, l’article 6
de ce texte communautaire prévoit désormais que tout éditeur de contenus en ligne ou tout fournisseur de services sur le Web obtiennent le « consentement préalable » de chaque internaute avant de déposer dans l’ordinateur de ce dernier – ou le smartphone
du mobinaute – un cookie. La précédente directive de 2002 prévoyait bien le consentement mais pas de façon préalable. Ce que modifie la nouvelle directive (2).
C’est ce passage de l’opt-out (accord tacite) à l’opt-in (accord exprès) que redoutent
les acteurs de l’Internet. D’autant que toute l’économie de la publicité en ligne est basée sur les fameux « cookies », ces petits fichiers informatiques nés en 1994 chez Netscape sous le nom de « magic cookie » et destinés à suivre à la trace chaque internautes naviguant sur le Web. Une fois installé discrètement dans l’ordinateur au moment de la première visite sur un site web, le cookie fait office de témoin, voire de mouchard ou d’espion, à chaque fois que l’utilisateur se reconnecte. Ils sont déposés par le navigateur complice (Google, Firefox, Opera, Chrome, …), à l’insu de l’internaute, et servent aux éditeurs de services en ligne à collecter toutes sortes
de données utiles à la gestion des connexions (identifiants par exemple), à la personnalisation des sessions (préférences notamment), ou au pistage des visites (statistiques, centres d’intérêt, transactions, etc). C’est sur ce tracking que s’appuie particulièrement l’industrie de la publicité en ligne qui égrène pour ce faire des millions de cookies, dits « tierces parties » car ils relèvent de noms de domaine différent de celui visité par l’internaute. Les annonceurs, leurs agences de publicité et les régies publicitaires en sont friands. Et pour cause : c’est grâce à leurs cookies que les publicitaires vont mesurer l’audience de leurs bannières, pub vidéo et autres liens sponsorisés (3), afin d’en mesurer leur efficacité et de proposer par la suite des publicités ciblées en fonction des préférences de l’internaute recueillis sans qu’il le sache par le cookie. Dans son considérant 25, la directive de 2002 explique que « les dispositifs de ce type, par exemple des témoins de connexion (cookies), peuvent constituer un outil légitime et utile, par exemple pour évaluer l’efficacité de la conception d’un site et de la publicité faite pour ce site, ainsi que pour contrôler l’identité des utilisateurs effectuant des transactions en ligne. (…) L’accès au contenu d’un site spécifique peut être, toutefois, subordonné au fait d’accepter, en pleine connaissance
de cause, l’installation d’un témoin de connexion (…). » (4). Or, les internautes sont suspicieux envers cette intrusion. Selon une étude de ETO et Market Audit publiée
le 10 mars, 70 % des consommateurs refusent que leurs données personnelles – et les cookies en font partie selon la Cnil – soient utilisées par les annonceurs. De plus, selon Benoît Cassaigne, directeur exécutif de Médiamétrie, jusqu’à 50 % des cookies sont effacés par les internautes dans le mois à partir de leur navigateur (5). Le consentement préalable pourrait anéantir les cookies. Le gouvernement français ne pourra faire l’impasse sur l’opt-in malgré les pressions des premiers concernés – tels que l’Interactive Advertising Bureau France (IAB) – pour assouplir le texte. Depuis un an, une première version de l’ordonnance prévue dans le cadre de la transposition du Paquet télécom prévoit bien le consentement préalable des internautes vis-à-vis des cookies et, toujours conformément à la directive de 2009, « la possibilité de retirer à tout moment leur consentement pour le traitement des données relatives au trafic ».

Pas de débat, grande inquiétude
Les professionnels n’ont eu de cesse d’alerter le gouvernement sur les risques que
ces dispositions faisaient peser sur le marché de la publicité en ligne. Maintenant que
le gouvernement est habilité à transposer par ordonnance, donc dans l’urgence et
sans débat parlementaire (6), l’inquiétude monde. S’il y a méfiance et désaffection
des annonceurs vis-à-vis de l’e-pub, qui financera les contenus gratuits du Web ? @

Charles de Laubier