Emmanuel Macron, 8e président de la Ve République : une certaine idée de la France numérique

Tout a été écrit ou dit sur Emmanuel Macron, plus jeune président de la République française jamais élu (39 ans). Son élection, le 7 mai 2017, marque aussi l’arrivée à la magistrature suprême d’un ex-ministre qui fut notamment en charge du Numérique (2014-2016). Voici ce qu’il a prévu pour cette « révolution ».

« Ma responsabilité sera de rassembler toutes les femmes
et tous les hommes prêts à affronter les défis gigantesques
qui nous attendent et à agir. Certains de ces défis sont des chances, comme la révolution numérique (…), le redémarrage de l’Europe », a déclaré Emmanuel Macron (photo) lors de son discours solennel juste après sa victoire à la présidentielle, le soir du 7 mai, en remportant 66,1 % des suffrages exprimés contre l’extrême droite. Qu’il soit « révolution numérique »,
« transition numérique » ou « économie numérique », le digital sera à n’en pas douter au cœur de l’action du nouveau chef de l’Etat français. « La révolution numérique change nos manières de produire, de consommer et de vivre ensemble », n’a eu de cesse de marteler durant sa campagne présidentielle le candidat d’« En Marche ! », désormais successeur à l’Elysée de François Hollande, dont il fut secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République (2012-2014), avant de devenir ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016). Et ce, jusqu’à sa démission du gouvernement « Valls II » le 30 août dernier pour se consacrer à son mouvement politique, puis annoncer le 16 novembre suivant sa candidature à la présidentielle de 2017. Son livre-programme « Révolution », paru dans la foulée, est un des best-sellers politiques. Nous connaissons la suite.

Révolution numérique, audiovisuel, presse et culture
L’ancien ministre du Numérique a été celui qui a proposé le programme « numérique » le plus étoffé et le plus crédible des onze candidats à l’élection présidentielle de 2017. Edition Multimédi@ repasse en revue les principales promesses européennes et nationales d’Emmanuel Macron non seulement sur le numérique, mais aussi sur l’audiovisuel, la presse et la culture. Espérons qu’elles soient tenues et mises en oeuvre durant le nouveau quinquennat qui débute, afin de ne pas en rester à l’état d’inventaire à la Prévert. @

« Nous couvrirons en très haut débit ou en fibre
l’ensemble du territoire d’ici la fin du quinquennat. »

An niveau européen
• Marché unique numérique « [Certains] prétendent rendre la France plus libre en sortant de l’Europe. Comme si nous avions plus de chances de peser seuls face à la Chine, à la Russie, aux Etats-Unis (mais aussi face à Google, Apple, Facebook et tous les géants du numérique) plutôt que rassemblés avec 500 millions d’Européens… (…) Nous agirons pour un marché unique du numérique en Europe, qui permettra aux entreprises innovantes de disposer des mêmes règles partout dans l’Union européenne. »
• Taxe européenne sur les acteurs du Net « Nous nous battrons, au niveau européen, pour une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans nos pays pour des prestations de service électronique. Cela éliminera ainsi les montages consistant
à rapatrier les profits dans des paradis fiscaux ».
• Fiscalité des GAFA « Rétablir une concurrence équitable avec les grands
acteurs numériques pour qu’ils payent leurs impôts comme tous les autres acteurs économiques et qu’ils soient soumis aux mêmes obligations, dans les pays où les œuvres sont diffusées ».
• Droits d’auteurs et lutte contre le piratage « Défendre résolument les droits d’auteur, aider les artistes et les éditeurs de contenu européens par la négociation encadrée d’accords sur leur rémunération, étendre les droits voisins aux éditeurs
de presse et renforcer l’action contre les sites pirates ».
• Une Agence européenne pour la confiance numérique « Nous renégocierons
avec les Etats-Unis le “Privacy Shield” [bouclier vie privée, ndlr], le cadre de protection des données, d’ici 2018, afin de garantir réellement la préservation des données personnelles de tous les Européens. Nous proposerons la mise en en place d’une Agence européenne pour la confiance numérique, chargée de réguler les grandes plateformes numériques pour garantir la protection des données personnelles et la loyauté de leur fonctionnement ».
• Fonds européen de capital-risque pour start-up « Nous agirons pour la mise en place d’un Fonds européen de financement en capital-risque pour accompagner la croissance des start-up européennes du numérique. Ce fonds devra être doté d’au moins 5 milliards d’euros ».
• Faire émerger un « Netflix européen »« Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes ».
• Un Pass Culture numérique européen « Généraliser le Pass Culture au niveau européen », sur le modèle du Pass Culture envisagé en France de 500 euros pour tous les jeunes de 18 ans (voir page 3). Il sera cofinancé par les distributeurs et les grandes plateformes numériques, qui bénéficieront du dispositif.
• Système d’information européen pour le renseignement « Nous proposerons d’établir un véritable système d’information européen pour faciliter les actions de renseignement : une base de données centralisée avec un échange obligatoire d’informations, accessible aux services de renseignement des différents Etats
membres ».

« Investir dans les industries créatives et
culturelles françaises en créant un fonds
d’investissement dédié de 200 millions d’euros. »

Aun niveau national
• L’e-administration et services publics « Nous passerons à la vitesse supérieure en ce qui concerne la numérisation de l’administration (dématérialisation des services publics). Tous les renouvellements de documents officiels (carte d’identité, passeport, carte grise, etc.) devront pouvoir se faire en ligne, sans nécessité de se déplacer. D’ici 2022, 100 % des démarches administratives pourront être effectuées depuis Internet
– sauf première délivrance des documents d’identité officiels ».
• Vers un « Etat plateforme » et un e-guichet unique « L’Etat doit devenir un “Etat plateforme”, qui s’appuie sur les contributions de la multitude des usagers pour améliorer les services existants ou en créer de nouveaux, plus simples, plus performants et mieux adaptés aux besoins. Nous créerons un compte citoyen en ligne (site et application), qui rassemblera sur une même interface tous les droits (santé, trajectoire professionnelle, formation, situation fiscale, droits civiques, …). Ce point d’entrée unique facilitera les relations avec l’administration, et permettra d’avoir plus facilement l’information ».
• Plateformes « Civic Tech » (démocratie permanente) « Le numérique participe
à l’exercice de la démocratie. Les plateformes de “Civic Tech” déploient des outils numériques pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Elles permettent
de passer de la “démocratie du vote” à la “démocratie permanente”. Elles peuvent notamment permettre aux citoyens de participer à la construction des lois, ou
d’évaluer en temps réel des politiques publiques. (…) Généraliser le vote électronique d’ici 2022 ».
• Banque de données numériques réutilisables « Nous créerons une banque de données numériques, dans le respect de la vie privée et du secret des affaires. Les administrations chargées d’autoriser des activités (l’ouverture d’un hôtel, ou l’obtention d’une licence de chauffeur privé, …) devront mettre à disposition leurs données. Face aux géants étrangers, des nouvelles start-up pourront ainsi s’adresser par exemple à tous les hôteliers pour leur offrir de nouveaux services ».
• Service public numérique de la justice « Nous créerons un service public numérique de la justice, avec portail unique d’accès (sur le modèle d’impots.gouv.fr). Les citoyens et leurs avocats y trouveront toutes les informations pratiques et la jurisprudence applicable à leur cas. Ils pourront se pourvoir en justice depuis leur ordinateur, transmettre une requête, des pièces, ou suivre leur dossier depuis leur smartphone. (…) Les procédures en matière pénale seront progressivement numérisées du début de l’enquête jusqu’au jugement définitif. (…) Nous permettrons notamment de dématérialiser toutes les procédures concernant des litiges inférieurs
à 4.000 euros ».
• Plateformes de règlement des litiges « Nous créerons une procédure simple, exclusivement numérique et rapide pour le règlement des litiges de la vie quotidienne. Elle concernera tous les litiges civils inférieurs à 4.000 euros. (…) Nous favoriserons la création de plateformes de règlement amiable des litiges qui, lorsqu’elles seront tenues par des professionnels associant avocats huissiers ou notaires, pourront conclure des accords ayant la force d’un jugement. (…) Nous permettrons l’accès à l’aide juridictionnelle en ligne ».
• Renforcer le (cyber)renseignement « Nous renforcerons la priorité en matière
de cyberdéfense et de cybersécurité. (…) Nous renforcerons les moyens des services de renseignement et des forces spéciales : effectifs, capacités informatiques cyber-renseignement, drones, satellites, etc. Nous donnerons la priorité au renseignement dans la prochaine loi de programmation militaire, qui sera préparée dès l’été 2017. Nous poursuivrons le développement de la cyber-défense initié récemment. (…) Veiller qu’après un signalement de contenus dangereux (lié au terrorisme), le retrait soit effectué sans délai (avec la coopération des plateformes, dans le respect du secret
des correspondances, sans obtenir les clés de chiffrement) ».
• A propos du fichier TES Le méga fichier des titres électroniques sécurisés (TES), qui réunit celui des cartes d’identité et celui des passeports, dont la création est autorisée par décret du 28 octobre 2016, reste controversé. Le Conseil national du numérique (CNNum) avait demandé son retrait, tandis qu’Emmanuel Macron a dénoncé « les graves lacunes en matière de gouvernance » et indiqué qu’il allait
« forcément devoir revenir sur l’authentification et l’identification numérique ».
• Infrastructure très haut débit « Nous couvrirons en très haut débit ou en fibre l’ensemble du territoire. Ce sera fait d’ici la fin du quinquennat, pour ne laisser aucun territoire à la traîne de la transition numérique. Les opérateurs téléphoniques doubleront la couverture mobile en zone rurale pour réduire les zones sans réseau (zones blanches). L’Etat soutiendra cette initiative en consentant des conditions économiques favorables sur les redevances d’utilisation des fréquences hertziennes. S’ils ne tiennent pas leurs objectifs, les opérateurs pourront être sanctionnés financièrement. ».
• Inclusion numérique « Nous porterons une stratégie d’inclusion à destination de ceux qui rencontrent des difficultés à utiliser le numérique en développant avec les associations et les collectivités, un réseau d’accompagnement sur le territoire qui proposera du temps de soutien et des formations aux outils et aux services numériques. (…) Handicap : nous investirons pour faciliter l’accessibilité numérique. Nous créerons une plateforme numérique collaborative pour généraliser des bonnes pratiques locales ».
• E-agriculture et portail des données agricoles « Nous soutiendrons l’innovation
et la recherche à travers plusieurs actions : fin des zones sans réseau téléphonique, développement du numérique et de l’agriculture de précision, mise en place d’un portail des données agricoles pour stimuler une innovation décentralisée, ouverte, collaborative au service des agriculteurs. Nous lancerons un plan de transformation agricole de 5 milliards d’euros sur cinq ans ».
• Coffre-fort numérique et cloud solidaire « Nous créerons un coffre-fort numérique et l’accès à un cloud solidaire permettant de conserver les documents d’identité numérisés, dont la gestion sera confiée à la Poste ».
• Supports numériques à l’école « Nous renforcerons l’individualisation des apprentissages en développant des supports numériques et des applications adaptées pour faire évoluer les pratiques pédagogiques ; les enseignants seront formés à cette fin ».
• Télé-médecine et e-santé « Le numérique permet aussi d’apporter des réponses aux déserts médicaux. Nous encouragerons le développement de la télémédecine et du numérique dans le domaine de la santé, afin de donner aux médecins la possibilité d’assurer un suivi à distance, par exemple pour un patient cardiaque via un objet connecté ou en accélérant une consultation chez un patient à risque. Ce sera un
axe majeur du grand plan d’investissement. Cela permettra, à terme, de faire des économies réelles. (…) Nous renforcerons le droit à l’oubli pour les personnes ayant
été malades ».
• Transformation numérique des TPE/PME « Nous aiderons les TPE et les
PME à réussir leur transformation numérique. Celles qui s’engageront dans des transformations ambitieuses exigeant de conduire sur une période de temps limitée
une requalification de leurs salariés bénéficieront d’un accès privilégié à la formation professionnelle. (…) Nous créerons un code du travail digital pour mieux accompagner les PME dans les décisions qu’elles prennent ».
• Innovation : droit à l’expérimentation « La réglementation en place ne devant pas constituer un frein à l’innovation, nous développerons le droit à l’expérimentation dans le respect des impératifs de sécurité, de protection du consommateur et de loyauté de la concurrence. Pour un temps limité et dans un cadre fixé par la loi, il sera possible de déroger aux dispositions en vigueur afin de tester de nouvelles solutions ».
• Un cadre fiscal adapté à l’innovation « Nous adopterons un cadre fiscal qui encourage l’investissement dans l’innovation, notamment en instaurant un prélèvement forfaitaire unique sur l’ensemble des revenus tirés du capital mobilier et en remplaçant l’ISF par un impôt sur la fortune immobilière ».
• CIR, CII et JEI « Nous garantirons stabilité et visibilité aux acteurs en matière fiscale. Nous sanctuariserons notamment le crédit impôt recherche (CIR), le crédit impôt innovation (CII) et le dispositif jeunes entreprises innovantes sur la durée du quinquennat, tout en poursuivant la simplification de la mécanique administrative
pour en bénéficier ».
• Stratégie nationale pour l’intelligence artificielle « Nous définirons une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle dont le développement va avoir de profonds impacts sur une série de secteurs. Les chercheurs français sont bien armés pour y jouer un rôle majeur. La première étape sera d’évaluer ses usages potentiels et ses enjeux pour le travail et l’emploi de demain ».
• Transparence sur l’usage des données privées « Nous développerons les instruments d’une transparence sur l’usage des données privées par les acteurs du numérique. Chacun pourra ainsi savoir ce que deviennent les données qu’il produit
en utilisant telle ou telle plateforme ».
• Pass Culture numérique pour les jeunes « Créer un Pass Culture de 500 euros pour tous les jeunes de 18 ans, qui leur permettra, via une application, d’accéder aux activités culturelles de leur choix : musée, théâtre, cinéma, concert, livres ou musique enregistrée. Il sera cofinancé par les distributeurs et les grandes plateformes numériques, qui bénéficieront du dispositif ».
• Lutte contre le piratage « Renforcer l’action contre les sites pirates » (maintien de l’Hadopi).
• Fonds d’investissement pour la création « Investir dans les industries créatives
et culturelles françaises en créant un fonds d’investissement dédié de 200 millions d’euros. Favoriser la diffusion du spectacle vivant notamment en multipliant les spectacles coproduits et adapter le soutien au cinéma et à l’audiovisuel aux nouveaux formats ».
• Protéger l’indépendance des médias « Créer un nouveau statut de l’entreprise
de presse, sur le modèle des trusts anglo-saxons [via une fondation] pour garantir l’indépendance éditoriale et journalistique ».
• Rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques « Nous renforcerons le secteur public de l’audiovisuel pour qu’il réponde aux attentes de tous les Français et accélère sa transformation numérique, en concentrant les moyens sur des chaînes moins nombreuses mais pleinement dédiées à leur mission de service public. Nous rapprochons les sociétés audiovisuelles publiques pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public ».
• Simplifier la réglementation audiovisuelle « Simplifier la réglementation audiovisuelle en matière de publicité, de financement et de diffusion, pour lever les freins à la croissance de la production et de la diffusion audiovisuelles et préparer
le basculement numérique, tout en préservant la diversité culturelle ». @

La loi « Macron », un avant-goût du chef de l’Etat
Après avoir tenté de « déverrouiller l’économie française » avec la loi « Macron »
sur « la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », promulguée le 6 août 2015, le chef de l’Etat « Macron » va-t-il réussir à « déverrouiller » la France ? S’il y est plus question du travail le dimanche, de professions réglementées, de transports ou encore d’ouverture du marché des autocars, cette loi ratifie notamment l’ordonnance
du 12 mars 2014 sur « l’économie numérique » (noms de domaines Internet de premier niveau, rétablissement du pouvoir de sanction de l’Arcep, fibre optique à usage professionnel), rend obligatoire le pré-raccordement des logements neufs et rénovés
au très haut débit, simplifie l’installation de la fibre dans les immeubles collectifs, instaure un statut de “zones fibrées” où l’extinction du réseau cuivre sera possible, prévoit l’extension des réseaux mobile jusque dans les centres-bourgs de communes non encore desservis, introduit le principe dit de « loyauté des plateformes » (dont le décret tarde), rend publiques en open data les données de transport et des retraites supplémentaires, régit les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation en ligne (Booking, Expedia, …). Alors ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, il a ensuite déposé en janvier 2016 une autre loi, dite « Macron 2 » sur
les « nouvelles opportunités économiques » (Noé). Mais cette loi ne dépassera pas
le stade de projet, le Premier ministre (alors Manuel Valls) lui infligeant un camouflet
– ou un désaveu, c’est selon – en annulant le texte . @