Pourquoi un lecteur multimédia permettant de regarder des films sur Internet peut être illégal

« La vente d’un lecteur multimédia qui permet de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, des films disponibles illégalement sur Internet peut constituer une violation du droit d’auteur », a estimé le 26 avril dernier la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Explications.

Edition Multimédi@ a constaté, en se connectant sur le site web Filmspeler.nl, qu’il ne fonctionnait plus et avertissait l’internaute avec le message suivant (en néerlandais dans le texte) : « Notez : durant les quelques dernières années, nous vous avons fait acheter un lecteur de films. Avec ce dispositif [lecteur multimédia, ndlr], vous pouvez – gratuitement – voir un grand nombre de films (récents),
des séries TV et des chaînes de télévision. Le 26 avril 2017, la Cour de justice européenne a jugé qu’il n’était pas permis de mettre la vente ce type de dispositif. Elle a aussi décidé que permettre aux utilisateurs d’accéder à des sources illégales de contenus était contraire à la loi ».

Boîtier, liens hypertextes et streaming
Et l’avertissement sur Filmspeler.nl de conclure : « Le flux continu [streaming, ndlr] de
la source illégale est en violation des droits d’auteur sur des longs métrages récents et des séries télé, ce qui est nuisible pour les ayants droits. Nous voudrions indiquer que la vente et l’utilisation de ce lecteur multimédia de films (et des dispositifs semblables) sont illégaux si le flux continu de la source est illégal ». Il appartient maintenant à la justice néerlandaise de prononcer la décision finale dans le litige qui oppose la fondation Stichting Brein, qui défend les intérêts des titulaires du droit d’auteur, à
Jack Frederik Wullems, lequel vend un lecteur multimédia permettant d’avoir librement accès à des oeuvres audiovisuelles protégées pour certaines par le droit d’auteur sans l’autorisation des premiers. Ce boîtier TV, baptisé Filmspeler et vendu jusqu’alors sur, entre autres, via le site web Filmspeler.nl, se présente comme un périphérique servant d’intermédiaire entre, d’une part, une source de données audiovisuelle et, d’autre part, un écran de télévision. Cet appareil permet notamment de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, des contenus audiovisuels – dont des films – disponibles sur Internet. Et ce, sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur. Ce lecteur multimédia est équipé d’un logiciel open source, qui permet de lire des fichiers et des modules complémentaires disponibles sur Internet, conçus par des tiers, « dont certains renvoient spécifiquement à des sites Internet sur lesquels des œuvres protégées sont mises à la disposition des internautes sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ». Dans son arrêt du 26 avril dernier (1), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), présidée par Koen Lenaerts (photo), faisant fonction de juge dans cette affaire, constate que les modules en question contiennent des liens hypertextes qui, lorsqu’ils sont activés au moyen de la télécommande du lecteur multimédia, renvoient à des sites Internet de diffusion en flux continu (streaming) exploités par des tiers, « dont certains donnent accès à des contenus numériques avec l’autorisation des titulaires du droit d’auteur, tandis que d’autres donnent accès à de tels contenus sans l’autorisation de ceux-ci ». En particulier, relève la CJUE, les modules complémentaires ont pour fonction de puiser les contenus désirés sur les sites de diffusion en streaming et de les faire démarrer, d’un simple clic, sur le lecteur multimédia connecté à un écran de télévision. A l’instar de l’avocat général, la Cour affirme que Jack Frederik Wullems procède, « en pleine connaissance des conséquences de son comportement », à la préinstallation – sur le lecteur multimédia Filmspeler qu’il commercialise – de modules complémentaires qui permettent spécifiquement aux acquéreurs d’avoir accès aux œuvres protégées publiées sur des sites de streaming sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur. Ce boîtier TV offre ainsi à ces utilisateurs la possibilité de visualiser ces œuvres sur leur écran de télévision. « Cette opération permet d’établir la liaison directe entre les sites Internet diffusant les œuvres contrefaites et les acquéreurs dudit lecteur multimédia, sans laquelle ces derniers ne pourraient que difficilement bénéficier des œuvres protégées. Une telle activité ne se confond pas avec la simple fourniture d’installations physiques », explique la CJUE. De plus, la fourniture d’un tel lecteur multimédia doit être considérée comme un acte de communication au public (2) pour peu que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un public (3).

Communication au public et droit d’auteur
Or il est constaté que le lecteur multimédia Filmspeler a été acheté par un nombre
« assez considérable » de personnes qui disposent d’une connexion Internet. « Ces personnes peuvent accéder aux œuvres protégées parallèlement, dans le cadre de la diffusion en flux continu des œuvres en cause sur Internet. Ainsi, cette communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique un nombre important de personnes » (4) La CJUE fait en outre référence à son récent arrêt « GS Media » du 8 septembre 2016, lequel confirme l’importance d’une autorisation du titulaire du droit d’auteur d’œuvres protégées qui ont été rendues librement disponibles sur un site Internet (5).

Reproduction temporaire : exception ?
Cette disposition prévoit en effet précisément que chaque acte de communication d’une oeuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur (6). Autrement dit, souligne la Cour, « le placement, sur un site Internet, de liens hypertextes vers une oeuvre protégée qui a été rendue librement disponible sur un autre site Internet, avec l’autorisation des titulaires du droit d’auteur de cette oeuvre, ne saurait être qualifié de “communication au public” ». La CJUE indique aussi que, lorsque le placement de liens hypertextes est effectué dans un but lucratif, « il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’oeuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertextes, de telle sorte qu’il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite oeuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur Internet par le titulaire du droit d’auteur ».
Dans le cas de Filmspeler, son fournisseur est pleinement conscient de la situation
et de l’absence d’accord avec les ayants droits. Et les modules complémentaires contenant des liens hypertextes préinstallés sur le lecteur multimédia donnent effectivement accès à des œuvres illégalement publiées sur Internet. « Les publicités relatives à ce lecteur multimédia mentionnent spécifiquement que celui-ci permet notamment de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, du matériel audiovisuel disponible sur Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur », pointe du doigt à deux reprises l’arrêt. Et d’enfoncer le clou : « La fourniture dudit lecteur multimédia est réalisée dans le but d’en retirer un bénéfice, le prix acquitté pour ce même lecteur multimédia étant versé notamment pour obtenir un accès direct aux œuvres protégées, disponibles sur des sites de diffusion en flux continu sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ». Pour sa défense, Jack Frederik Wullems a fait valoir que la diffusion en streaming d’œuvres protégées par le droit d’auteur en provenance d’une source illicite relève de l’exception au droit d’auteur « énoncée à l’article 13a de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur » et « interprété à la lumière de l’article 5 paragraphe 1 de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur ». Cet article inclut dans les exceptions au droit de reproduction les « actes de reproduction provisoires […], qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre […] une utilisation licite d’une oeuvre ou d’un objet protégé […] ». Mais la CJUE ne l’a pas entendu de cette oreille et a jugé également que les actes de reproduction temporaire sur ce lecteur multimédia – d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur obtenue par
« streaming » sur un site Internet appartenant à un tiers proposant cette oeuvre sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur – ne sont pas exemptés du droit de reproduction.
Selon la directive (7), un acte de reproduction n’est exempté du droit de reproduction que s’il remplit cinq conditions, à savoir lorsque : cet acte est provisoire ; il est transitoire ou accessoire ; il constitue une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique ; l’unique finalité de ce procédé est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une oeuvre ou d’un objet protégé ; cet acte n’a pas de signification économique indépendante. « Ces cinq conditions sont cumulatives en ce sens que le non-respect d’une seule d’entre elles a pour conséquence que l’acte de reproduction n’est pas exempté. En outre, l’exemption n’est applicable que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou d’un autre objet protégé et qui ne causent pas
de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit », rappelle la Cour. La reproduction temporaire sur ce lecteur multimédia d’un film protégé par le droit d’auteur n’est donc pas exemptée du droit de reproduction. @

Charles de Laubier

ZOOM

La CJUE a aussi BitTorrent en ligne de mire
Décidément, les Pays-Bas sont à l’avant-garde de la lutte contre le streaming illicite. Cette fois, la justice néerlandaise – saisie là encore par la fondation Stichting Brein contre deux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) néerlandais, Ziggo et XS4All – a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) si les sites web de peer-to-peer de type The Pirate Bay proposant des fichiers BitTorrent sont illégaux lorsqu’ils enfreignent le droit d’auteur.
Le 8 février dernier, l’avocat général a répondu par l’affirmative dans ses conclusions (8) que la Cour devrait suivre dans son prochain arrêt : « Le fait pour l’opérateur d’un site Internet de permettre, en les indexant et en fournissant un moteur de recherche,
de retrouver des fichiers contenant des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont proposés aux fins de partage dans un réseau peer-to-peer, constitue une communication au public (…), si cet opérateur avait connaissance du fait qu’une oeuvre était mise à disposition sur le réseau sans le consentement des titulaires des droits d’auteur et n’a pas réagi afin de rendre l’accès à cette oeuvre impossible ». A suivre. @