Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

Fleur Pellerin portrait« Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine [LCAP, ndlr] sera présenté au premier trimestre 2015 en conseil des ministres », a promis à nouveau Fleur Pellerin (photo), ministre de la Culture et de la Communication, le 26 novembre dernier. Elle avait déjà eu l’occasion de le dire le 14 octobre, au cours de son audition par la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait l’objet de réunions interministérielles qui vont se poursuivre début 2015. Le gouvernement a encore jusqu’au 25 mars 2015, date du dernier conseil des ministres du premier trimestre, pour affiner un avant-projet de loi. Aucun texte ne circulait et n’était encore soumis à discussion au moment où nous avons publié cet article le 15 décembre dernier (une version accessible ici a été rendue publique depuis).

Vaste loi « Liberté de création, etc. » sans l’Hadopi
Promis depuis deux ans et demi, depuis que François Hollande est président de la République, le projet de loi « Création » s’est transformé au fil du temps en projet de loi à trois volets : « Liberté de création, architecture et patrimoine ». « Ce qui montre que je ne m’intéresse pas qu’à l’audiovisuel et au numérique ! », avait justifié Fleur Pellerin, comme pour rassurer le monde de la culture que ses fonctions passées de ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique (juin 2012-avril 2014) ne l’ont pas rendue « tout-numérique ».
Ce projet de loi fera-t-il pour autant l’impasse sur le numérique ? Alors que le transfert des compétences de l’Hadopi (1) vers le CSA (2) devait être inscrit dans le projet de loi « Création » sans lendemain d’Aurélie Filippetti, cette mesure est désormais oubliée par sa successeur Fleur Pellerin. D’autant que le budget de l’Hadopi pour 2015 a d’ores
et déjà été fixé par « Liberté de Création » du futur projet de loi prévoira des mesures
« numériques », notamment en faveur des artistes et interprètes qui revendiquent une meilleure rémunération dans la musique en ligne (streaming en tête). Fera-t-elle aussi la part belle aux exceptions aux droits d’auteurs ? « Nous devons travailler sur les demandes d’exception, comme (…) sur l’”exploration des données” (text and data mining)et sur les œuvres transformatives », a déclaré Fleur Pellerin le 18 novembre devant le CSPLA (3) qui dépend de son ministère, en faisant référence au mashup,
à l’hackathon ou encore à la création par hybridation numérique.

Chartes et listes noires antipiratages
Mais le sujet le plus sensible pour la ministre de la Culture et de la Communication sera le renforcement de la lutte contre le piratage sur Internet que les industries culturelles de la musique et du cinéma disent en constante augmentation. Ralliée à l’approche de « droit souple » adoptée par Mireille Imbert-Quaretta (MIQ) dans son rapport sur la lutte contre la contrefaçon en ligne, Fleur Pellerin préfèrerait favoriser l’autorégulation plutôt que d’avoir à légiférer dans un domaine aussi sensible. La loi « Liberté de création » ne devrait donc pas compléter la réponse graduée, sauf peut-être en renforçant la coopération entre l’Hadopi et les services de l’Etat.
Le premier outil que préconise le rapport MIQ consiste à faire signer aux acteurs du
Net concernés « des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ». Selon nos informations, l’élaboration de deux chartes de bonne conduite (publicité et paiement en ligne) vient de commencer dans le cadre de discussions menées à un niveau interministériel : ministère de la Culture et de la Communication, ministère de la Justice, ministère de l’Intérieur. Le Syndicat des régies Internet (SRI)
est le plus avancé en la matière car elle dispose déjà d’une « charte de qualité » qui prévoit, depuis 2013, que ses membres (Yahoo, Microsoft, Dailymotion, Orange, Lagardère Active, HiMedia, …) s’engagent à « empêcher la diffusion de messages publicitaires sur les sites coupables de manquements répétés aux droits de propriété intellectuelle ». Une troisième charte est envisagée pour les moteurs de recherche et les hébergeurs.
Le deuxième outil « antipiratage » proposé par le rapport MIQ, et que Fleur Pellerin a déjà fait sien, consiste en « une information publique sur les sites Internet qui portent massivement atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins ». En d’autres termes, il s’agit d’une « liste noire » portée à la connaissance non seulement de tous les intermédiaires techniques de l’Internet mais aussi des internautes et mobinautes eux-mêmes. Selon Mireille Imbert- Quaretta, qui est aussi la président de la commission
de protection des droits (CPD), le bras armé de l’Hadopi dans la réponse graduée,
cette blacklist permettrait de « renseigner le public, qui s’interroge parfois sur la licéité d’un site en particulier ». Tous les acteurs numériques intervenant dans l’écosystème en ligne (opérateurs télécoms, FAI, moteurs de recherche, régies et serveurs de publicités en ligne, système de e-paiement, …) devront prendre connaissance de
cette liste noire et prendre eux-mêmes les mesures qui s’imposent pour lutter contre
le piratage en ligne. « Beaucoup des propos du rapport [MIQ] me paraissent très intéressants et l’Hadopi pourra mettre certaines de ses propositions en oeuvre :
je suis en train de voir celles qui exigent des aménagements législatifs ou requièrent
un dialogue avec le ministère de la justice. L’établissement et la publication de listes noires me paraissent par exemple entrer dans le cadre des compétences de l’Hadopi », a expliqué Fleur Pellerin devant les députés le 14 octobre. Les acteurs de la publicité et du paiement en ligne se sont dits favorables à cette démarche d’autorégulation pour lutter contre la contrefaçon commerciale en ligne.
Il s’agit, dans le cadre de la directive « Commerce électronique » (4) de 2000,
d’« assécher » les ressources des sites web dits « massivement contrefaisants »
selon une approche dite « follow the money ». Mais avant de « frapper au portefeuille », les acteurs du Net demandent à ce qu’il y ait « l’intervention de l’autorité publique qui constaterait, notamment à partir d’informations fournies par les ayants droit, les atteintes et qui rendrait ses constatations publiques ». D’où l’instauration de listes noires officialisée par une autorité publique qui devrait être l’Hadopi. C’est ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis, où une « Notorious Markets List » (5) recense les sites web de contrefaçon ou de violation de droits d’auteur.
Sans légiférer, Fleur Pellerin pourrait ainsi contourner la loi « LCEN » (6), promulguée
il y a dix ans (7), laquelle prévoit une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, conformément à l’article
14 de la directive « Commerce électronique », ils sont tenus les retirer promptement.

Impliquer les intermédiaires du Net
Bien que les hébergeurs ne puissent pas être soumis à « une obligation générale de surveiller les informations » (8), ils peuvent quand même être soumis à des obligations spécifiques dès lors qu’il y a « une violation ». C’est cette brèche législative que va exploiter Fleur Pellerin pour impliquer tous les intermédiaires dans la lutte contre le piratage sur Internet. Et ce, dès 2015. Nul acteur du Net ne sera censé ignorer la liste noire ou dire qu’il ne savait pas. Mais cette publicité sur les sites web proposant musiques et films (voire livres) piratés ne risquera-t-elle pas de tenter de nouveaux internautes prêts à braver les interdits ? L’avenir nous le dira. @