Zero-rating ou « trafic gratuit » : les opérateurs mobiles n’ont pas le droit de favoriser des applications

Le « zero-rating » pratiqué depuis des années par certains opérateurs mobiles, pour discriminer les applications, est illégal. C’est ce que proclame la justice européenne dans un arrêt du 15 septembre 2020, qui invalide ce « tarif nul » contraire à la neutralité du Net.

Le groupe de Mark Zuckerberg profite pleinement du zero-rating pour ses applications mobile Facebook, Messenger, Instagram et WhatsApp. Mais aussi Twitter et Viber dans la catégorie réseaux sociaux et messageries instantanées. Les applications de streaming sur smartphone en raffolent aussi, parmi lesquelles Apple Music, Deezer, Spotify ou encore Tidal. Tous ces acteurs du Net bénéficient d’un traitement de faveur dans le cadre d’un accord de « partenariat » avec certains opérateurs mobiles dans le monde.

La pratique « trafic gratuit » a dix ans
Le problème est que ces contenus « partenaires » ne sont pas décomptés du forfait de données mobile proposés par les opérateurs mobiles concernés, tels que l’opérateur télécoms norvégien Telenor qui a été épinglé en Hongrie pour ces pratiques par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt rendu le 15 septembre (1) (*) (**). Autrement dit, si ces applications-là sont gratuites même lorsque le forfait de données mobile est épuisé, les autres applications concurrentes restent, elles, bien payantes. En conséquence, avec le zero-rating, les données téléchargées par certaines applications ou services ne sont pas comptabilisées dans l’abonnement mobile de l’utilisateur, favorisant ainsi certains éditeurs au détriment d’autres. Ce favoritisme applicatif est connu depuis près de dix ans, mais les régulateurs n’ont rien fait.
Les opérateurs télécoms et les acteurs du Net ont commencé à proposer du zero-rating dans des pays émergents au prétexte de lutter contre la fracture numérique. C’est en partant avec de bonnes intentions que la cyberencyclopédie mondiale Wikipedia a été proposée dès 2012 dans une offre « zéro » afin d’en donner gratuitement l’accès au plus grand nombre de détenteurs de forfaits mobiles. Avec « free basics », Facebook avait lancé début 2016 pour les populations démunies en Inde un bouquet de services web de type « all-inclusive » comprenant sans supplément Wikipedia, là encore, la BBC et le moteur de recherche Bing de Microsoft. Il fallait faire partie de ces quelques applications et sites web triés sur le volet pour être accessible, sinon les autres contenus n’étaient pas disponibles ou en options payantes. Mais le deuxième pays le plus peuplé de la planète ne l’a pas entendu de cette oreille : le gendarme indien des télécoms n’avait pas apprécié cette discrimination violant délibérément la neutralité de l’Internet. En février 2016, le gouvernement de New Delhi a interdit au réseau social américain et à tout fournisseur d’accès à Internet présents sur le sous-continent indien de pratiquer des tarifs différenciés en fonction des services et contenus offerts. La France n’a pas échappé à cet appel du « trafic gratuit » (2) – traduction proposée début 2020 par la Commission d’enrichissement de la langue française – mais sans trop s’y aventurer. Jusqu’en octobre 2014, Orange le pratiquait avec la plateforme française de musique en ligne Deezer, dont l’opérateur historique est actionnaire minoritaire (3), le streaming étant alors compris dans certains de ses forfaits mobiles (4). Si les opérateurs mobiles français n’ont pas été vraiment « zéros », c’est notamment parce que l’Autorité de la concurrence les mettait sous surveillance. « Le débat autour de l’interdiction du zero-rating consiste à étendre le principe de neutralité des réseaux, qui porte sur la qualité d’acheminement du trafic, en lui adjoignant un principe de neutralité commerciale envers le consommateur final », avait déclaré en 2016 son président d’alors, Bruno Lasserre, dans Le Monde (5). L’association de consommateurs UFCQue choisir avait clairement exprimé son hostilité envers le « trafic gratuit » : « Nous sommes réticents à la sacralisation du zero-ratingqui, par définition, pousse les consommateurs de smartphones à s’orienter vers un service – généralement le leader capable de payer le plus – au détriment de ses concurrents, au risque de les faire disparaître », avait mis en garde Antoine Autier, devenu son responsable adjoint du service des études.

L’Orece n’avait rien trouvé à redire
Bien que le règlement européen « Internet ouvert » – alias neutralité de l’Internet – ait été adopté par les eurodéputés le 25 novembre 2015 (entré en vigueur le 30 avril 2016), le zero-rating a continué de prospérer dans les Vingt-huit (aujourd’hui Vingt-sept). Telenor en Hongrie, avec ses deux offres groupées « MyChat » et « MyMusic », est un exemple parmi d’autres. L’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece, en anglais Berec) a, lui, été attentiste dans son approche. A l’issue d’une consultation publique menée sur le sujet il y a quatre ans, il n’avait pas jugé bon de proposer d’interdire le zero-rating. C’est même tout juste s’il ne l’encourageait pas, préférant regarder « au cas par cas » (6). @

Charles de Laubier