Box : les « services associés » que les chaînes font désormais payer aux opérateurs télécoms

En vantant les « services à valeur ajoutée » tels que le replay, le start-over, le cast, le second écran ou encore l’ultra-haute définition (4K), les chaînes de télévision ont trouvé le moyen de faire payer les opérateurs télécoms qui souhaitent reprendre sur leurs « box » ces « services associés » ou « services complémentaires ».

SFR, Bouygues Telecom, Orange et Free doivent désormais mettre la main au portefeuille s’ils veulent que leurs abonnés bénéficient des servies à valeur ajoutée proposés par les chaînes de télévision. TF1 estime, par la voix de son PDG Gilles Pélisson (photo), avoir « contribué à faire bouger les lignes en France dans l’univers de la télévision en clair ». La filiale audiovisuelle de Bouygues a signé dès novembre 2017 puis en 2018 un accord de distribution avec respectivement Altice (SFR), après des mois de différends avec ce dernier (interruption de MyTF1), et Bouygues Telecom (société soeur de TF1).

« TF1 Premium » a montré la voie dès 2017
Fin 2018, ce fut au tour du diffuseur Canal+ de signer avec TF1 – clôturant divers contentieux entre les deux groupes. L’offre « TF1 Premium » inclut les cinq chaînes en clair TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI, dont les coûts de transport sont dans ce cas pris en charge par le groupe TF1, ainsi que le service MyTF1. Pour M6, les accords de distribution des chaînes et de leurs services associés ont tous été renouvelés en 2018 auprès de Altice (SFR), Bouygues Telecom, Free, Canal+ et Orange, avec « l’obtention de la part des distributeurs d’un partage de la valeur liée à la présence de M6, W9 et 6ter dans leurs offres de télévision ». Dernier bras de fer en date : le groupe Altice a finalement enterré la hache de guerre le 10 septembre avec Free pour trouver un terrain d’entente pour ne lui faire payer que les fameux « services associés » de ses chaînes (BFMTV, RMC Découverte et RMC Story).
Quelques jours auparavant, Altice s’était mis d’accord sur les mêmes bases avec Orange : pas de rémunération pour les chaînes linéaires, mais rétribution pour les services à valeur ajoutée. La décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) datée du 31 juillet 2019 et parue le 2 août dernier au Journal Officiel a eu le mérite de remettre les pendules à l’heure (voir encadré page suivante). Par ailleurs, les chaînes peuvent proposer des services d’« interactivité » où le téléspectateur a la possibilité de jouer ou de voter lors des émissions diffusées sur l’antenne de la chaîne (comme le propose TF1). « Le chiffre d’affaires perçu est comptabilisé au réel en brut en fonction des appels reçus et les commissions facturées par les opérateurs téléphoniques sont enregistrées en charges, le groupe ayant la maîtrise de la programmation des créneaux “interactivité” », indique TF1 dans son dernier rapport annuel. De son côté, M6 ouvre la voie à des négociations avec les FAI pour développer des solutions de « publicités adressées », c’està- dire des publicités télévisées géolocalisées et plus ciblées. Quant aux chaînes thématiques, elles font l’objet d’une rémunération par les opérateurs du câble et du satellite qui les diffusent, calculée sur la base d’un prix par abonné ou sous la forme d’un forfait annuel facturé à un opérateur.

• Replay enrichi ou étendu. La télévision de rattrapage est probablement le service associé des chaînes le plus utilisé par les abonnés des « box ». Appelé aussi Catch up TV, le replay est apparu il y a plus de dix ans. Ce service audiovisuel permet de regarder un programme en différé, après sa diffusion à l’antenne (diffusion linéaire), soit parce que l’utilisateur l’a manqué, soit il veut tout simplement le revoir. Les chaînes ont obtenu il y a quelques années le droit de diffuser en replay des programmes audiovisuels, jusqu’à sept jours après leur diffusion à l’antenne et sans surcoût ni royalties. Au-delà de ces sept jours, les producteurs audiovisuels négocient des droits supplémentaires pour étendre le replay à trente jours par exemple, ou plus. C’est le « replay enrichi » que proposent les chaînes, à l’instar de « TF1 Premium », aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour leur « box ».

• Start-over. C’est le retour en arrière sans pour autant avoir enregistré le programme, lorsque par exemple le téléspectateur et/ou l’internaute a manqué le début de ce programme ou d’une émission en cours. C’est France Télévisions qui avait été le premier à lancer ce type de service en juillet 2012, avec « Salto » qui était alors une fonctionnalité développée par TDF pour la TV connectée. Relancer un programme en cours de diffusion linéaire, soit parce qu’on a manqué le début, soit pour revoir à nouveau le début. Sur la SFR box, par exemple, ce service s’appelle « Restart ». Chez Bouygues Telecom, il s’agit de l’offre « Lire du début » lancé en mai 2019. Canal+ a la fonction « Revoir ».

• Cast. Il s’agit de la possibilité de diffuser les programmes audiovisuels sur l’écran de TV à partir d’un smartphone ou d’une tablette. C’est par exemple prévu dans l’accord signé au printemps 2018 entre M6 et Free concernant la distribution – leurs services non linéaires et fonctionnalités associés – les chaînes M6, W9, 6ter, Paris Première, Téva et M6 Music. L’abonné peut ainsi « caster » ses chaînes préférées vers sa box afin de les visionner sur son téléviseur, comme il peut d’ailleurs le faire pour d’autres de ses contenus. La box fait office de mediacenter. Cette fonctionnalité est permise par le standard DLNA (de la Digital Living Network Alliance).

• 2e écran, ou multi-écrans. Cela consiste à rendre disponible les services – chaînes et services associés – sur des écrans mobiles, smartphones ou tablettes. Cette offre commence par le « second écran ». A noter que, d’après Médiamétrie, le nombre d’écrans par foyer en France est actuellement de 5,9 écrans. Chez Bouygues Telecom, par exemple, il y a l’option payant dite « Multi-TV » qui permet d’avoir un deuxième décodeur TV Bbox pour le brancher sur une seconde télévision. Mais l’on ne peut bénéficier que d’un seul décodeur TV supplémentaire par ligne. En tout cas, les chaînes veulent garder le contrôle de ce multi-tasking avec le « 2e écran » pour que la mesure d’audience de la chaîne ne soit perturbée.

4K. L’ultra-haute définition (UHD) est un atout supplémentaire à faire valoir de la part des chaînes aux FAI pour une bien meilleure qualité d’image. L’ultra-HD en mode 4K est, en théorie, du 4.000 pixels, soit 3.840 x 2.160. Le rendu des images atteint un niveau de détail quatre fois supérieur à celui de la « Full HD ». Les « box » supportant la 4K sont dotées de puissantes puces et sont compatibles avec la norme de compression HEVC (H.265) pour un codage des flux optimisé. La connectique HDMI est particulièrement adaptée à la 4K. Par exemple, Free a lancé sa Freebox mini 4K en 2015, puis en 2018 la Freebox Delta et la Freebox One compatibles 4K. Le nombre chaîne en 4K reste encore très limité. Bouygues Telecom en propose par exemple deux et uniquement avec la fibre : Festival 4K et Ultra Nature.

• nPVR. C’est le magnétoscope numérique personnel dit « nPVR » pour Network Personal Video Recorder. Pour les chaînes qui autorisent cette fonction d’enregistrement sur le disque dur de la box ou, de plus en plus, dans le cloud, il s’agit d’un service à valeur ajoutée à monétiser auprès des FAI. Cette fonction est par exemple proposée dans le cadre de l’accord entre M6 et Free. Par exemple, les « box » de SFR ne sont plus dotées de disques durs depuis le printemps dernier. Pour la filiale d’Altice, tout se passe dans le Cloud TV qui permet aux abonnés de regarder leurs enregistrements sur n’importe quel terminal connecté à Internet. Depuis le 1er août 2018, les services de magnétoscope numérique sont assujettis à la taxe « copie privée » payée par le consommateur.

• Avant-premières. L’idée est de donner aux abonnés du FAI des programmes de la chaîne en avant-première, avant leurs diffusions à l’antenne. L’accord entre M6 et Free le prévoit. Autre exemple : le service « TF1 Premium » propose des épisodes de fictions en avant-première. Le nouvel accord entre Altice (BFMTV, RMC Découverte et RMC Story) et Iliad (Free) comprend aussi la livraison de programmes en avant-première.

• Nouvelle chaîne. Il s’agit là de créer une sorte de « nouvelle chaîne », avec une période d’exclusivité éventuelle, reprenant les programmes de la chaîne en question avec un décalage d’une heure. Ce fut le cas pour SFR qui a bénéficié d’une exclusivité de distribution pendant six mois en 2018 de la nouvelle chaîne « TF1+1 ».

• Lecture automatique. La fonctionnalité de lecture automatique sur certains services replay de chaînes consiste, sur le même modèle que Netflix, à démarrer automatiquement – après quelques secondes de compte à rebours – la lecture de l’épisode suivant dans la série que l’utilisateur regarde. C’est un confort lorsqu’il regarde plusieurs épisodes à la suite, voire en cas de… binge-watching ! @

Charles de Laubier

ZOOM

Ce que dit au juste le CSA sur les « services associés »
Dans sa décision du 31 juillet 2019 sur le différend opposant les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV (groupe NextRadioTV/Altice) à la société Free (groupe Iliad), le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a donné plusieurs indications à propos des « services associés » des chaînes de télévision. Le régulateur considère que « les chaînes et leurs services associés contribuent significativement à la qualité et la diversité des programmes », mais qu’un fournisseur d’accès à Internet (FAI) « dispose d’une totale liberté contractuelle quant à la reprise de services associés, et le CSA ne dispose d’aucun pouvoir pour la contraindre à acheter de tels services ». Reste à démontrer que la reprise de leurs services associés — à commencer par la télévision à la demande (VOD et replay) — créerait pour les chaînes de télévision « une véritable valeur ajoutée, justifiant la rémunération qu’elles sollicitent ».
Dans sa décision publiée au Journal Officiel du 2 août dernier (1), le CSA estime qu’« aucune disposition, notamment issue de la loi du 30 septembre 1986, n’oblige [un FAI] à mettre à la disposition du public, par un réseau n’utilisant pas des fréquences assignées par [le régulateur], les services linéaires et les services associés des [chaînes de télévision] ». A l’issue de sa délibération et après différentes considérations au sujet du différend « NextRadioTV/Free », le CSA conclut : « Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de procéder aux mesures d’instruction demandées, que les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV ne sont pas fondées à demander au [régulateur] qu’il enjoigne à la société Free d’accepter leur offre commerciale et de conclure de bonne foi le contrat qui lui a été proposé ou de leur adresser une offre de contrat pour la distribution des chaînes et de leurs services associés ». Dont acte. @