Fake news et délit de fausse nouvelle : la loi doit s’arrêter là où commencent les libertés

Les « fake news » ne datent pas d’hier ni le délit de fausse nouvelle. Mais Internet et les réseaux sociaux ont relancé les débats sur la lutte contre la « désinformation ». Or légiférer sans censurer relève d’une mission impossible, si l’on ne veut pas déstabiliser les fondements de
la démocratie.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

En anglais, fake signifie « faux » (ou « truqué »). Il s’agit donc de « fausses informations » ou, plus précisément, d’informations délibérément fausses dont la diffusion vise à induire en erreur. Cette stratégie de désinformation du public a été largement évoquée dans les médias, notamment à l’occasion des dernières élections présidentielles aux Etats-Unis comme en France.

Mensonges, calomnies, tromperies, …
Il a en effet été beaucoup question de « faux comptes russes » de publicités sur Facebook dont l’objectif étaient de véhiculer des fausses informations sur des sujets sensibles au moment de la campagne présidentielle de Donald Trump, ou encore de fausses nouvelles véhiculées sur les réseaux sociaux durant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Le sujet
a également été évoqué lors de la campagne du Brexit ou encore du référendum en Catalogne. Actuellement, si aucun texte de droit commun
ne prévoit de réprimer la diffusion de fausses nouvelles, plusieurs textes spéciaux visent le délit de fausse nouvelle. L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les articles L.97, L.114 et L.117 du Code électoral, les article L.465-3-1 à L465- 3-3 du Code monétaire et financier ainsi que l’article L.443- 2 du Code de commerce sont autant de textes qui, bien qu’applicables dans des domaines spécifiques, renvoient tous à la notion de « fausse nouvelle » et présentent plusieurs traits communs : ils
ne posent aucune condition relative à l’auteur de la fausse nouvelle ; afin qu’une infraction puisse être qualifiée, ils exigent que la fausse nouvelle
ait fait l’objet d’une publication, une diffusion ou une reproduction ; enfin, ils emploient des termes tels que « informations mensongères », « bruits calomnieux », « nouvelles trompeuses ou destinées à tromper ».
Cependant, ces textes peuvent être difficiles à mettre en oeuvre, à l’instar
de l’article 27 précité de la loi de 1881 qui sanctionne d’une amende de 45.000 euros le fait d’avoir publié ou d’avoir relayé des informations créées et diffusées volontairement pour tromper le public. En effet, le texte prévoit que la « publication, la diffusion ou la reproduction » a été faite de
« mauvaise foi » et qu’elle est de nature à troubler la paix publique. Ces deux conditions constituent des obstacles importants pour contrer l’auteur de l’infraction qui ne manquera pas de faire valoir qu’il ne savait pas qu’il s’agissait d’une « fake news ». Quant aux hébergeurs, s’ils bénéficient d’un régime d’« irresponsabilité sauf », ils restent tenus de concourir à la lutte contre certaines infractions et, à ce titre, ils doivent mettre en place un dispositif de signalement. Mais cette obligation est circonscrite à des contenus qui relèvent de certaines catégories : l’apologie de crimes contre l’humanité, la provocation à la commission d’actes de terrorisme et de leur apologie, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard des personnes
en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, ainsi que la pornographie enfantine, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, des atteintes à la dignité humaine. Le dispositif existant n’apparait donc pas adapté aux
« fake news ».
Devant l’ampleur du phénomène, certains acteurs du Web ont pris des initiatives telles que la mise en place d’outils de vérification de contenus,
à l’exemple de l’option proposée par Facebook aux internautes pour leur permettre de qualifier certains contenus comme de « fausses informations», ou encore ont rejoint le consortium Trust Project (1) qui réunit de grands éditeurs de presse pour lutter ensemble contre les « fake news ».

Du texte « Goulet » de 2017 …
Parallèlement, le constat de l’insuffisance du dispositif légal a conduit à plusieurs propositions de lois, notamment celle qui a été soumise par sénatrice Nathalie Goulet le 22 mars 2017 visant à sanctionner les personnes qui mettent à la disposition du public des contenus sans vérifier les sources. Ce texte (2) présumait que « l’éditeur, le diffuseur, le reproducteur, le moteur de recherche ou le réseau social ayant maintenu
à la disposition du public des nouvelles fausses non accompagnées des réserves nécessaires pendant plus de trois jours à compter de la réception du signalement de leur caractère faux » étaient de mauvaise foi. Certes, ils pouvaient rétablir leur bonne foi en démontrant qu’ils avaient fait des
« démarches suffisantes et proportionnelles aux moyens » dont ils avaient disposé pour vérifier le contenu litigieux. Le texte a déclenché une série
de critiques, la principale consistant à dénoncer la difficulté à délimiter la frontière entre la « fake news » et la liberté d’expression, la liberté d’opinion ou encore la liberté de la presse. Il en résultait un risque non négligeable d’atteinte à un droit fondamental et constitutionnel. Aucune suite n’a été donnée à cette proposition jusqu’en janvier 2018, date à laquelle le président de la République – à l’occasion de ses voeux à la presse (3) – a annoncé sa volonté de réguler la publication de contenus sur Internet au cours des périodes électorales.

… au texte « Macron » de 2018
Une proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations
(4) ainsi qu’un projet de loi organique (5) prévoient de modifier le code électoral pour encadrer les périodes pré-électorale et électorale, définies comme courant à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs, jusqu’à la fin des opérations de vote, soit sur une durée maximum de cinq semaines avant le scrutin. L’objectif du législateur est
de contrôler les canaux de diffusion des fausses nouvelles, tout particulièrement les réseaux sociaux et les sites web de partage de vidéo ainsi que les médias sous influence d’un Etat étranger. A cet effet, le dispositif se décline en trois grandes propositions :
D’une part, le texte met à la charge des plateformes une obligation de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés. Elles devront rendre publiques l’identité des annonceurs de contenus ainsi que celle des personnes qui contrôlent les annonceurs. Elles devront également publier les montants consacrés à ces contenus, afin d’identifier les contenus sponsorisés à des montants élevés.
D’autre part, dans le cas où une fausse nouvelle serait publiée sur Internet, il est proposé d’introduire une nouvelle action en référé devant
le juge civil pour faire cesser la diffusion massive et artificielle d’une fausse nouvelle. Cette procédure, inspirée du référé « LCEN » (6) qui permet à toute personne de demander au juge de prescrire aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès toutes mesures propres à prévenir un dommage ou
à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Cette action pourrait être engagée à la demande du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, uniquement pendant la période pré-électorale et électorale. Le tribunal
de grande instance de Paris serait exclusivement compétent, eu égard
au caractère national de l’écho donné à la diffusion massive de fausses informations. Le juge pourra notamment ordonner de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné ou encore de bloquer l’accès au site Internet.
Enfin, les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) seront accrus afin de lutter contre toute tentative de déstabilisation par les services contrôlés ou influencés par des Etats étrangers. Si le régulateur considère qu’un Etat étranger propage une fausse nouvelle, il pourra
« suspendre » ou « révoquer » la convention d’un média sous influence de cet Etat. La commission de la Culture et la commission des Lois du Sénat
ont rejeté ces propositions le 26 juillet 2018, considérant que le dispositif continue de susciter les mêmes inquiétudes au regard de la censure, y ajoutant qu’en envisageant d’accroître la responsabilité des plateformes en cas de diffusion de fausses nouvelles, les principes posés dans la loi « LCEN » de 2004 sont susceptibles d’être remis en question. Il s’agit en effet d’une nouvelle exception, au même titre que pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, au principe de limitation de responsabilité des intermédiaires techniques. Le projet de loi « Fausses nouvelles » devrait passer en commission mixte paritaire d’ici la fin de l’année.
On notera que, dans son avis du 19 avril 2018, le Conseil d’Etat partageait déjà l’opinion des sénateurs, en considérant que la mesure tendant au
« déréférencement d’un site diffusant ces fausses informations » apparaissait excessive, seuls devant être déréférencés les liens menant vers les pages diffusant ces informations.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat proposait de prévoir que l’ordonnance du juge des référés soit rendue en premier et dernier ressort, afin de ne permettre que l’exercice d’un pourvoi en cassation dans des conditions de délai qui peuvent être précisées dans le texte réglementaire d’application de la future loi. Enfin, plus généralement, après avoir reconnu que« l’état actuel du droit, notamment en matière électorale, ne permet[tait] pas nécessairement de répondre à l’intégralité des risques induits par [les plateformes numériques] », a suggéré « d’harmoniser les différentes dispositions des propositions de loi pour ne retenir que la notion de “fausses informations” » et non celle de « fausses nouvelles », et a recommandé que « la lutte contre les fausses informations soit systématiquement circonscrite aux cas dans lesquels il est établi que
la diffusion de telles informations procède d’une intention délibérée de nuire ».

L’Europe contre « la désinformation »
Sur le plan européen, la Commission européenne a adopté des mesures fondées sur les conclusions et les recommandations présentées le 12 mars 2018 (8) par un groupe d’experts de haut niveau pour lutter contre la désinformation en ligne. Dans sa communication « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » (9), datée du 24 avril 2018, elle préconise ainsi un code de bonnes pratiques et de nouvelles règles visant à accroître la transparence et l’équité des plateformes en ligne, notamment la mise en place d’un réseau indépendant de vérificateurs de faits ou encore une démarche d’autorégulation des acteurs. @

* Christiane Féral-Schuhl est ancien bâtonnier du Barreau
de Paris, et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz.