Surenchère des droits de diffusion sportive – foot en tête : quid du Net, des smartphones et des extraits ?

L’obtention d’exclusivités de diffusion sportive se paie au prix fort pour les chaînes de télé, comme l’illustre la surenchère des droits 2020-2024 de retransmission de la Ligue 1 pour un montant record de 1,15 milliard d’euros par saison. Mais les GAFAT et les OTT n’ont pas dit leur dernier mot.

Sur les cinq lots attribués à l’issue de l’appel à candidatures qu’a organisé la Ligue de football professionnel (LFP), présidée par Nathalie Boy de
la Tour (photo) et dirigée par Didier Quillot, un lot qualifié de « digital » portait sur « les droits de diffusion d’extraits en quasi-direct sur tous les matches et les droits magazines en vidéo à la demande ». C’est le groupe Iliad, maison-mère de Free, qui l’a remporté, signant ainsi son entrée pour la première fois dans le football français. Tous les autres lots portent sur la diffusion audiovisuelle et ont été attribués à l’espagnol Mediapro (1) (lots 1,2, 4) et au qatari BeIn Sports (lot 3).

« Sous-licences » versus monopoles
Ces droits audiovisuels record de la « Ligue 1 Conforama » pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024, à savoir pour un montant de plus de 1,15 milliard d’euros par saison (en hausse de 59,7 %) sans préjuger des montants pour les deux lots non encore attribués (2), constituent en quelque sorte un oligopole sportif. A ceci près que, pour la première fois, la LFP permet des droits de « sous-licence » sur l’ensemble des lots. Par exemple, la chaîne cryptée Canal+ (Vivendi), qui n’a pas obtenu de lots mis aux enchères auxquelles elle a pleinement participé (3), pourra négocier des sous-licences – auprès de Mediapro principalement, le grand gagnant surprise de cet appel d’offres. De même, l’opérateur télécoms SFR (Altice), qui n’a pas participé à ces enchères mais qui mise sur son bouquet de chaînes RMC Sport, s’est dit lui aussi prêt à discuter sous-licences avec Mediapro. Les sous-licences de la LFP pourraient permettre à de nouveaux acteurs d’acquérir des droits de diffusion, comme par exemple des GAFAT (Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter, …) ou des services OTT (Overthe- Top) (4). Twitter et Yahoo n’ont-ils pas chacun investi dans le football aux Etats-Unis ? Didier Quillot n’a-t-il pas dit en décembre dernier avoir discuté avec Facebook et Amazon ? Le 7 juin 2018, la Premier League a d’ailleurs annoncé qu’Amazon allait retransmettre en direct des matches du Championnat d’Angleterre de football à partir de 2019 et pour trois ans. Snap retransmettra-t-il le live d’un partenaire média ? Et quid de Dailymotion (5) ou de L’Equipe.fr ? Pour sa part, Free a de quoi se réjouir
de son lot portant sur la diffusion d’extraits en quasi-direct sur tous les matches et les droits magazines en VOD. « Iliad proposera en quasi-direct sur ses plateformes fixe et mobile les buts, les plus beaux arrêts et les meilleurs moments de chaque match. (…) Grâce au lot 6, Iliad est la seule plateforme à ce jour à disposer de droits (quasi-directs) pour l’intégralité des matchs de la Ligue 1. Le prix de ces droits s’élève à moins de 50 millions d’euros par saison », a expliqué le 29 mai le groupe de Xavier Niel, qui dit vouloir développer « des services innovants et personnalisés répondant à l’évolution des usages numériques et permettant de s’adresser à un public élargi, notamment auprès des plus jeunes ». Mais, dans les faits, Iliad ne sera pas le seul à pouvoir diffuser des extraits de ces rencontres footballistiques. Car la bulle financière des droit TV du foot ne peut pas se traduire par un oligopole qui interdirait à d’autres médias, notamment numériques, de montrer des extraits des meilleurs moment des matches.
Et si des extraits ne sont pas diffusés ailleurs que sur les chaînes des détenteurs de droits, la frustration du public – en particulier de la jeune génération délinéarisée – pourrait aller jusqu’à alimenter le piratage et/ou le direct non autorisé sur les réseaux sociaux ou les plateformes de live video telles que Periscope et FB Live ou encore YouTube Live (6). Cela ne concerne pas seulement le football – championnats de France de football de la LFP (Ligue 1/Ligue 2 et Coupe de la Ligue), Mondial et Euro organisés respectivement par la FIFA et l’UEFA (dont les droits TF1 et M6 se partagent les droits de diffusion en France entre 2018 et 2022), etc. – mais aussi tous les événements sportifs d’intérêt national.

Le droit, non payant, à de brefs extraits
D’où l’importance de rappeler le droit de diffusion de « brefs extraits prélevés à titre gratuit parmi les images du ou des services cessionnaires
et librement choisis par le service non cessionnaire du droit d’exploitation qui les diffuse ». C’est ce que prévoit l’article L333-7 du code du sport modifié par la loi du 1er février 2012 sur le sport (7). Celle-ci fut suivie par la délibération du 15 janvier 2013 du CSA sur les « conditions de diffusion de brefs extraits de compétitions sportives et d’événements autres que sportifs d’un grand intérêt pour le public » (8). Mais cette décision d’il y a cinq ans se limite aux « services de télévision » et « à leurs services de médias audiovisuels à la demande ». C’est restrictif par rapport aux réseaux sociaux et autres plateformes numériques. @

Charles de Laubier