Orange et SFR se tirent la bourre dans les contenus, au risque de créer un duopole néfaste en France

Ne parvenant pas à augmenter leur Arpu en raison de la guerre des prix accrue qu’ils se livrent depuis cinq ans, les opérateurs télécoms voient dans des contenus premiums des relais de croissance. Mais seuls Orange et SFR ont
de gros moyens, au risque d’engendrer un duopole. L’Arcep s’inquiète.

Depuis cinq ans maintenant que Free Mobile a été lancé pour bousculer l’ordre établi du triopole alors en place, les opérateurs télécoms se livrent en France à une bataille sans merci sur les prix. A défaut de ne plus pouvoir se différencier sur les tarifs, tirés vers le bas à la grande satisfaction des utilisateurs, voilà que les stratégies de différenciation des fournisseurs d’accès à Internet se déplacent sur les contenus. Le cinéma, le sport ou encore la presse sont devenus des produits d’appel pour les opérateurs dont les réseaux – censés évoluer rapidement vers le très haut débit – passent au second plan ou presque.

Duopole « difficiles à réguler »
Ce changement de pied des opérateurs télécoms – Orange et SFR en tête – inquiète
le régulateur français à double titre. D’abord parce que cette course à l’échalote dans des contenus parfois très coûteux, comme les droits sportifs ou les productions audiovisuelles exclusives, pourrait se faire détriment des investissements dans les réseaux très haut débit tel que la très chère fibre (lire p. 8 et 9). « Si les opérateurs télécoms investissent massivement dans les contenus… il y a un fort risque que cela diffère les investissements dans les réseaux télécoms en France. Je préfèrerais les entendre avec un message clair disant qu’ils investissent dans la fibre, la 4G, la 5G, plutôt que cette discussion permanente sur le contenu », s’est agacé Sébastien Soriano (photo), dans un entretien au Financial Times publié le 29 janvier. Le président de l’Arcep préfèrerait voir les opérateurs télécoms se différencier sur leur réseaux nouvelle génération – qui tardent à être déployés rapidement afin de couvrir 100 % de la population française d’ici 2022 – plutôt que sur les contenus premiums. Ce serait, selon lui, la meilleure réponse à la guerre des prix dont les opérateurs télécoms se plaignent sans cesse mais à laquelle ils se livrent entre eux.
Ensuite, cette course folle dans les contenus plutôt que dans les réseaux fait prendre
le risque à la France de basculer à terme dans un duopole contitué par les seuls opérateurs télécoms qui ont les moyens d’investir à la fois dans l’infrastructure réseau très haut débit (fibre optique, 5G) et dans les contenus audiovisuels attractifs (films, séries, sport). « Le vraiment mauvais scénario pour nous serait celui où deux acteurs [en l’occurrence Orange et SFR, ndlr] seraient engagés dans des stratégies de différenciation dans les médias. Il y a alors un haut risque que le marché devienne un duopole, ce qui pour nous serait terrible. Les duopoles sont très difficiles à réguler », s’est inquiété Sébastien Soriano, toujours dans le FT. Autrement dit : le problème est que, si Orange et SFR continuent à développer une convergence réseau-contenu que l’Arcep ne peut empêcher, un nouveau cadre réglementaire et une nouvelle régulation pourraient s’avérer nécessaire. « Ma préoccupation principale est que nous n’allions pas plus loin dans cette histoire de média télécom. Pour l’instant, il n’y a pas de gros problème – mais pourrions-nous s’il vous plait juste en rester là », a-t-il confié.
Ce n’est pas la première fois que Sébastien Soriano agite l’épouvantail du duopole. Il y a deux ans, il mettait déjà en garde contre cet hydre à deux têtes qui serait une calamité en terme de concurrence. « Un duopole est difficile à réguler ; tous les exemples à travers le monde montrent que c’est la pire situation pour l’investissement et les prix », avait-il mis en garde (1), alors qu’il était question à l’époque du rachat éventuel de Bouygues Telecom. L’ancien président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, s’était déjà opposé à deux reprises – en 2012 puis en 2014 – à ce que Free rachète SFR car cela aurait inéluctablement provoqué la disparition de Bouygues Telecom (2). Aujourd’hui, le risque de basculer dans un duopole néfaste vient cette fois de la bataille sur de coûteux contenus qui pourraient disqualifier les opérateurs concurrents qui n’auraient pas les reins assez solides pour surenchérir. En clair : si Orange et SFR persistent dans cette bataille « médiatique », Bouygues Telecom et Free pourraient en pâtir et voir leur avenir hypothéqué.

La chasse aux exclusivités
De son côté, l’Autorité de la concurrence ne verrait pas d’un très bon œil le retour des exclusivités réseau-contenu d’opérateurs en position dominante. Sa présidente Isabelle de Silva (3) doit d’ailleurs dire d’ici le 23 juin si elle prolonge ou pas les mesures correctrices imposées à Canal+ depuis la prise de contrôle de TPS et CanalSatellite en 2006 par Vivendi (4). Il s’agit d’éviter les abus dans l’exclusivité des contenus. Plus récemment, en juin dernier, l’Autorité de la concurrence s’est opposée à l’accord de distribution exclusive entre Canal+ et beIN Sports. Alors, imaginez un rapprochement Orange-Canal+… Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, en rêve ! @

Charles de Laubier