Agence européenne des télécoms : une idée déjà vue, à nouveau rejetée par les Etats membres

La Commission européenne est revenue à la charge en proposant de transformer l’actuel forum des régulateurs des télécoms nationaux – l’Orece – en une véritable agence de l’Union européenne. Mais ce projet est vivement combattu par les Etats-membres, comme ce fut déjà le cas par le passé.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TIC, K. Duhamel Consulting

Rappelons que lors des discussions qui ont précédé la révision du « Paquet Télécoms » en 2009, la Commission européenne avait initialement proposé de créer une autorité supranationale permanente des télécoms dotée d’un statut d’agence communautaire. A cette époque, cette Autorité européenne du marché des communications électroniques (AEMCE) aurait eu vocation à remplacer le GRE (Groupe des régulateurs européens) et l’Enisa (Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information), tout en renforçant le pouvoir de veto de la Commission européenne.

Principe de subsidiarité et obstacles
Sous le feu des critiques, notamment celles du GRE, des Etats membres et de leurs représentants au Parlement européens, la Commission européenne avait dû abandonner ses prétentions au profit de la création de l’Orece (Organe des régulateurs européens des communications électroniques), dont les compétences furent significativement réduites par rapport à la proposition initiale de l’exécutif européen. Aujourd’hui, comme hier, le débat sur la création d’une hypothétique Agence de régulation européenne des télécoms ravive les tensions au regard de l’application
du principe de subsidiarité dans la politique de réalisation du marché intérieur des communications électroniques. Pour mémoire, le principe de subsidiarité, complété
par les principes d’attribution et de proportionnalité, est au cœur du dispositif européen. Le Traité de Lisbonne, modifiant le Traité sur l’Union européenne (UE), et le Traité instituant la Communauté européenne (1) les mentionnent dès l’énoncé des dispositions communes : « Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences » (art. 5-1). Ce premier alinéa est complété par trois autres qui précisent respectivement ces trois principes (voir encadré page suivante).
Or, pour le secteur des communications électroniques, les choses sont moins simples qu’il n’y parait dans la mesure où le numérique se trouve au carrefour des compétences exclusives (règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur (2)) et des compétences partagées avec les Etats membres (marché intérieur, protection des consommateurs, réseaux transeuropéens des télécommunications, espace de liberté, de sécurité et de justice, … (3)).
Quoi qu’il en soit, et sans être dupe du jeu des acteurs institutionnels et des enjeux
de souveraineté nationale, il est assez clair que la finalisation du grand marché intérieur peine à se concrétiser. A ce titre, la volumineuse étude d’évaluation de l’impact de la réforme du cadre réglementaire européen des communications électronique – menée
et publiée en 2016 par la Commission européenne (4) – souligne trois séries de problèmes, à savoir : des obstacles à une connectivité illimitée au moyen d’infrastructures fixes et mobiles omniprésentes, à très haute capacité ; de l’inadaptation du cadre pour faire face aux évolutions rapides du marché et des technologies ; des aspects redondants et inefficaces, ainsi que du manque de cohérence, de la réglementation et de la régulation.
Plus particulièrement sur ce « manque de cohérence de la réglementation et de la régulation », cette étude affirme trois choses : d’abord que la cohérence des cadres réglementaires applicables dans chacun des Etats-membres reste limitée, affectant les projets des opérateurs internationaux et réduisant la visibilité des acteurs du marché et de leurs investisseurs ; ensuite que les solutions réglementaires optimales ne sont pas toujours mises en oeuvre, les pouvoirs de la Commission n’étant pas suffisants par exemple pour assurer la cohérence des remèdes adoptées par les autorités nationales en matière d’accès ; enfin que le manque de cohérence dans la gestion du spectre a contribué à retarder le déploiement de la 4G.

Revoir l’équilibre institutionnel ?
De facto, ces constats sont assez partagés par les parties prenantes et seuls les moyens d’y remédier font débat. En effet, nombre d’Etat comme la France le Royaume Uni ou le Portugal défendent « l’équilibre institutionnel qui a fait ses preuves », même
si certains comme l’Irlande, soulignent qu’il serait utile que les travaux soient plus transparents. A contrario, force aussi est d’observer la divergence – en fonction des pays – des remèdes imposés sur l’accès aux réseaux, notamment de fibre optique,
et par ricochet sur la diversité des offres de gros d’accès comme celle des conditions d’accès aux fréquences, ou bien encore le niveau de mise en oeuvre variable des règles de protection des consommateurs. Il est du reste probable que la source de
ces divergences se trouve en partie dans l’approche peut-être « trop » consensuelle
de l’Orece* qui consiste à octroyer de la flexibilité aux Etats membres ou à se fonder sur le plus petit dénominateur commun dans sa prise de décision.

Approche médiane et pragmatique
Il est également relativement certain que les incohérences relevées dans l’application des règles européennes persisteront voire s’aggraveront avec l’émergence de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Toutefois, est-il pour autant nécessaire d’engager un combat institutionnel pour la création d’un super régulateur européen, combat qui a beaucoup de chance d’être perdu, surtout dans l’actuel climat de défiance des institutions européennes ?
La réponse à cette question n’est pas obligatoirement positive. De ce point de vue,
les conclusions de l’avis de l’Orece (5) vont dans le sens des autorités de régulation nationales telles que l’Arcep en France, qui veulent conserver leur indépendance.
Par ailleurs, la réduction des lourdeurs administratives comme des divergences d’application pourrait passer par l’amélioration de la gouvernance de l’Orece plutôt
que par la création d’une nouvelle agence décentralisée de l’UE. En revanche, contrairement à la position de l’Orece, l’introduction du pouvoir de la Commission européenne d’opposer son veto aux remèdes proposés les « Arcep » nationales, subordonné à l’avis préalable Orece, pourrait être utile et ne constitue pas forcément une infraction au principe de subsidiarité – eu égard aux compétences de l’UE relatives aux règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur. Le retard pris dans certains des Etats membres dans le déploiement du très haut débit résulte en effet en partie, à notre sens, d’une régulation incohérente ou insuffisante
de la boucle locale : accès au génie civil et aux fibres optiques, migration du cuivre
vers la fibre, etc.
Enfin quelle que soit l’option qui sera in fine retenue pour la politique européenne commune de gestion du spectre (6), cette option est relativement indépendante de la création d’une autorité supranationale de régulation. Car cette option requerra avant tout la modification des dispositions communautaires actuelles relatives à cette question et du degré de contrainte que celles-ci imposent aux Etats. @

* A noter que l’Orece est présidé durant toute l’année 2017
par le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, qui fut en
2016 vice-président de cet organisme,
lequel fut créé en décembre 2009 sous la houlette de la
Commission européenne pour remplacer le GRE (Groupe des
régulateurs européens). Celui-ci avait été installé
en 2002 à la place du GRI (Groupe des régulateurs
indépendants) créé en 1997 – sous l’impulsion de l’ancien
président de l’Arcep (ex-ART), Jean-Michel Hubert – mais
jugé par Bruxelles trop indépendant.

ZOOM

Les trois principes de l’Union européenne dans le texte : subsidiarité, attribution et proportionnalité
• En vertu du principe d’attribution, l’Union européenne (UE) n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’UE dans les traités appartient aux Etats membres.

• En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’UE intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’UE. Les institutions de l’Union européenne appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (7). Les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans ce protocole.

• En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’UE n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’UE appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. @