Eric Garandeau, président du CNC : « Les plateformes de VàD doivent s’enrichir et les FAI les référencer »

A la tête du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) depuis le 1er janvier, Eric Garandeau considère qu’« Internet est devenu un média audiovisuel ». Il explique à Edition Multimédi@ ce que cela implique pour les diffuseurs et les créateurs en termes de contributions et de soutiens financiers.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Une mission interministérielle
sur la contribution des opérateurs télécoms au Cosip (150 millions d’euros en 2010) devrait rendre ses conclusions fin avril : pourquoi cette mission ?
Eric Garandeau :
Suite à la modification du taux de TVA sur les offres composites, en loi de Finances 2011, il est apparu nécessaire de revoir la contribution des FAI au fonds de soutien du CNC. En particulier, un opérateur [Free, ndlr] a tenté de réduire sa contribution au fonds de soutien cinéma audiovisuel et multimédia en isolant et en réduisant la valeur de l’audiovisuel, alors même qu’il occupe une part croissante des offres triple et quadruple play. Internet est devenu un média audiovisuel. Il est donc légitime que tous ceux qui font directement ou indirectement commerce de la diffusion d’images contribuent à leur financement. La mission conjointe de l’Inspection générale des Finances et de l’Inspection générale des Affaires culturelles va formuler des propositions en ce sens qui permettront d’éclairer les futures décisions des pouvoirs publics. Il est certain que les opérateurs télécoms, comme toutes les entreprises qui distribuent des services de télévision, contribueront à juste proportion de leur chiffre d’affaires : si leur chiffre d’affaires est en croissance, nul ne s’en plaindra, a fortiori si cela permet de mieux financer des œuvres de qualité (1).

EM@ : Comment voyez-vous l’évolution du financement de la création cinématographique et audiovisuelle via le fonds de soutien du CNC, à l’heure
où il s’ouvre aux programmes financés par des sites web (webcosip) ?
E.G. :
Le décret élargissant le bénéfice du soutien automatique aux projets Internet vient d’être publié au Journal officiel (2). C’est une très bonne nouvelle. Le fonds de soutien est ainsi en phase avec les nouveaux modes de création et de consommation des images, qui passent désormais aussi par Internet, lequel devient également un vecteur important de valorisation de nos œuvres patrimoniales. Cette ouverture du fonds de soutien automatique aux projets non linéaires est évidemment complémentaire des autres aides sélectives qui existent déjà au CNC : je pense notamment à l’aide sélective aux projets conçus pour les nouveaux médias, laquelle vient d’être renforcée avec 3 millions d’euros de budget en 2011. Ce mécanisme a déjà bénéficié, depuis sa création en 2007, à près de 180 projets. Le budget du CNC pour l’année 2011 est évalué à 730 millions d’euros (3). Mais la situation incite à la prudence. Nous devons faire en sorte, c’est la demande du président de la République, de sécuriser et de conforter les ressources du CNC, pour pouvoir assumer l’ensemble des missions – notamment les nouveaux chantiers qui s’ouvrent dans le monde numérique.

EM@ : Sylvie Hubac propose, dans son rapport au CNC sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), de réduire le délai de diffusion des films en VOD par abonnement, actuellement de 36 mois après la sortie en salle. Faut-il aller plus loin ?
E.G. :
La chronologie des médias est un des piliers essentiels du financement de la création cinématographique et de sa diversité. Un juste équilibre doit être trouvé entre l’adaptation aux nouveaux modes de consommation des images et la nécessité pour
les partenaires financiers des films d’optimiser leur investissement dans la production. C’est dans cet esprit que la chronologie a été adaptée à deux reprises, en 2005 et 2009. L’accord de juillet 2009 a ménagé une fenêtre significative pour la vidéo à la demande (VàD) à l’acte [4 mois après la salle, ndlr]. En revanche, l’absence à l’époque de régime d’obligations applicable à la VàD par abonnement a conduit ses signataires à positionner cette dernière après les premières exploitations télévisuelles (4). Le rapport de Sylvie Hubac, suite à la publication du décret SMAd (5), propose de raccourcir la fenêtre d’exploitation des films en VàD par abonnement. Seules les entreprises et organisations professionnelles représentatives concernées sont compétentes pour décider en la matière. Une réunion de suivi de l’accord de 2009 a eu lieu en fin de semaine dernière au CNC sur ce sujet. Le CNC appuiera tout ce qui permettra de disposer d’une chronologie efficace qui protège les financements des œuvres, tout en tenant compte de l’accélération de l’Histoire (6). L’expérimentation peut être un bon moyen de tester l’efficacité de certaines propositions innovantes, sans mettre l’édifice en péril.

EM@ : Comment vont s’articuler les trois sites de référencement de VOD soutenus depuis 2010 par le CNC – Cinestore, Vodkaster et Voirunfilm – avec le projet de référencement que veut lancer MySkreen et l’INA avec l’aide du grand emprunt ?
E.G. :
L’étendue des œuvres et des plateformes qui sont référencées par ces trois sites s’accroît chaque jour. Ils restent cependant insuffisamment connus et j’espère que les sociétés qui les portent auront à cœur d’en assurer une plus large promotion. La loi Hadopi a enjoint le CNC d’intervenir afin de favoriser le référencement des offres légales, lesquelles sont nombreuses et peuvent être jugées trop éclatées ou trop compliquées pour le consommateur. Cette même loi a confié à la Hadopi (7) une mission plus générale de référencement de l’ensemble des offres légales. Je ne doute pas que le travail de réflexion qui a été engagé récemment par cette dernière sur ce sujet intégrera les offres déjà existantes, qu’elles aient ou pas été soutenues par les pouvoirs publics, afin de satisfaire les attentes du public. En tout état de cause, les pouvoirs publics conjuguent leurs efforts pour aider au développement de l’offre légale en France qui, tout autant que la « réponse graduée », constitue le meilleur rempart contre la piraterie audiovisuelle. C’est aussi un vecteur essentiel de diffusion des œuvres françaises et de construction d’une identité culturelle européenne. En outre,
le CNC encourage, via un mécanisme d’aide spécifique, les plates-formes de VàD et leurs efforts d’éditorialisation et de valorisation des services mis à disposition du public. Il faut aussi veiller à ce que les plateformes les plus importantes, en quantité d’oeuvres mais aussi en qualité de service (instruments de navigation, de prescription, …), puissent être référencées sur les « box » des FAI. Aujourd’hui encore, certains grands noms du cinéma français ne sont pas référencés sur certaines plateformes ; leur nom n’apparaît nulle part ! Ou certains films ne sont disponibles que dans certaines langues, pour certains sous-titrés. Le travail à accomplir reste gigantesque.

EM@ : Depuis plus d’un an, le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) demande une obligation d’investissement dans le cinéma pour les fabricants de « terminaux de réception interactifs » tels que les TV connectées. Qu’en pensez-vous ?
E.G. :
Il est trop tôt pour répondre à cette question. Une mission est en cours, confiée à l’Inspection générale des Finances et l’Inspection générale des Affaires culturelles pour aider le CNC à analyser ces différentes évolutions de marchés, et prévoir l’adaptation des mécanismes fiscaux qui financent la création. La logique du système de contribution au fonds de soutien au cinéma, à l’audiovisuel et au multimédia, est celle d’une contribution à juste proportion des revenus de l’ensemble des diffuseurs (8) pour permettre de réinvestir dans le renouvellement de la création. Ce système a obtenu de magnifiques résultats, il est copié dans de nombreux pays et il convient de l’adapter en permanence, en fonction des évolutions technologiques et stratégiques. @

Marc Tessier, Vidéo Futur : « Le délai de quatre mois après la salle est trop long pour certains films »

Le président du groupe Vidéo Futur Entertainment, Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévàd), ancien PDG de France Télévisions et ancien DG de Canal+, explique à Edition Multimédi@ pourquoi
il croit au décollage de la VOD cette année.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La vidéo sur Internet explose. Pourtant, la VOD, elle, décolle très lentement pour atteindre en 2010 les 135 millions d’euros de ventes.
Et ils sont seulement 4,2 millions en France à avoir visionné de la VOD sur 38 millions d’internautes. Comment expliquez-vous ce lent décollage de la VOD ? Marc Tessier (photo) :
Les statistiques concernant la
VAD [vidéo à la demande, ndlr] donnent lieu à deux réactions diamétralement opposées : déception quant au niveau en valeur absolue, encore faible, ou, au contraire, satisfaction de voir les chiffres doubler d’une année à l’autre, sans pour autant que le marché du DVD n’en soit trop affecté…
Le verre à moitié vide ou à moitié plein, en quelque sorte. Dans les faits, l’essor de la
VAD s’inscrit dans le mouvement plus large, qualifié de « délinéarisation » de l’offre audiovisuelle. Les nouveaux usages VAD (catch up TV gratuite ou payante, web TV reprise sur YouTube ou Dailymotion, …) se concurrencent, notamment sur la gratuité
ou sur le principe d’un paiement, tout en s’épaulant mutuellement.
C’est pourquoi, je parierais plutôt sur un décollage de la VAD dès cette année. Mais à deux conditions : une efficacité accrue de la lutte contre le piratage, notamment celui
des plateformes illégales « off shore » faute d’un accord international sur le droit de suite, et une meilleure mise en place des offres disponibles via Internet.

« Le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes ».

EM@ : Sylvie Hubac propose dans son rapport sur les SMAd remis début janvier au Centre national du cinéma (CNC), dont vous avez été directeur, de réduire le délai de diffusion des films en VOD par abonnement à 22 mois, voire à 10 mois (contre actuellement de 36 mois) après la sortie en salle. Faut-il aller plus loin dans une réforme de la chronologie des médias, y compris des 4 mois pour la VOD à l’acte ? M. T. : Il s’agit là d’un sujet sensible. Soyons objectifs. Il me paraît clair que le délai de quatre mois est trop long pour des films sortis sur un petit nombre de copies, et disponibles dès la deuxième ou troisième semaine dans seulement une ou deux villes en France. La campagne de marketing, souvent financée par le CNC au moment du lancement, est oubliée quatre mois après… Et il est exclu d’en financer
une nouvelle de même ampleur…
Le raccourcissement du délai pour ces films – à deux mois après leur sortie en salle – n’aurait que peu d’impact macroéconomique et doperait leurs performances au cours des premiers mois. Ces films faisant peu d’entrées en salles pourraient ainsi tirer parti de leur disponibilité en DVD/Blu-Ray et en VAD. Concernant la VAD par abonnement,
le délai applicable a toujours été corrélé au niveau des contributions des éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) au financement de la production, pour ne pas déstabiliser le système actuel d’aide à la création cinématographique. L’heure est donc venue d’ouvrir les discussions interprofessionnelles, puisque le niveau de ces contributions vient d’être fixé par décret [daté du 12 novembre 2010 et publié au J.O. du 14 novembre]. A contribution égale, délais identiques : telle serait une bonne approche pour l’avenir.

EM@ : Vous avez affirmé que la TV connectée est une opportunité pour Vidéo Futur de proposer aux spectateurs en ligne des films à la demande que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) rechignent à mettre dans leur bouquet. Quels accords avez-vous par ailleurs avec des fabricants de téléviseurs ?
M. T. :
La TV connectée fait peur ! A beaucoup mais pas aux équipes de Vidéo Futur. C’est en effet une formidable opportunité pour un éditeur indépendant de retrouver l’accès direct au téléspectateur qui lui était fermé par les FAI. Certes, d’autres pourront en tirer avantage également (Google, Amazon, Apple, …). Il nous appartient donc de nous fédérer pour offrir une plateforme de référencement nationale commune. Les projets ne manquent pas à partir de sites existants – et ils sont nombreux. Reste à concevoir une charte d’usage avec les principaux éditeurs VAD. Le syndicat que je préside s’y emploiera, si nécessaire. Pour ce qui concerne Vidéo Futur, l’important
est d’être le « service d’accueil sur ces tablettes et téléviseurs » conçu et adapté en fonction des choix techniques des industriels. Ce qui est le cas pour Samsung, Philips et Toshiba, qui sont nos partenaires dans la télévision connectée.

EM@ : Vidéo Futur a lancé en mai dernier une offre d’abonnement-location de films récents en DVD-Blu-Ray s’inspirant du modèle de Netflix. Cette formule ne risque-t-elle pas de compromettre l’essor de la VOD ? Ou est-ce le seul moyen de concurrencer les chaînes de cinéma payantes, le couple Canal+-Orange en tête ?
M. T. :
DVD et VAD même combat ! Ou plutôt usages complémentaires, si je peux le formuler ainsi. Améliorer notre offre de vidéo à domicile par voie postale correspond aux attentes de notre clientèle. Y associer une offre VAD, notamment pour les films récents, c’est marquer la complémentarité entre DVD et VAD. Nous réfléchissons d’ailleurs à d’autres formules combinant les deux modes.
Alors s’il s’agit de concurrencer Canal+ et le nouveau tandem Canal Plus-Orange, pourquoi pas ? Notre formule permet, pour 14,90 euros par mois, de recevoir chez
soi tous les DVD en nombre illimité, alors que nous continuons à rémunérer les producteurs et ayants-droits au même niveau qu’auparavant. C’est donc une bonne chose pour le cinéma. Il faut se garder de tout monopole, si vertueux soit-il. Et il est sain qu’un éditeur indépendant français s’y essaye… non ?

EM@ : Le second décret SMAd, celui du 17 décembre, donne au CSA le pouvoir de suspendre un service de VOD ou de catch up TV en cas de « contournement » de la loi (obligations de financement de films notamment). Ce dispositif sera-t-il suffisant pour éviter la concurrence « sans contraintes » des iTunes, Google, Amazon, Vevo et autres Hulu ?
M. T. :
Sérions les problèmes : le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes. Reconnaissez que la passivité des pouvoirs publics sur ce point n’envoie pas un signal encourageant pour l’avenir. Plutôt que de parler encore et toujours de règlementation, on devrait s’organiser pour négocier. Il n’est pas inscrit dans les lois fondamentales du numérique qu’aucun accord, qui respecterait les identités nationales,
ne soit possible avec ces géants de l’Internet. Nous y sommes parvenus avec les studios américains dans le passé, en diffusion analogique il est vrai. Mais pour bien négocier, fédérons-nous et si possible à l’initiative des professionnels eux-mêmes.
Gare aux querelles de clochers : aux syndicats de se regrouper pour faire avancer les solutions les meilleures pour les opérateurs français. Vidéo Futur et le syndicat que je représentey sont disposés. @