FL Entertainment dans le « divertissement numérique » : Stéphane Courbit joue la complémentarité Banijay-Betclic

Si l’entrée en Bourse à Amsterdam le 1er juillet dernier est une réussite pour le groupe FL Entertainment, cofondé par son président Stéphane Courbit, reste à savoir si la stratégie qui « combine deux entreprises complémentaires et prospères », Banijay et Betclic, convaincra les investisseurs sur le long terme.

FL Entertainment (FLE) se revendique à la fois comme « un leader mondial dans la production de contenu indépendant et la plateforme de paris sportifs en ligne à la croissance la plus rapide en Europe grâce à ses activités Banijay et Betclic Everest Group ». Présidé par l’entrepreneur français Stéphane Courbit (photo), qui en est également le principal actionnaire via sa holding personnelle Financière Lov, le groupe a l’ambition d’être un acteur global du divertissement « combinant deux activités complémentaires et prospères : Banijay et Betclic Everest ». Autrement dit, réunir la production audiovisuelle et les paris sportifs en ligne aurait un sens stratégique. Le point commun entre ses deux activités, qui n’ont a priori rien à voir et relèvent du mariage de la carpe et du lapin, réside dans le fait qu’il s’agit dans les deux cas de « divertissement numérique », selon l’expression du nouveau groupe FLE. Ensemble, ces deux activités pour le moins très différentes et relevant de deux règlementations très spécifiques (l’audiovisuel d’un côté et les jeux d’argent en ligne de l’autre) ont généré au total près de 3,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires sur l’année 2021, dont plus de 80 % pour la partie audiovisuelle. Au 31 décembre dernier, l’ensemble affiche une perte nette de 73,4 millions d’euros et un endettement de plus de 2,2 milliards d’euros – soit 3,7 fois le résultat d’exploitation, lequel est indiqué à 609 millions d’euros sur 2021.

Courbit cornaqué par Bolloré, Lacharrière et Arnault
Stéphane Courbit (57 ans) est l’un des plus discrets hommes d’affaires milliardaires français, où la modestie se le dispute à l’ambition, sur fonds de méfiance vis-à-vis des médias (rares interviews). La 70e fortune de France (1) cherche à se hisser au niveau des Vincent Bolloré, Marc Ladreit de Lacharrière et autres Bernard Arnault qu’il côtoie sans mondanités, entre autres personnalités comme Nicolas Sarkozy. Adepte des parties de poker, il joue gros dans cette opération boursière rendue possible par la « coquille vide » néerlandaise Pegasus Entrepreneurial Acquisition Company Europe, une Spac (2) créée spécialement pour absorber FL Entertainment afin de lever des fonds en Bourse. Ce montage alambiqué a permis au nouveau groupe du serial-entrepreneur d’être coté à Amsterdam sur l’Euronext depuis le 1er juillet et de lever 645 millions d’euros, dont 38,7 % provenant de la holding familiale de Stéphane Courbit (Financière Lov, avec sa femme et ses enfants) qui détient 46,95 % du capital de FLE et 72,64 % des droits de vote.

Direction à Paris, portefeuille à Amsterdam
Cotée à la Bourse de la capitale des Pays-Bas, la nouvelle entreprise n’en est pas moins dirigée de France, à Paris, rue François 1er. Sont aussi au capital : le groupe Vivendi de Vincent Bolloré (déjà actionnaire de Banijay) qui est le deuxième plus gros actionnaire avec 19,89 % du capital de FLE, le groupe Monte Carlo SBM International (déjà actionnaire de Betclic) à hauteur de 10,9 % du capital de FLE, la holding d’investissement Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière (déjà détenteur de 8,34 % du capital de Financière Lov) qui est entré à hauteur de 7,7 % de FLE, tandis que De Agostini via DeA Communications (déjà actionnaire de Banijay) a pris 4,99 % du nouvel ensemble. Ont aussi participé à la levée de fonds : Exor, la holding de la famille Agnelli, descendants du fondateur de Fiat ; Ario, le véhicule d’investissement de Didier Le Menestrel ; la Financière Agache, la holding familiale de Bernard Arnault (LVMH) ; Tikehau Capital, un fonds d’investissement (en cheville avec la Financière Agache dans le montage de la Spac Pegasus, ayant apporté ensemble 50 millions d’euros) ; et l’assureur Axa.
Fort de cet actionnariat éclectique, la gouvernance du nouveau groupe est, elle aussi, diversifiée et sous tutelle d’un conseil d’administration de onze membres : des associés Pierre Cuilleret, Diego De Giorgi et Jean-Pierre Mustier de la holding Pegasus, au conseiller Alain Minc, en passant par Eléonore Ladreit de Lacharrière (fille du milliardaire), François Riahi (directeur général de Financière Lov), ou encore Hervé Philippe (l’actuel directeur financier du groupe Vivendi).
Dans son prospectus d’introduction en Bourse, FL Entertainment se dit « ouvert à explorer toute possibilité dans l’espace de divertissement qui pourrait compléter ses activités existantes de production et de distribution de contenu, et de paris sportifs et de jeux en ligne ». La plateformisation de l’économie numérique, avec l’émergence fulgurante de Netflix ou de Disney+, a poussé Stéphane Courbit à passer à la vitesse supérieure. Quinze ans après avoir créé Banijay via Lov Group (les initiales du prénom de ses enfants Lila, Oscar et Vanille), présenté comme « le plus grand producteur mondial indépendant de contenus » (120 sociétés de production dans 22 pays), le taiseux veut accélérer dans l’audiovisuel sans frontières en pleine croissance et en cours de concentration. Il y a une carte à jouer pour FL Entertainment qui a donc vocation à faire des acquisitions en surfant sur les opportunités de croissance externe, à l’instar de ce qu’a fait Mediawan – cofondé par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – qui fut lancé en décembre 2015 sous la forme d’une Spac (3) (*) (**). Banijay était déjà rompu aux acquisitions : Air Productions, Bunim Murray, Screentime, Zodiak Media, 7Wonder, Good Times, ITV Movie, et, en 2019 pour environ 2 milliards d’euros, le néerlandais Endemol Shine Group, producteur pionnier de la téléréalité et de jeux télévisés. FLE permet de continuer à croître encore plus globalement pour produire bien plus pour les chaînes de télévision et pour les plateformes de SVOD, ces dernières devant désormais – dans les Vingt-sept – consacrer au moins 30 % de leur catalogue à des oeuvres européennes.
Le marché mondial de la production de contenu – boosté par la montée en charge d’Amazon Prime Video, Paramount+, HBO Max ou encore Apple TV+ – est estimé à plus de 200 milliards d’euros, d’après PwC, qui table sur une croissance de près de 5 % par an. Par exemple, Pitchipoï Productions et Montmartre Films (filiales de Banijay) ont produit pour Netflix « The Spy » et pour Amazon Prime « Flashback ». FLE veut aussi accroître l’acquisition de droits de propriété intellectuelle (4) pour détenir plus de contenus à son catalogue, audiovisuel (130.000 heures de programmes télévisés) mais aussi musique et jeu vidéo comme « All Against One ».
Mais que vient faire Betclic dans cet attelage ? Quinze ans après avoir créé Mangas Capital Gaming, renommé ensuite Betclic Everest Group, Stéphane Courbit est convaincu que la plateforme qu’il détenait à 50 % avec la Société des bains de mer (SBM) de Monaco, peut jouer la complémentarité dans le « divertissement numérique ».

Diversifier l’offre de streaming de Betclic
La plateforme Betclic est vouée à s’étoffer et proposer aussi d’autres contenus en streaming : « Pour faire face à la concurrence de nouveaux entrants sur le marché des paris sportifs en ligne, Betclic doit constamment offrir aux joueurs de nouveaux produits et services, tels qu’un large éventail de jeux, une variété de méthodes de paris – prélive ou live – ou une offre de streaming [et/ou de live streaming, ndlr], ainsi que des conditions de jeux et de compétitions plus attractives », peut-on lire dans le prospectus boursier (5). Le marché mondial du jeu en ligne devrait croître d’environ 10 % par an, à 115 milliards d’euros à fin 2027, selon Grand View Research. Lors de son premier jour de cotation, le groupe était valorisé 4,7 milliards d’euros : c’est descendu à un peu plus de 4,5 milliards le 7 juillet 2022. @

Charles de Laubier

Crise sanitaire : plus que jamais, les Français parient sur les jeux d’argent et de hasard en ligne

L’Autorité nationale des jeux (ANJ) fête ses un an. Succédant à l’Arjel, elle a été constituée le 15 juin 2020 par la nomination des neuf membres de son collège, dont sa présidente, Isabelle Falque-Pierrotin, ex-présidente de la Cnil. Avec les confinements, les jeux d’argent et de hasard ont le vent en poupe, paris sportifs en tête.

Plus de dix ans après l’ouverture du marché français des jeux d’argent et de hasard en ligne que sont les paris sportifs, les paris hippiques et le poker, le dynamisme est de mise malgré – ou grâce à – la crise sanitaire : sur l’année 2020, le chiffre d’affaires des opérateurs de jeux à gains a augmenté de 22 % en un an pour atteindre un peu plus de 1,7 milliard d’euros, soit un record depuis l’ouverture à la concurrence (1). Ce que l’on appelle aussi le « produit brut des jeux » (2) a été généré grâce à presque 5 millions de comptes joueurs actifs (CJA), un joueur pouvant en avoir plusieurs chez différents opérateurs (3). « Ces performances illustrent l’accélération de la digitalisation des pratiques de jeu, qui est une conséquence de la crise sanitaire », avance, pour expliquer cet engouement dans les jeux d’argent et de hasard en ligne, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) présidée depuis sa création il y a un an par Isabelle Falque-Pierrotin (photo). En effet, nombre de compétitions sportives et de courses hippiques physiques ont été suspendues en raison de la pandémie. Ce qui a favorisé l’an dernier la forte hausse des revenus des opérateurs agréés, non seulement dans les paris en ligne – chiffre d’affaires d’ailleurs plus important sur les enjeux hippiques (+ 31 % en 2020) que sur les mises sportives (+ 7 %) –, mais aussi et surtout dans le poker (+ 64 %).

Parier sur l’Euro de football et les JO de Tokyo
Qu’en sera-t-il à l’ère post-covid, s’il devait y avoir un monde d’après ? Pour l’heure, dans la foulée de l’année 2020, le premier trimestre 2021 s’est inscrit lui aussi en croissance soutenue à deux chiffres, de 35 % sur un an à , toujours en termes de chiffre d’affaires des opérateurs de jeux d’argent en ligne – au nombre de quinze aujourd’hui. Quant à l’ensemble des quelque 3 millions de comptes actifs, il est aussi en forte augmentation, de 19 % sur le premier trimestre. Après avoir été la victime collatérale des confinements, les paris sportifs en ligne reprennent, eux, du poil de la bête cette année avec « la progression des mises la plus spectaculaire », à plus de 2,1 millions de mises, du jamais vu sur un trimestre. Les parieurs sportifs – près de 2,5 millions de comptes joueurs actifs auprès d’opérateurs tels que Betclic, Unibet ou Winamax – sont tenus en haleine avec les deux compétitions majeures cette année : l’Euro de football du 11 juin au 11 juillet (4), pendant lequel les mises en France pourraient totaliser entre un demi-milliard et 1 milliard d’euros, et les JO de Tokyo du 23 juillet au 8 août (5), ces deux événements ayant été reportés à ces dates-là à cause de la pandémie.

Feeling Publishing, 15e opérateur agréé
Le gendarme des jeux d’argent redouble de vigilance sur les publicités alléchantes et les pronostiqueurs (tipsters) attirant de nouveaux joueurs par parrainage commissionné. C’est d’ailleurs sur le segment des paris sportifs que l’ANJ a agréé en mars dernier le quinzième opérateur du marché français (tous jeux d’argent en ligne confondus) : la société marseillaise Feeling Publishing, qui édite désormais la plateforme de paris sportifs Feelingbet.fr, laquelle était depuis 2013 exploitée en marque blanche en partenariat avec un autre opérateur lui aussi agréé dans les paris sportifs, France Pari, et éditeur de son côté de France-pari.fr. « On va basculer dans les prochaines semaines sur Feeling Publishing/Feelingbet. La marque blanche sous France Pari va disparaître », indique Pascal Vallet, fondateur de Feeling Publishing, à Edition Multimédi@. L’ANJ lui a délivré son agrément pour cinq ans (6) à compter du 4 mars dernier. « France Pari, via sa filiale Sportnco, continuera à nous fournir le logiciel de jeu mais nous prenons notre indépendance en ayant obtenu notre propre licence de paris sportifs. Ce qui me permet d’être officiellement opérateur et de pouvoir mener notre propre politique de développement », nous confie Pascal Vallet.
De leur côté, les paris hippiques en ligne – segment de marché bien plus modeste que les paris sportifs – observent aussi une envolée à deux chiffres des enjeux depuis l’an dernier (354 millions d’euros), qui se poursuit sur les trois premiers mois de cette année (110 millions d’euros). C’est là aussi un record trimestriel en ligne, s’expliquant en partie par la fermeture « sanitaire » des points de vente physiques d’enregistrements de paris (PMU et 237 hippodromes régulés aussi par l’ANJ). Le chiffre d’affaires des six opérateurs agréés dans les paris hippiques, dont Genybet ou Joabet, est de ce fait en forte hausse, tout comme le nombre de turfistes : plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs sur 2020 et près de 1 million sur le seul premier trimestre 2021. A noter que, par ailleurs, le milliardaire Xavier Niel, fondateur de Free et (co)détenteur de titres de presse (Le Monde, L’Obs, Télérama, Nice-Matin, France Antilles Martinique, France Antilles Guadeloupe, France-Guyane) et copropriétaire de Mediawan, a obtenu en février le feu vert de l’Autorité de la concurrence (7) pour s’emparer de Paris-Turf via NJJ Holding qu’il contrôle. Le groupe éponyme édite des quotidiens à l’attention des parieurs et des professionnels hippiques (Paris Turf, Paris Courses, Week-End, La Gazette des Courses, Tiercé Magazine, Bilto). Sur les paris sportifs, cette fois, le groupe édite l’hebdomadaire Lotofoot Magazine.
Le poker en ligne (plus de 1,8 million de comptes joueurs actifs en 2020 pour 446 millions d’euros de chiffre d’affaires, et près de 1 million de CJA au premier trimestre 2021) n’est pas en reste. Le bond du produit brut des jeux généré pour les opérateurs agréés par le poker en ligne, dont Partypoker ou Pokerstars, est de 53 % l’an dernier et de 23 % au début de l’année en cours – merci aux confinements. Selon l’ANJ, l’embellie devrait se poursuivre et le recrutement de nouveaux joueurs de poker en ligne aussi.
Si l’ANJ contrôle la politique de « jeu responsable » des casinos physiques, au nombre de 202 casinos en France (groupes Partouche, Lucien Barrière, Joa, Tranchant, …) et les clubs de jeux parisiens peu nombreux, elle ne régule pas les jeux de casino en ligne. Et pour cause : le casino en ligne est interdit en France, contrairement à la plupart des autres européens tels que la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Suède ou encore le Royaume-Uni (8). Sur l’Hexagone, le ministère de l’Intérieur a encore la main sur la lutte contre le blanchiment et sur l’intégrité de l’offre des jeux. Or, les casinos « en dur » ont souffert de la fermeture de leurs établissements durant les confinements et les couvre-feux (rouverts totalement depuis le 9 juin, mais jusqu’à 23 heures) – sans parler par ailleurs de la concurrence des « tripots » (9) clandestins… La crise sanitaire serat- elle l’occasion de lancer une réflexion sur l’introduction en France du casino en ligne. Edition Multimédi@ a posé la question à Isabelle Falque-Pierrotin, mais n’a obtenu aucune réponse.

Le « en ligne », 17 % du marché total
Si le chiffre d’affaires du marché des jeux en ligne en concurrence a presque été multiplié par trois depuis dix ans de libéralisation, il pèse encore moins de 20 % du chiffre d’affaires total du marché français des jeux d’argent et de hasard (17 % des plus de 10 milliards de produit brut des jeux d’argent et de hasard en 2020, tous confondus, physiques ou dématérialisés, contre seulement 7 % il y a une décennie). L’ANJ, qui régule bien au-delà des jeux d’argent sur Internet, couvre un marché – la Française des jeux (FDJ) et le PMU compris – de plus de 50 milliards de mises sur l’année (10). @

Charles de Laubier