Création immersive : l’audiovisuel et le cinéma se mettent très progressivement au métavers

Cela fait plus de six mois que le musicien Jean-Michel Jarre est président de la commission « Création immersive » du CNC, dotée de 3,6 millions d’euros par an pour subventionner la création d’œuvres immersives. Elle s’est réunie le 6 mars dernier pour la troisième fois afin de retenir de nouveaux projets à soutenir.

Le Fonds d’aide à la création immersive, créé en juillet 2022, remplace au sein du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), à la fois le Fonds d’aide aux expériences numériques (Fonds XN) et le Dispositif pour la création artistique multimédia et numérique (Dicréam). Pour la troisième fois, la commission « Création immersive » présidée depuis septembre 2022 par le musicien Jean-Michel Jarre (photo), s’est réunie – le 6 mars – pour choisir les projets immersifs qui bénéficieront d’une aide financière allant de quelques milliers d’euros à plus de 130.000 euros chacun.

Projets VR, MR, XR, voire métavers
Le Fonds d’aide à la création immersive est doté de 3,6 millions d’euros par an pour financer des contenus de réalité virtuelle (VR), de réalité mixte (MR), de réalité étendues (XR) ou encore de narrations interactives (Interactive Storytelling). Lancé durant l’été 2022 en pleine euphorie « métavers » déclenchée par la firme de Mark Zuckerberg, Meta (ex-groupe Facebook), ce fonds vise aussi à aider des projets de métavers. En lançant la commission « Création immersive », le CNC avait appelé la filière à « investir le métavers comme un nouveau territoire d’expression artistique ».
Le but était alors d’« accélérer la structuration de cet écosystème, actuellement porté par le développement du métavers qui désigne en premier lieu le processus de plateformisation des usages immersifs, et présente des opportunités sans précédent ». Surtout que JeanMichel Jarre croit en ces mondes immersifs, se présentant lui-même comme « musicien, auteur, interprète, pionnier des métavers ». Il est par ailleurs associé au studio de production Vrroom (société Perpetual Emotion), lequel a déjà assuré la virtualisation de certains de ses concerts (immersion complète dans un monde virtuel) et qui va lancer « un métavers entièrement dédié au spectacle » – pour l’heure à l’état de prototype (1).
Malgré le « métaflop » constaté en fin d’année dernière (2), les œuvres dans le métavers entrent toujours dans le dispositif. Mais la mise en avant du métavers n’a pas fait long feu. De quoi aussi apaiser les craintes de certains créateurs du numérique (auteurs et producteurs) qui se sont inquiétés de voir disparaître la Dicréam – au bout de plus de vingt ans d’aides aux artistes multimédias –, n’ayant pas forcément les moyens de faire de la réalité virtuelle ni du métavers (3). Quant au Fonds XN, lui aussi remplacé, il avait été créé en octobre 2018 à la suite de l’ancien Fonds nouveaux médias (4) – le CNC ayant commencé à aider des projet de réalité virtuelle dès 2014. La commission « Création immersive » est composée de deux collèges : l’un examine les demandes d’aide à l’écriture et à la préproduction ; l’autre examine les demandes d’aide à la production et aux manifestations à caractère collectif. Le tout, sous l’œil de membres « observateurs » que sont Dorine Dzyczko, chargée au ministère de la Culture de la coordination des politiques numériques en faveur de la création, et un représentant de l’Institut Français. Un même projet peut se présenter successivement à chacun des dispositifs d’aide à la création existants – écriture, préproduction, production – au fur et à mesure de son avancement, et cela qu’il ait obtenu ou non une aide à l’un de ces dispositifs. Les membres de cette commission (comme pour les autres du CNC) sont des professionnels, nommé pour deux ans. Les aides financières, elles, sont in fine délivrées par le président du CNC, actuellement Dominique Boutonnat, lequel a nommé en septembre 2022 Jean-Michel Jarre président de cette commission « Création immersive ».
Etant donné que la commission « Création immersive » se réunit environ deux mois après la date limite de dépôt des dossiers, les projets retenus le 6 mars portent sur les dossiers de candidature déposés à l’échéance du lundi 16 janvier dernier. Mais, selon les informations de Edition Multimédi@, le CNC ne divulguera pas les résultats avant « début avril, ce décalage étant dû à des procédures administratives ». Les prochaines dates limites de dépôts des dossiers pour 2023 sont respectivement le mardi 11 avril, le lundi 3 juillet et le lundi 16 octobre. Les candidatures sont à envoyer au format numérique uniquement (5).

52 projets au total aidés en 2022
L’an dernier, la commission a sélectionné par deux fois des projets immersifs lors de ses réunions du 4 octobre et du 5 décembre – soit 52 projets au total.
Lors des premiers résultats (6): six projets immersifs ont bénéficié d’aides financières au titre de l’aide à l’écriture, tels que « Uncanny You ! » (Sigrid Coggins) pour 6.000 euros de dotation la plus basse, ou « Pour en finir avec la fin du monde » (Samuel Lepoint) pour 12.000 de dotation la plus élevée ; onze projets immersifs ont été retenus au titre de l’aide à la préproduction, tels que « Mille » (L’instant Mobile) pour 8.000 euros de dotation la plus basse, ou « Alternates » (Floréal) pour 50.000 euros de dotation la plus élevée ; quatre projets immersifs l’ont été au titre de à la production, tels que « Champollion » (Lucid Realities) pour 60.000 euros de dotation la plus basse, ou « Entrez dans la danse » (Tchikiboum) pour 120.000 euros de dotation la plus élevée ; quatre projets immersifs au titre de l’aide aux opérations à caractère collectif, tels que « Courant 3D » (Prenez du relief) pour 5.000 euros de dotation la plus basse, ou « Showroom » (Zinc) pour 15.000 euros de dotation la plus élevée.

Le studio français Atlas V mieux loti
Lors des seconds résultats (7) : sept projets immersifs ont bénéficié d’aides financières au titre de l’aide à l’écriture, tels que « Habiter les nuits » (Maria Victoria Follonier/Elie Blanchard) pour 6.000 euros de dotation la plus basse, ou « Vibrotanica » (Jérôme Li-Thiao-Té) pour 16.350 euros de dotation la plus élevée ; quatorze projets immersifs ont été retenus au titre de l’aide à la préproduction, tels que « Minos » (Rebonds d’Histoires) pour 9.000 euros de dotation la plus basse, ou « Slipstreaming » (1er Stratagème) pour 55.000 euros de dotation la plus élevée ; sept projets immersifs l’ont été au titre de à la production, tels que « Mille » (L’Instant mobile) pour 10.000 euros de dotation la plus basse, ou « La Petite Souris » (Atlas V) pour 139.000 euros de dotation la plus élevée ; trois projets immersifs au titre de l’aide aux opérations à caractère collectif, tels que « SVSN 2023 » (Dark Euphoria) pour 20.000 euros de dotation la plus basse, ou « Taiwan XR Residency » (Forum des images) pour 50.000 euros de dotation la plus élevée.
Ainsi, le studio français de réalité virtuelle Atlas V est jusqu’à maintenant le mieux doté avec ses 135.000 euros pour la production de « La Petite Souris », un film aux allures de conte de fées narratif qui raconte en réalité virtuelle l’histoire d’une jeune créature têtue se rendant dans le monde pour se faire connaître. Atlas V a aussi décroché en même temps une aide de 48.000 euros pour la préproduction de « Faire Corps ». Contacté par Edition Multimédi@, Antoine Cayrol (photo ci-contre), cofondateur de l’entreprise avec Fred Volhuer, nous indique qu’il a obtenu à nouveau le soutien pour un projet lors de la réunion de la commission le 6 mars. Atlas V a déjà une douzaine d’œuvres immersives à son actif, dont « Gloomy Eyes », « Ayahuasca », « Vestige », « Sphères », « Battlesca », « Fragments Miroir », « Goodbye Mr. Octopus », « Madrid Noir », « Atomu », et « The color of infinity ». Le studio parisien et lyonnais, également implanté aux Etats-Unis, se présente comme un créateur de métavers, de mondes alternatifs et de contenus immersifs. L’entreprise a en outre créé en 2020 une société baptisée Albyon et dédiées aux expériences situées à la croisée des chemins entre l’immersif et le jeu vidéo.
Le Fonds d’aide à la création immersive est d’ailleurs géré dans le service de la création numérique, dirigé au CNC par Olivier Fontenay, qui inclut les aides au jeu vidéo (Fonds d’aide au jeu vidéo, d’une part, et Crédit d’impôt jeu vidéo, d’autre part). Cependant, un projet ne peut « pour les mêmes dépenses » bénéficier à la fois d’une aide à l’écriture de projets d’œuvres immersives et d’une autre aide attribuée par le CNC. En tout cas, la commission « Création immersive » dispose d’un grand rayon d’action puisqu’elle peut subventionner une « œuvres immersives des créations audiovisuelles » qui, par définition, « proposent une expérience de visionnage dynamique liée au déplacement du regard et/ou à l’activation de contenus visuels ou sonores par le spectateur, faisant notamment appel aux technologies dites de réalité virtuelle ou augmentée ou tout autre dispositif permettant l’immersion ». Elle précise même que « les œuvres pluridisciplinaires sont admissibles au bénéfice de l’aide à condition de comporter une forte composante audiovisuelle » et que « les contenus à destination des réseaux sociaux dont le primo-diffuseur n’est pas un SMAd [VOD/SVOD, ndlr] sont également éligibles ».
Le CNC rappelle au passage que « l’utilisation d’un casque de réalité virtuelle est fortement déconseillée aux enfants âgés de moins de 13 ans ». Et pour être éligible, le projet doit être « une œuvre originale spécifiquement conçue pour une expérience immersive », « destiné à un ou plusieurs médias », et « conçu et écrit en langue française ».

Eligible : sociétés de production en France
La subvention est plafonnée à 50 % du budget de préproduction ou, en cas de coproduction internationale, à 50 % de la participation française (8). En outre, au moins 50 % des dépenses doivent être effectuées en France. « Dans le cas d’une coproduction internationale, précise le CNC, les dépenses minimum à effectuer en France s’élèvent à 50 % de la part française de financement. Par ailleurs, le projet doit être financé par une participation française au moins égale à 30 % de son coût définitif ». L’entreprise de production (société ou association) doit être établie en France par son siège social. @

Charles de Laubier