Chaînes sur les boxes : Orange serait prêt à payer TF1 et M6 s’il y avait des services à valeur ajoutée

En quête de nouveaux revenus, TF1 et M6 exigent depuis près d’un an que les opérateurs télécoms les rémunèrent pour distribuer leurs chaînes gratuites. Mais les fournisseurs d’accès à Internet refusent. TF1 menace de se retirer des boxes. Cependant, Orange n’est pas totalement fermée à l’idée de payer…

C’est une petite phrase passée presque inaperçue en septembre 2016, formulée par le PDG d’Orange, Stéphane Richard (photo), qui montre que les opérateurs télécoms ne seraient pas si hostiles à l’idée de payer les chaînes pour continuer à les distribuer sur leurs boxes : « Je ne vois pas très bien pourquoi les opérateurs accepteraient de payer quelque chose qu’ils ne paient pas aujourd’hui. Mais s’ils ont des services intéressants à proposer
en plus, cela peut se regarder » (1).

Start-over, cloud, nPVR, 4K
Des services à proposer en plus… Ces nouveaux usages que les chaînes – TF1 et M6 en tête – souhaitent proposer à leurs téléspectateurs consistent par exemple à pouvoir revenir au début du programme (fonction start-over) ou bien à enregistrer des programmes dans un service de cloud (fonction nPVR, pour Network Personal Video Recorder). Pour justifier de faire payer la reprise de leurs chaînes, les chaînes mettent en avant le passage à la qualité d’image en 4K (ultra-haute définition). Chez Bouygues, c’est « TF1 Premium ». Le patron d’Orange n’est donc pas resté insensible aux arguments de « valeur ajoutée » des chaînes, lesquelles veulent ainsi proposer des services audiovisuels et des magnétoscopes numériques personnels en ligne, qu’elles maîtriseraient de bout en bout, aux 20 millions de foyers qui, en France, reçoivent la télévision sur leur « box » Internet. Ce serait aussi pour elles le moyen d’instaurer un contact direct avec leurs téléspectateurs dont les données gérées par les fournisseur d’accès à Internet (FAI) ne leur sont pas accessibles. C’est en outre une façon pour les chaînes, notamment les historiques, de se mettre à la page des nouvelles technologies audiovisuelles face aux innovations proposées dans le cloud par des agrégateurs de flux télévisés tels que Molotov positionnés comme OTT (Over-The-Top). Car derrière cette querelle du PAF, c’est bien la bataille pour le contrôle des « clients » téléspectateurs qui s’intensifie sous la pression des nouveaux entrants du Net.
La suprématie des boxes est de plus en plus contestée (2). Les négociations tendues vont bon train dans la mesure où les accords de distribution de TF1 avec les opérateurs télécoms, notamment sur le replay, sont arrivés à échéance et doivent être renouvelés, de même que ceux de M6 d’ici la fin de cette année. Car pour l’heure, les FAI paient seulement les chaînes pour leur service de TV de rattrapage.

Par exemple, TF1 encaisse chaque année environ 10 millions d’euros des distributeurs de son service MyTF1. C’est Gilles Pélisson, PDG du groupe TF1 depuis plus d’un an maintenant, qui a relancé l’idée de faire payer les opérateurs télécoms – Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free – s’ils veulent continuer à reprendre ses chaînes sur leurs boxes. Lui-même est un ancien dirigeant de Bouygues Telecom, autre filiale du groupe Bouygues. Il espère obtenir des différents FAI – opérateurs télécoms, câblo-opérateurs et opérateurs satellites – un paiement qui pourrait atteindre 100 millions d’euros à l’année. Les opérateurs télécoms concernés sont vent debout contre cette nouvelle exigence, estimant que les chaînes trouvent à travers eux un moyen puissant de diffusion auprès des 20 millions d’abonnés à un service de TV sur ADSL (IPTV) sans leur reverser une quote-part de leurs recettes publicitaires télévisées. De plus, les chaînes bénéficient gratuitement de fréquences de la TNT auprès du CSA (3).
A l’inverse, les chaînes mettent en avant le coût du signal de diffusion et l’investissement dans la production de programmes, tout en constatant que les FAI facturent à leurs abonnés des options TV sans reverser pour autant une part à elles
les chaînes. C’est le dialogue de sourds qui pourrait être arbitré par le CSA en cas de blocage des négociations (4). Le 16 février dernier, Régis Ravanas, directeur général adjoint de TF1 chargé de la publicité et de la diversification, est reparti à la charge lors de la présentation des résultats financiers du groupe. « Il y a vraiment un problème de partage de valeur à rééquilibrer. Nous sommes très déterminés. Les discussions ne sont pas simples naturellement parce que c’est un changement de modèle. Mais nous voulons aller jusqu’au bout et, si cela devenait nécessaire, aller jusqu’à se passer de diffusion du signal TF1 sur certaines plateformes. Ce que nous n’espérons pas », a-t-il prévenu.

TF1 plus aux abois que M6
La chaîne de Bouygues a pris l’exemple de la Belgique où TF1 est rémunéré par les opérateurs Orange et Altice (SFR). En Allemagne, la chaîne ProSieben perçoit des opérateurs quelque 100 millions d’euros par an. Pour Régis Ravanas, il s’agit d’un
« mouvement de fond en Europe ». L’injonction – « Payez-moi sinon je boycotte votre box » – relève-t-il du chantage, du bluff ou d’une fuite en avant ? L’an dernier, le bénéfice net de TF1 a chuté de 50 %. M6, plus discret dans cette affaire, a vu le sien bondir de 33 %. @

Charles de Laubier