Twitter se sent à l’étroit dans ses 140 caractères et voit plus grand pour accélérer sa croissance

Pour ses 10 ans, Twitter va franchir les 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires mais perd toujours de l’argent. Le réseau social de microblogging veut séduire les annonceurs. Il lui faut accroître son audience et l’attention quotidienne des twittos et fellowers. Google arrive à la rescousse…

Twitter, qui aura dix ans dans six mois (1), revendique aujourd’hui un peu plus de 300 millions d’utilisateurs
actifs par mois dans le monde – seuil franchi depuis la fin de l’année dernière (2). Mais seulement moins de 45 % d’entre eux se connectent quotidiennement, alors que ce taux est comparativement de 65 % pour les 1,49 milliard d’utilisateurs de Facebook.

Condamné à faire plus grand public
Le co-fondateur de Twitter, Jack Dorsey (photo), qui a repris les choses en main cet été en devenant directeur général par intérim depuis la démission de Dick Costolo en juin, a qualifié d’« inacceptable » le nombre d’utilisateurs par mois. Au-delà du fait d’avoir
à rechercher un nouveau directeur général (3), il doit remettre le site web de microblogging sur le chemin de la croissance en le rendant aussi populaire que Facebook. Pour l’instant, Twitter a plus séduit des professionnels (communicants et personnalités) que le grand public. Fin juillet, lors des derniers résultats trimestriels,
le directeur financier de Twitter, Anthony Noto, avait prévenu qu’il n’y aura pas de croissance importante et durable du nombre d’utilisateurs tant que Twitter ne touchera pas le grand public : « Nous ne nous attendons pas à avoir une croissance régulière significative [du nombre d’utilisateurs] avant de commencer à toucher le grand public ». Ce qui, selon lui, « prendra un temps considérable », avant de reconnaître que « le produit reste trop difficile à utiliser ». Avec un taux de pénétration inférieur à 30 % sur ses principaux marchés, Twitter est finalement principalement utilisé par des early adopters et/ou des geeks. Un total de plus de 1 milliard d’internautes auraient essayé Twitter avant de renoncer à l’utiliser ! Il lui faudra donc élargir son public sous peine
de stagnation face aux dynamiques Facebook, Instagram ou Snapchat. Depuis cette douche froide, le cours de Bourse de l’oiseau bleu ne cesse de perdre de l’altitude : l’action est passée pour la première fois – le 21 août dernier – en dessous de son prix d’introduction qui avait été fixé en novembre 2013 à 26 dollars (soit une chute de 30 % depuis juillet) et peine depuis à remonter au-dessus des 30 dollars. On est bien loin du pic de 70 dollars atteint à la fin de cette année-là. Le seul rebond boursier remonte àmi-juillet lorsqu’une fausse dépêche de l’agence de presse Bloomberg – propagée par un site web créé au Panama quelque jours plus tôt – a affirmé que Twitter étudiait une offre de rachat pour 31 milliards de dollars ! Twitter pourrait être une proie de choix pour Google, lequel a renouvelé en mai dernier avec lui un accord de partenariat suspendu depuis 2011 afin de rendre encore plus visibles les tweets sur le moteur de recherche
et lui amener ainsi plus de trafic. Twitter, que Google va aussi aider pour proposer cet automne des articles par tweets instantanés avec la presse (4), a en outre conclu un partenariat avec DoubleClick, la régie publicitaire du même géant du Net, pour améliorer la mesure des performances publicitaires sur son réseau social. Autres partenaires de poids : Microsoft et Apple, dont les systèmes d’exploitation Windows
10 et iOS intègrent une nouvelle application Twitter.

Jack Dorsey doit aussi trouver des recettes supplémentaires pour mieux monétiser son réseau social, alors que les prévisions de chiffre d’affaires pour cette année 2015 n’ont cessé d’être revues à la baisse : l’objectif est actuellement ramené à une fourchette de 2,20-2,27 milliards de dollars (voir tableau), contre 2,17-2,27 milliards et même 2,3-2,35 milliards initialement. Malgré des résultats trimestriels (au 30 juin) meilleurs que prévus (5), Twitter pèse à peine 1% des 145 milliards de dollars dépensés en publicité numérique dans le monde (selon eMarketer). Les investisseurs s’inquiètent d’autant plus qu’après la démission de Dick Costolo (au bout de cinq ans à ce poste), Jack Dorsey doit lui trouver un successeur de toute urgence et « à temps plein ».

Recruter vite un nouveau DG
Des noms circulent : Padmasree Warrior, ancienne dirigeante de Cisco, ou Jim Lanzone, actuel PDG de CBS Interactive, ou bien encore Adam Bain, responsable des revenus et des partenariats de Twitter – où il est entré en septembre 2010 après avoir été chez Fox Interactive Media en charge de l’audience. Ce dernier semble être le seul recours possible en interne, à part Jana Messerschmidt, vice-présidente de Twitter en charge du développement et de la plateforme. A moins que Jack Dorsey, qui avait été le premier directeur général de Twitter entre 2007 et 2008, ne garde les rênes le temps de remettre l’oiseau bleu sur le droit chemin. Reste à savoir si le futur patron sera nommé avant que l’arrivée début octobre du nouveau directeur général de la filiale française, Damien Viel, ancien de YouTube, de M6, d’Afflelou, de Carat et de l’Oréal (6). La société de San Francisco, qui a fait appel au cabinet chasseur de tête Spencer Stuart, doit en outre recruter non seulement un directeur de la communication (7),
mais aussi un directeur marketing avant de lancer une campagne publicitaire destinée
à booster son audience et à la monétiser.

Mieux monétiser l’oiseau bleu Twitter mise notamment sur le direct pour attirer les annonceurs et expérimente depuis juin l’insertion de messages sponsorisés dans les flux des utilisateurs (8). Il s’agit d’aller au-delà des simples tweets en offrant des informations supplémentaires sur des produits ou des lieux, avec l’apparition de boutons « acheter » testés depuis un an, Twitter s’appuyant sur les sociétés Stripe
et InMobi. Décidément, le réseau social de tweets se sent à l’étroit dans ses 140 caractères : une première entorse a été faite à cette règle avec la possibilité depuis
le mois d’août d’envoyer des messages privés – ceux échangés directement entre utilisateurs – dépassant le calibrage historique. Cependant, ces messages directs resteront invisibles sur la timeline de Twitter. De plus, il est désormais possible à ceux qui le souhaitent de recevoir des messages privés de personnes qu’ils ne suivent pas sur Twitter. C’est un grand pas pour le site de microblogging, qui espère ainsi séduire un plus large public en étant plus souple d’utilisation. La société de San Francisco compte en outre sur ses partenariats avec les médias et les célébrités pour faire croître son audience et ses revenus. En France, Europe 1 et TF1 ont ainsi passé cet été des accords avec Twitter qui entend « matérialiser » les conversations à travers des micro-studios itinérants (TF1 pour « The Voice ») ou des petits locaux fixes (Europe 1 pour ses invités et animateurs). Le réseau social à l’oiseau bleu a en outre annoncé fin août l’ouverture à Paris d’une « Blue Room », un studio dédié à accueillir des personnalités pour échanger en direct des tweets avec le grand public. Cette initiative est présentée comme une première en Europe, après l’inauguration mi-mars en Australie de ce concept de communication directe (9). De son côté, l’AFP a lancé cette année avec Twitter un produit, TweetFoot, qui permet de suivre l’actualité du football sur la base de comptes sélectionnés par la rédaction. En temps réel ou avec du recul, de nouveaux médias sont nés dans le giron du site de microblogging tels que « FlashTweet »,
« L’Important » ou encore « Reported.ly ». Mais Twitter se réserve le droit d’en censurer comme il l’a fait pour « Politwoops » qui a été arrêté pour s’être spécialisé dans la diffusion de tweets supprimés par des personnalités politiques. Twitter a en outre lancé en octobre 2014 l’écoute de musique et de contenus sonores, en partenariat avec iTunes et SoundCloud. Si Twitter ne se sauve pas luimême, c’est peut-être par ses acquisitions qu’il pourrait trouver une planche de salut. Les rachats de Periscope, de TellAppart et de Niche ont été appréciés. Periscope, aussitôt intégré à Twitter une fois la start-up Bounty Labs acquise (10), se présente comme un concurrent de Meerkat dans la retransmission vidéo en direct d’événements ou de contenus à destination des smartphones et tablettes (11). Et ce, sans passer par l’intermédiaire d’une plateforme d’hébergement telles que YouTube ou Dailymotion. Ce qui ne va pas sans donner des sueurs froides aux ayants droits comme les chaînes de télévision détentrices des
droits de retransmission d’événement ou de diffusion de série (exemple de HBO contre Periscope en avril). Le fondateur de Bounty Labs, Kayvon Beykpour, a assuré qu’il retirait rapidement les contenus litigieux.
En France, en attendant que Periscope ne prenne de l’ampleur, TF1, France Télévisions, Canal+ et M6 – via l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) – se sont plaints en mai dernier auprès de Twitter et de Facebook de la diffusion de vidéo pirates de leurs programmes sur les deux réseaux sociaux.

Acquisitions, faute de croissance interne
Les chaînes de télévision françaises leur demandent d’adopter « une véritable politique de sanctions » et « des technologies de filtrage automatique par reconnaissance d’empreintes numériques préalablement déposées par les détenteurs de droits, permettant de bloquer la mise en ligne de vidéos contrefaisantes » (12). La Ligue française de football (LFP) a aussi sévi auprès de Twitter France contre le piratage
de ses matches.
La seconde acquisition concerne la société TellApart, spécialisée dans les publicités et emailings ciblés pour le e-commerce. La troisième concerne Niche, une sorte agence d’artistes les mettant en relation avec des annonceurs. La croissance externe de Twitter n’est sans doute pas terminée. @

Charles de Laubier