Les projets de loi SOPA et PIPA suspendus font encore frémir les acteurs du Web

Alors que les votes des projets de loi américains SOPA et PIPA de lutte contre le piratage sur Internet restent toujours incertains – depuis leur report mi-janvier, suite à une levée de bouclier des acteurs du Web –, l’inquiétude envers ces deux textes controversés demeurent.

Par Christophe Clarenc, avocat associé (photo), et Véronique Dahan, avocat Counsel, August & Debouzy

Les internautes ont encore en mémoire les derniers événements
qui ont suivi l’introduction des propositions de loi SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (Protect Intellectual Property Act). Il y a eu la lettre du 15 novembre 2011, signée par plusieurs acteurs du Web – tels que Google, Facebook, Yahoo, eBay, Twitter, LinkeInd, AOL, etc – et transmise aux membres du Congrès américain, qui préconisait d’autres méthodes pour lutter contre les sites Internet dits « voyous ».

Les ayants droits ont déjà le DMCA
Puis, ce fut la journée de blackout du 18 janvier 2012 avec la fermeture du site Wikipedia pendant 24 heures. Tandis que Google publiait sur son moteur de recherche le lien renvoyant vers une pétition en ligne « End Piracy, Not Liberty », laquelle a enregistré plus de 7 millions de signatures ! Sans oublier la fermeture du site communautaire Reddit pendant 12 heures. Mais que proposent exactement ces projets de loi ? Pour mémoire, le projet de loi SOPA a été soumis le 26 octobre 2011 à la Chambre des représentants par le républicain Lamar S. Smith (1). Quelques mois auparavant, un autre projet de loi, dénommé PIPA, avait été présenté au Sénat le 12 mai 2011, par le démocrate Patrick J. Leahly (2). Ces deux projets de loi poursuivent un objectif commun : offrir de nouveaux mécanismes afin de lutter plus efficacement contre le piratage et la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle sur Internet (3) (*) (**). Pour l’heure, les titulaires de droits peuvent s’appuyer sur la loi américaine DMCA (The Digital Millennium Copyright Act) de 1998, laquelle permet d’agir contre les atteintes aux droits d’auteurs réalisées sur Internet, notamment grâce aux dispositions spécifiques sur la responsabilité des prestataires techniques en matière de contrefaçon. En effet, aux termes de cette loi, l’hébergeur – s’il est domicilié aux Etats- Unis – a l’obligation d’agir avec diligence pour retirer ou empêcher l’accès à tout contenu contrefaisant dès lors qu’il en aura eu officiellement connaissance (Titre II du DMCA). C’est d’ailleurs cette loi qui a inspiré la rédaction de l’article 14 de la directive européenne sur le commerce électronique du 8 juin 2000 (4). Les dispositions contenues dans les projets SOPA et PIPA proposent d’aller bien au-delà puisqu’ils ont l’ambition d’offrir des moyens d’action non seulement à l’encontre des sites américains mais également à l’encontre des sites Internet hébergés hors des Etats-Unis.

• Le projet de loi SOPA
Plus précisément, en vertu de l’article 102, Titre I du projet de loi SOPA, le procureur général pourra de sa propre initiative solliciter l’obtention ex parte, c’est-à-dire de manière non contradictoire, d’une ordonnance judiciaire à l’encontre de tout site Internet étranger destiné aux internautes américains dès lors que ce site commettrait ou faciliterait des actes de piratage en ligne. Une telle ordonnance lui permettra concrètement d’intervenir auprès de différents intermédiaires techniques pour les enjoindre à se conformer aux mesures prévues par la loi et ce, dans les cinq jours suivant la notification de l’ordonnance rendue par le tribunal, ou, dans le délai imparti par celui-ci.

Pouvoir d’injonction du juge
Qui sont ces intermédiaires techniques ? L’article 102 vise explicitement quatre acteurs du web : le fournisseur d’accès qui devra prendre des mesures techniques destinées
à empêcher l’accès au site Internet étranger ; les moteurs de recherche qui devront s’assurer que le site litigieux n’est plus référencé dans les résultats de recherches ;
les services de paiement en ligne qui devront suspendre ou interdire les transactions effectuées à partir du site litigieux avec des consommateurs résidents aux Etats-Unis
ou soumis à la compétence des juges américains ; les services de publicité qui devront cesser de fournir des annonces publicitaires au site litigieux, ou encore de sponsoriser
les liens qui permettraient d’accéder au dit site. Pour assurer l’efficacité de ces nouveaux mécanismes, le texte prévoit que le procureur général pourra obtenir une injonction du tribunal pour contraindre ces intermédiaires techniques à se conformer aux mesures prescrites par la loi. A l’inverse du procureur général qui ne peut agir qu’à l’encontre de sites Internet étrangers, l’article 103 du projet SOPA prévoit que les titulaires de droits auront la possibilité d’agir à l’encontre des sites Internet « dedicated to theft of US property » – comprenez « les sites dédiés au vol de la propriété américaine ». Ainsi, il ressort de cette notion extrêmement large, que les titulaires de droits pourront agir aussi bien à l’encontre des sites web étrangers que des sites américains.

Interdire paiements et publicités
Concrètement, le projet SOPA consacre une procédure en deux temps. Tout d’abord, le titulaire de droits qui estimera qu’un site Internet est « dedicated to theft of US property », pourra adresser une notification écrite aux services de paiement et/ou de publicité en leur indiquant les violations commises sur le site afin d’obtenir de ces derniers l’arrêt des services qu’ils fournissent au site litigieux et ce, sans contrôle judiciaire préalable. Toutefois, le texte permet aux services précités de ne pas se conformer aux demandes du titulaire de droits, notamment lorsque le propriétaire du site, l’exploitant ou le propriétaire du nom de domaine fournira une contrenotification attestant qu’il ne s’adonne pas à des activités contrefaisantes. Ce n’est seulement qu’à la suite de la contre-notification ou si les services de paiement et les services de publicités n’ont pas procédé au retrait de leurs services sur le site litigieux, que le titulaire pourra agir en justice contre ledit site. Ainsi, une des innovations du projet est de permettre au titulaire de droits d’empêcher la réalisation de transactions financières comme Paypal ou CCbill ou encore d’obtenir le retrait ou la suppression de bannières publicitaires sur le dit site litigieux.

• Le projet de loi PIPA
Pour sa part, le projet PIPA s’inscrit dans la droite ligne du projet SOPA. Toutefois, son champ d’application semble plus restreint puisqu’il ne concerne que les sites Internet dédiés à des activités illicites (5). Aux termes de l’article 2 de ce projet, il s’agirait de sites web ayant pour seule vocation de permettre ou faciliter la reproduction, la distribution, ou la vente d’oeuvres protégées ou encore la vente de biens ou services reproduisant une marque contrefaite. Par exemple, un site comme The Pirate Bay pourrait désormais être inquiété par l’adoption de ces nouvelles dispositions. Par ailleurs, il faut noter que si parmi les intermédiaires techniques le projet PIPA vise lui aussi les services de paiement et les services de publicités, les moteurs de recherche ne sont en revanche pas visés par ce texte. En définitive, les projets de loi SOPA et PIPA ne sont que deux volets d’une même législation qui auraient très certainement mérité, pour une meilleure cohérence, d’être présentés sous un seul vocable. Soutenus par les grandes maisons de disques et les studios hollywoodiens, ces projets de lois ont suscité de nombreuses critiques de la part des principaux acteurs du Net et de l’opinion publique. Considérés comme trop imprécis, ces projets font tout simplement « peur ». Par exemple, de nombreux acteurs du Web craignent que, si le projet SOPA venait à être adopté en l’état, des sites Internet proposant des contenus générés par les utilisateurs (6) pourraient être tout simplement bloqués. Pourtant, lutter efficacement contre la contrefaçon sur Internet est essentiel aujourd’hui. Il apparaît donc primordial d’avoir un arsenal juridique adapté%2