T. Pasquet, J. Canzoneri et J-C. de Launay, Beezik : « Une licence globale “légitimerait” le piratage »

A l’occasion des deux ans d’existence de Beezik, site de téléchargement gratuit
et légal de musiques financées par la publicité, ses trois dirigeants fondateurs répondent à Edition Multimédi@. Beezik s’ouvre au payant, bientôt sur mobiles aussi, et se diversifie avec sa régie publicitaire BeeAd.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous avez lancé Beezik il y a deux ans – en septembre 2009 –, en misant sur la musique en ligne gratuite et légale. Deezer ou Spotify font payer :
le gratuit a-t-il encore un avenir ? Proposerez-vous du payant comme les majors le demandent ?
Thomas Pasquet (photo), Jean Canzoneri et Jean-Christophe de Launay :
Beezik propose aux internautes
de télécharger gratuitement et légalement les titres qu’ils souhaitent parmi un catalogue de près de 5 millions de titres, en contrepartie du visionnage d’une publicité qu’ils ont choisi de regarder. Cette offre s’adresse aux millions d’internautes qui ont encore recours aujourd’hui à du téléchargement illégal car ils ne veulent ou ne peuvent pas payer les titres désirés.
Face à leur attente, le gratuit a dès lors un avenir évident ! En effet, notre conviction est que le marché n’est pas monolithique et qu’une pluralité d’offres permettant à chacun d’accéder à la musique, selon ses souhaits ou ses moyens, est indispensable. Dès lors, plus que jamais, il est nécessaire de disposer d’offres gratuites qui permettent d’accroître la monétisation de la musique pour les ayants droits. Beezik touche ainsi une nouvelle frange de consommateurs, recréant des revenus additionnels pour les artistes. Ces offres gratuites constituent par ailleurs des passerelles vers d’autres services à valeur ajoutée, qui eux peuvent être payants. En complément du téléchargement gratuit de singles, Beezik a ainsi mis en place depuis le premier semestre 2011 l’accès au téléchargement payant d’albums entiers, sans publicité. D’autres offres premium, destinées notamment
au mobile, sont par ailleurs à l’étude.

L’ESML, dont Beezik est vice-président, et ses membres ont été au coeur des tables rondes de la mission “Hoog” qui ont débouché sur la signature des 13 engagements [en janvier 2011, ndlr] pour relancer la filière musicale dans le domaine du numérique. »

EM@ : En juin, Beezik a reçu le label « PUR » de l’Hadopi, consacrant votre volonté de lutter contre le piratage en ligne : comment faites-vous pour que vos 3 millions d’inscrits ne piratent pas vos 5 millions de titres ?
T. P., J. C. et J-C. de L. : 
Dès son lancement, Beezik s’est résolument inscrit comme
une alternative privilégiée au piratage. Cette particularité, clairement identifiée par Hadopi, nous a amenés à être les premiers à recevoir le label PUR. Nos utilisateurs téléchargent donc tout à fait légalement leurs titres sur Beezik, et peuvent dès lors en profiter pleinement [Les trois-quarts des titres présents sur Beezik sont au format MP3 sans DRM, ndlr]. En outre, plutôt que de transmettre des titres à leurs amis, il est beaucoup plus simple pour eux de les inviter à venir les télécharger gratuitement sur Beezik :
c’est donc un cercle vertueux qui incite à abandonner les pratiques illégales !

EM@ : Faut-il que l’Hadopi lutte aussi contre le piratage sur le streaming ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
La mission de l’Hadopi est de lutter contre le piratage sous toutes ses formes, ce qui inclut aussi bien le téléchargement que le streaming illégal.

EM@ : Les majors de la musique font en sorte d’être actionnaires minoritaires des plateformes de musique en ligne avec lesquelles elles ont un accord : est-ce le cas pour Beezik Entertainment et avec quelles majors ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
Nous ne pouvons dévoiler la nature de nos accords avec les maisons de disques. Depuis maintenant deux ans, des partenariats étroits ont été noués avec les différents labels [dont EMI et Universal Music, ndlr], qui nous disent être très satisfaits de notre modèle. Nous continuons par ailleurs de signer avec de nouveaux,
et notamment Sony Music dernièrement. Cela nous permet ainsi de proposer une offre toujours plus riche à nos membres.

EM@ : Prévoyez-vous une augmentation de capital ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
Il n’est pas prévu d’augmentation de capital à ce jour. Nous avons réalisé une levée de fonds il y a un an [de 2,5 millions d’euros en octobre 2010, ndlr] qui nous permet de poursuivre notre stratégie de développement, notamment sur BeeAd notre régie publicitaire vidéo.

EM@ : Craignez-vous l’arrivée de Vevo en France, via Yahoo ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
Vevo adresse des besoins différents de ceux de Beezik. Nous nous réjouissons que l’offre numérique légale de musique continue de s’enrichir et de se diversifier. Cela est en effet indispensable pour relancer la filière musicale et développer des revenus compensant la baisse du marché physique.

EM@ : Beezik a créé avec Deezer, le Geste, Orange et Starzik le syndicat ESML, en janvier 2011 lors des 13 engagements « Hoog » : sur quoi travaille l’ESML d’ici fin 2011 ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
Effectivement, Beezik est l’un des cofondateurs de l’ESML,
dont l’objectif est de favoriser le développement des services légaux de distribution numérique de musique. L’ESML, dont Beezik est vice-président, et ses membres ont
été au cœur des tables rondes de la mission « Hoog » qui ont débouché sur la signature des 13 engagements [en janvier 2011, ndlr]. Ceux-ci représentent une réelle chance de relancer la filière musicale dans le domaine du numérique. L’ESML s’attache donc à
suivre la mise en oeuvre de ces engagements, notamment en liaison avec l’Hadopi,
mais le syndicat intervient aussi plus largement sur tout sujet concernant le développement de la filière musicale.

EM@ : La gestion collective est-elle encore possible ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
La mise en oeuvre d’une gestion collective des droits voisins a pour le moment été repoussée, au terme de la signature des 13 engagements. Toutefois, si la mise en oeuvre et le respect de ceux-ci n’étaient pas assurés, les politiques ont alors clairement indiqué que la gestion collective obligatoire pourrait constituer le dernier recours.

EM@ : Deezer, qui refusait les nouvelles conditions d’Universal Music, a eu gain
de cause auprès du TGI de Paris : l’ordonnance de référé du 5 septembre va-t-elle dans le sens des 13 engagements ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
Nous n’avons aucun commentaire à formuler sur le conflit qui oppose Deezer et Universal Music. Il est par contre important de noter qu’effectivement
le TGI a souligné l’importance de ces 13 engagements et le caractère contractuel qu’ils ont pour l’ensemble des acteurs de la filière.

EM@ : La carte musique jeunes est-elle un échec ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
La carte musique jeune s’adresse aux offres payantes,
et ne concerne donc pas à ce stade Beezik. Nous n’avons pas de commentaire à faire.

EM@ : Des candidats à l’élection présidentielle se sont prononcés pour une licence globale (Aubry, Villepin, Bayrou, …) , déjà promue par UFC Que-Choisir, l’Adami, voire la Sacem et Attali : êtes-vous pour ou contre une licence globale ?
T. P., J. C. et J-C. de L. :
La tentation de la mise en oeuvre d’une licence globale apparaît non seulement dangereuse, mais aussi extrêmement aléatoire. Outre l’impossibilité juridique de justifier – au regard du droit européen et international – une telle mesure, laquelle « légitimerait » le piratage, celle-ci aurait pour effet de détruire de facto l’ensemble de l’industrie de distribution numérique et physique de la musique. Elle aurait également comme conséquence indirecte de fragiliser encore plus la création nationale au profit des grosses productions internationales. @