Marché des jeux et paris en ligne : une ouverture se voulant « maîtrisée »

Validée par le Conseil constitutionnel le 12 mai et promulguée le 13, la loi sur l’ouverture à la concurrence du marché des jeux d’argent et de hasard en ligne pourra entrer en vigueur à temps pour le coup d’envoi de la Coupe du monde
de football prévu le 11 juin.

Par Hervé Castelnau (photo), avocat associé, et Thibaut Kazémi, avocat à la Cour, Norton Rose LLP

Les jeux d’argent en ligne étaient, jusqu’à présent, soumis
en France au cadre général très strict, assorti de lourdes sanctions pénales, prévu par la législation applicable aux
jeux de hasard au sens large. Le principe est celui de l’interdiction avec des dérogations accordées à la Française
des Jeux pour les loteries, au Pari Mutuel Urbain (PMU)
pour les paris hippiques et pour les jeux dits de casino
dûment autorisés par le ministère de l’Intérieur situés dans une station balnéaire, thermale ou climatique ou dans une ville de plus de 500.000 habitants.

Principe de libre prestation de services
Constituée pour l’essentiel de lois de 1836, 1891, 1907 et 1983 (1), l’application de cette législation aux nouvelles offres apparues avec le développement de l’Internet a soulevé un certain nombre de difficultés. La législation nationale française interdit à toute personne, autre que la Française des Jeux ou le PMU, d’établir en France un
site Internet proposant des jeux d’argent. La jurisprudence considère que la loi pénale française est applicable même lorsque le site Internet concerné est en dehors du territoire français, dès lors qu’il s’adresse au public français.
Les actions judiciaires des organisateurs de jeux et paris en ligne cherchant à pénétrer
le marché français ou celui d’autres Etats membres ayant des législations très restrictives dans ce domaine, ont été autant de coups de boutoirs portés à la législation française. Dans un arrêt Gambelli de 2003 (2), la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) avait, en réponse à la question préjudicielle du juge italien, jugé qu’un organisateur de paris ayant obtenu une licence dans un Etat membre, peut proposer des jeux à des ressortissants d’autres Etats membres, même si ces derniers n’autorisent pas les jeux d’argent. La CJCE a précisé qu’un Etat qui promeut lui-même des jeux d’argent (tel que l’Italie), ne peut invoquer la protection du consommateur pour justifier la non-autorisation de certains jeux d’argent. Dans un arrêt Platanica de 2007 (3), la CJCE a, encore en réponse à la question préjudicielle du juge italien, examiné
la compatibilité du principe communautaire de la libre prestation de services avec la loi italienne, laquelle subordonnait l’organisation de paris et de jeux de hasard à l’attribution d’une concession et d’une autorisation de police. En l’espèce, des concessions avaient été attribuées par des appels d’offres excluant les sociétés
cotées (donc les principales sociétés de paris et jeux en ligne actives en Europe).
La CJCE a considéré qu’un Etat membre ne peut pénalement sanctionner le défaut d’accomplissement d’une formalité administrative qu’il refuse ou rend impossible,
en violation du principe de la libre prestation de services.
Dans une affaire Zeturf concernant une action judiciaire engagée par le PMU à l’encontre de la société maltaise Zeturf, proposant des paris hippiques en ligne au public français, le juge français a emboîté le pas au juge communautaire. La Cour de cassation a jugé en 2007 (4) qu’une restriction au principe communautaire de la libre prestation de services n’est justifiable que si elle est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à prévenir l’exploitation de jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses, en les canalisant dans des circuits contrôlables, ou à réduire les occasions de jeux. Et qu’une telle restriction n’est susceptible d’être justifiée au regard de ce dernier objectif que si la réglementation concernée répond véritablement au souci de réduire ces occasions de façon cohérente et systématique.

Ouverture « maîtrisée » à la concurrence
Ce qui n’est pas le cas lorsque les autorités nationales adoptent une politique expansive dans le secteur des jeux, afin d’augmenter les recettes du trésor public.
La Commission européenne n’a pas non plus épargné le cadre juridique des jeux en France de ses critiques et a officiellement demandé à la France, le 27 juin 2007, de modifier sa législation en matière de paris sportifs et hippiques. Elle a en effet estimé qu’au regard des motifs invoqués par la France, tels que la protection des consommateurs contre la dépendance au jeu, les mesures restrictives de libre prestation de services de paris sportifs et hippiques mises en place au bénéfice de
la Française des Jeux et du PMU n’étaient pas nécessaires, adéquates et non-discriminatoires.

Une trentaine de candidats
Si les enjeux financiers liés aux monopoles de la Française des Jeux et du PMU sur
les jeux et paris en ligne ont longtemps retardé l’ouverture de ce marché, le Parlement français vient de céder aux pressions de la jurisprudence nationale et communautaire, ainsi qu’à la demande de la Commission en adoptant, le 6 avril dernier, sur les bases du rapport Durieux de mars 2008, un projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne (5).
Les trois objectifs affichés par ce texte sont la protection des joueurs et des populations vulnérables, la sécurité des opérations de jeux et la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. Le respect du principe communautaire de la libre prestation de services, au titre duquel la France s’est faite rappeler à l’ordre, n’est pas mentionné parmi ces objectifs. Paradoxalement, il est probable que les mêmes enjeux financiers qui ont longtemps bloqué l’ouverture des jeux et paris en ligne auront également accéléré cette dernière.
Le nouveau texte devrait en effet permettre à l’Etat, via la mise en place de prélèvements fiscaux relativement élevés (par exemple redevance de 7,5 % à 9 % sur le montant des paris hippiques), de capter une partie du montant global de près de 4 milliards d’euros que l’on estime être misé annuellement par les Français sur les sites de paris et jeux en ligne. Ce n’est pas un hasard si l’objectif annoncé du gouvernement est de rendre le nouveau système opérationnel avant le 11 juin 2010, date de l’ouverture de la prochaine Coupe du monde de football.
La loi du 12 mai 2010 ouvre à la concurrence les trois types de paris et jeux en ligne
sur lesquels se concentre la demande des internautes : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. Pour exercer l’une de ces activités à destination du public français, un agrément national distinct sera requis. Un site en ligne européen ayant obtenu une licence dans son pays ne pourra donc, sur la base d’un principe de reconnaissance européen, proposer des jeux au public français sans obtenir cet agrément. Les agréments seront délivrés pour cinq ans par une instance de régulation des jeux en ligne (ARJEL), créée sous la forme d’une autorité administrative indépendante, aux opérateurs qui en feront la demande, présenteront un certain nombre de critères fixés par la loi (notamment aux fins d’éviter fraude et blanchiment)
et respecteront un cahier des charge qui sera fixé par décret en Conseil d’Etat. Lors des 2e Assises des jeux de hasard et d’argent organisées le 20 avril dernier au Sénat par l’agence Aromates (6), Frédéric Epaulard, secrétaire général de la mission de préfiguration de l’ARJEL, annonçait qu’une trentaine de candidats avaient déjà demandé un agrément d’exploitation de sites de jeux en ligne. La loi prévoit en outre le blocage des sites de jeux de hasard et d’argent en ligne illégaux, selon une procédure soumise à injonction du juge (7). Conformément à son objectif affiché, la loi prévoit un certain nombre de dispositions visant à protéger l’ordre public et social (lutte contre la fraude dans les opérations de jeux et le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme) et à limiter les risques liés au « jeu excessif ou pathologique » et à la protection des mineurs.
Parmi les mesures prévues pour la protection des joueurs, on peut citer le plafonnement des mises, le versement automatique des gains sur le compte en banque (et non le compte joueur) à partir d’un certain montant et la possibilité d’auto-exclusion du joueur.

Une brèche dans le monopole
A de multiples égards, la loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, ne constitue qu’une première étape.
D’une part, le législateur lui-même a prévu que, dans un délai de dix-huit mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, un bilan d’étape soit effectué sur la base d’un rapport d’évaluation sur les conditions et les effets de l’ouverture du marché des jeux et paris en ligne, qui serait adressé par le gouvernement au Parlement et contiendrait, le cas échéant, des propositions d’adaptations de la loi.
D’autre part, l’atteinte aux monopoles actuels de la Française des Jeux, du PMU et
des casinos ne concerne à ce stade que les seuls jeux en ligne, et seulement certains d’entre eux. @