Pub interactive, acte II

Une nouvelle paire de lunettes. Ce sera mon prochain achat, qui, parce qu’il dévoile un peu de ma personnalité et m’engage pour quelques années, ne peut pas être pris à
la légère. Avant, tout était assez simple. Quelques marques d’opticiens dormaient dans un coin de ma mémoire, images floues accumulées au fil des campagnes média (presse,
radio, télé) et hors média (affiches, prospectus), croisées
au hasard des jours passés. L’étape suivante consistait à programmer une tournée
de quelques magasins afin d’essayer in vivo les modèles disponibles en rayon. Aujourd’hui, les choses sont un peu plus compliquées. Pour tout le monde. Les annonceurs doivent désormais composer avec un univers touffu et d’autant plus complexe que les règles qui le régissent changent rapidement au gré des innovations techniques et de la mesure de leur efficacité.

« La publicité s’adresse à des consommateurs acteurs, actifs à travers le Net, les blogs et les réseaux sociaux »

Les outils dont ils disposent se sont, en effet, additionnés au cours des trois âges qui
ont rythmé la longue saga de la publicité. La première ère, celle de la réclame, de la propagande, du produit roi et sa valeur d’usage, a laissé la place dans les années quatre-vingt à une ère magnifiant la marque et sa valeur d’image, véritable âge d’or de la création publicitaire pour la télévision reine, délivrant ses messages à un consommateur captif et plutôt passif. La nouvelle ère, qui s’est ouverte avec les années deux mille, n’en finit pas de réinventer la publicité, laquelle s’adresse désormais à des consommateurs acteurs, actifs à travers le Net et les nouveaux outils que sont les blogs et les réseaux sociaux. La publicité en ligne s’est développée à un rythme rapide de
15 à 20 % par an pour représenter aujourd’hui plus de 40 % du marché global de la publicité au niveau européen.
Alors qu’en 2010, elle venait de dépasser les 10 % pour un montant d’environ 12 milliards d’euros. La crise économique d’alors a même eu un effet favorable en accélérant le déplacement des budgets vers ces nouveaux outils à l’efficacité croissante – affichage et sponsoring (display), liens sponsorisés (search marketing)
et petites annonces, publicité vidéo (spot pre-roll, overlay, sponsoring) – couplés à
de nouvelles fonctionnalités amplifiant encore l’impact de la publicité en ligne (ciblage comportemental, géolocalisation, …). Au-delà des chiffres, ce sont les implications de ces évolutions qui sont très importantes. De nouvelles pratiques, de nouveaux modèles économiques et surtout de nouveaux rapports entre consommateurs et annonceurs – plus complexes mais aussi plus instables – se sont installés au fur et à mesure que le territoire d’expression des marques s’étendait considérablement. Dans ce contexte, les agences de publicité ont dû se réinventer à l’instar des majors comme Publicis, qui a mis les bouchées doubles en réalisant dès 2010 plus de 20 % de son chiffre d’affaires mondial sur les nouveaux supports interactifs. Les nouvelles campagnes, en adaptant leurs formats et leurs messages, ont très vite connu des succès étonnants, à l’image de cette vidéo des bébés en rollers vu par plus de cent millions d’internautes et permettant à la marque de suspendre la campagne en cours sur les écrans de télévision. Mais la nouveauté est venue du développement et de la banalisation progressive de l’interactivité. D’abord lié au Web, et longtemps annoncé sans succès sur d’autres médias, le renouveau est arrivé en 2010, avec Sky Channel revendiquant alors mille campagnes sur l’année au Royaume-Uni, et avec Orange annonçant le déploiement
de campagnes de publicité télévisées interactives en France et en Europe. Plus récemment, la publicité interactive s’est invitée sur nos terminaux mobiles.
Fabuleux trésors convoités par les géants de l’Internet, comme l’a prouvé Apple en réussissant, avec sa plate-forme pour la publicité en ligne iAd, à créer un écosystème complet facilitant les rencontres entres les utilisateurs de l’iPhone et de l’iPad avec les annonceurs. Après plusieurs soirées à surfer sur le Net, de liens sponsorisés en spots vidéo, de boutiques en ligne en blogs d’amateurs éclairés, j’ai enfin ma paire de lunettes, que j’ai choisie avec l’aide de mon avatar en 3D sur lequel j’ai pu à loisir essayer tous les modèles disponibles sur le marché. J’exhibe ainsi, dans la vraie vie, ma nouvelle paire, d’abord timidement, puis avec de plus en plus d’assurance au fur
et à mesure des compliments prodigués avec indulgence par mes proches. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le cinéma numérique
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et
commercial de l’Idate. Lire : « Online Advertising : Le marché mondial de
la publicité en ligne », par S. Girieud, T.Sauquet et V. Bonneau.