Jugement de Belfort : la première condamnation au nom des lois Hadopi paraît dérisoire

Plus de 3 millions d’adresses IP identifiées, plus de 1,1 million de premiers avertissements, plus de 100.000 seconds avertissements, plus de 340 recommandés et, au 1er octobre, 18 dossiers transmis à la justice. Et… une seule condamnation. Est-ce un signe d’efficacité de l’Hadopi ?

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée (photo)
et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Le 13 septembre dernier, le tribunal de police de Belfort
a condamné un internaute à une amende de 150 euros pour « absence de sécurisation » de son accès à Internet
et « négligence caractérisée » malgré les différentes recommandations adressées par la commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi (1).
Le prévenu, dans l’affaire jugée par le tribunal de police
de Belfort, a été particulièrement négligent et a donc été poursuivi pour « négligence caractérisée ».

Un prévenu, 150 procès verbaux
Le 18 janvier 2011, un agent assermenté de la Sacem a constaté que l’adresse IP du prévenu avait été utilisée pour mettre à disposition du public une oeuvre musicale protégée sur le réseau peer to peer BitTorrent (en l’occurrence le titre « Rude Boy » de Rihanna).
Conformément aux dispositions de l’article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, l’Hadopi, saisie par la Sacem, a adressé au titulaire de l’accès à Internet identifié au moyen de l’adresse IP une recommandation l’informant de la constatation des actes de contrefaçon et l’enjoignant à prendre les mesures nécessaires pour sécuriser son accès et éviter que de tels faits se reproduisent. La recommandation précisait également les sanctions pénales encourues.
Malgré cette recommandation, la chanson de Rihanna a de nouveau été partagée sur
le réseau BitTorrent au moyen de l’adresse IP du prévenu, ce qui a conduit l’Hadopi à
lui adresser une seconde recommandation le 17 juin 2011, cette fois-ci par courrier recommandé avec avis de réception. Cette seconde recommandation, réceptionnée le
21 juin 2011 (ironiquement, le jour de la Fête de la musique), n’a pas eu d’effet escompté puisqu’à nouveau l’oeuvre musicale a de fait été partagée sur le réseau BitTorrent à de très nombreuses reprises…
Le 28 mars 2012, après avoir adressé une troisième recommandation restée elle aussi sans effet, l’Hadopi a décidé de transmettre le dossier au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Belfort.
Lorsque le prévenu se présente devant le tribunal de police de Belfort, près de 150 procès-verbaux de constats ont été dressés par les agents assermentés de différentes sociétés de gestion, et ce malgré les trois recommandations adressées par l’Hadopi.
Le prévenu se justifie en faisant état d’un courrier rédigé par son épouse reconnaissant avoir téléchargé le fichier musical en cause. Les déclarations de l’épouse ne permettent pas d’exclure ou d’atténuer la responsabilité du prévenu, et pour cause : celui-ci n’est pas poursuivi pour contrefaçon mais pour négligence caractérisée dans la sécurisation de son accès à Internet.
Compte tenu des nombreuses mises à disposition non autorisées du titre musical de Rihanna qui ont été permises, malgré les différentes recommandations de la Hadopi, le tribunal de police de Belfort a fort logiquement condamné le titulaire de l’accès à Internet pour « absence de sécurisation de l’accès aux services de communication au public en ligne sans motif légitime » et « négligence caractérisée après recommandations adressées par la Commission de protection des droits Hadopi ».
Ceci étant, et bien qu’il considère que les faits ont une « gravité certaine », le tribunal s’est montré clément dans le montant de la peine prononcée en ne condamnant le prévenu qu’à une amende de 150 euros, là où le code de la propriété intellectuelle prévoyait une amende pouvant atteindre 1.500 euros.

Efficacité de la « réponse graduée » ?
Cette première condamnation paraît dérisoire au regard des moyens déployés pour
lutter contre la contrefaçon en ligne. A moins que ce ne soit l’illustration de l’efficacité du dispositif de recommandations. En effet, l’Hadopi a déclaré le 5 septembre dernier (lors
du bilan des deux ans) que 95 % des personnes ont arrêté de télécharger après le premier avertissement, et le 17 octobre (à l’occasion de la publication du rapport d’activité) qu’à la date du 1er octobre 2012, 18 dossiers de pirates récidivistes avaient été transmis à la justice. Cette condamnation est la première fondée sur les lois dites « Hadopi 1 » et
« Hadopi 2 » (2), alors que celles-ci sont entrées en vigueur il y trois ans.

De la négligence à la suspension
Cette première décision nous donne l’occasion de faire un rappel sur le dispositif répressif mis en place par les lois Hadopi mais également de mesurer la portée de la condamnation prononcée par le tribunal belfortain.
Les lois Hadopi, et leurs décrets d’application, ont introduit dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI) de nouvelles sanctions qui sont encourues lorsqu’une infraction de contrefaçon est commise au moyen d’un service de communication au public en ligne, notion qui vise principalement Internet. La première de ces sanctions, prévue à l’article L. 335-7 du CPI, est la suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur. Cette sanction est encourue à titre de peine complémentaire par les personnes s’étant rendues coupables du délit de contrefaçon.
La seconde, prévue aux articles L. 335-7-1 et R. 335-5 du CPI, permet de sanctionner la personne, titulaire d’un accès à un service de communication au public en ligne, qui fait preuve de « négligence caractérisée » dans la sécurisation de son accès à un service de communication au public en ligne. Désormais, en application de l’article L. 336-3 du CPI,
la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne a
« l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin » sans l’autorisation des titulaires de ces droits lorsqu’elle est requise.
Cette obligation vise à pallier la faible valeur probante de l’adresse IP, seul élément d’identification pouvant être collecté lors de la constatation d’une atteinte aux droits d’auteur sur le réseau Internet. Or, une adresse IP n’identifie pas nécessairement la personne physique qui a souscrit à l’abonnement à Internet : cette adresse peut être utilisée par les membres de sa famille, ses amis qui viennent lui rendre visite, mais également par des tiers qui se seraient introduits frauduleusement sur son réseau Wifi. Dans ces conditions, une action en contrefaçon contre l’abonné au service Internet serait compromise : c’est pourquoi le législateur a préféré mettre à la charge de l’abonné une obligation de sécuriser son accès au réseau. Le non-respect de cette obligation n’est pas susceptible d’être sanctionné pénalement, sauf s’il est prouvé que la personne titulaire de l’accès a commis des actes de contrefaçon en ligne (« piratage » de musiques ou de films, téléchargement non autorisé de logiciel, etc.) ou si cette personne a fait preuve d’une « négligence caractérisée ».
Selon l’article R. 335-5 du CPI, une personne commet une « négligence caractérisée » lorsqu’elle ne met pas en oeuvre un moyen de sécurisation de son accès à Internet alors que les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies :
• Première condition : la personne concernée a reçu de la part de la commission de protection des droits de la Hadopi une recommandation de mettre en oeuvre un moyen de sécurisation de son accès permettant de prévenir le renouvellement d’une infraction de contrefaçon (3);
• Seconde condition : l’accès à Internet de la personne concernée est de nouveau utilisé à des fins de contrefaçon dans l’année suivant la présentation de la recommandation de la commission de protection des droits.

Vers un label des moyens de sécurisation
La personne qui se rend coupable d’une telle négligence caractérisée est passible d’une amende de cinquième classe pouvant atteindre jusqu’à 1.500 euros prévue par l’article R. 335-5, ainsi que de la suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d’un mois, prévue à l’article L. 335-7-1. Dans le silence de la loi et du règlement, l’Hadopi a pris l’initiative de définir les spécifications auxquels devront répondre les moyens de sécurisation. Ce travail, actuellement en cours, devrait conduire l’autorité à attribuer un label aux moyens de sécurisation répondant à ces spécifications (4). Précisons que ce sont les fournisseurs d’accès qui ont la charge d’informer leurs abonnés de l’existence de ces moyens de sécurisation… (5) @